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1810.

Voyage

de ceux-là, il monta hardiment sur le trône, dont ils lui avoient aplani le chemin.

Peu de temps après son mariage, l'empereur alla vien Belgi- siter les provinces de la Belgique, et il mena avec lui l'imque. pératrice. Les peuples de ces provinces, heureux de

voir une princesse de la maison d'Autriche, accueillirent les deux époux avec toutes les démonstrations de la joie. Ce voyage ne fut qu'une suite de fêtes et de triomphes.

que.

Mais l'empereur trouva moyen d'en gâter la douceur, en laissant échapper son secret sur la religion catholiC'étoit à Bréda. Les ministres des deux cultes allèrent lui présenter leurs hommages : il n'y avoit point de raison pour leur faire un accueil différent (1); cependant il affecta de ne pas regarder les catholiques, et s'adressant aux réformés, il leur dit :

« J'ai toujours trouvé dans les protestants des sujets fidéles: j'en ai soixante mille à Paris, et huit cent mille dans mon empire. Je n'ai point de meilleurs sujets. Je m'en sers dans mon palais, et je vois ici une poignée de Brabançons fanatiques qui voudroient s'opposer à mes desseins. Imbécilles ! ils ne savent pas que, si le concordat n'avoit pas été adopté, je me serois fait protestant, et trente millions de François auroient suivi mon exemple.

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Ce discours extravagant d'un bout à l'autre fut tenu en présence de l'impératrice, et lui donna la mesure de

(1) A moins qu'on ne suppose que les ministres catholiques des Pays-Bas n'eussent laissé percer des regrets sur les affaires de Rome; mais ce ne peut être qu'une supposition; il n'y a point de preuves.

ce qu'elle avoit à craindre des fougueuses passions de

son mari.

Dans ce temps-là moururent, à peu d'intervalle les uns des autres, MM. Lagrange, Fourcroy et Delille, trois hommes diversement célébres, mais également regrettables.

1810.

MM. La

grange,

M. Lagrange étoit regardé comme le premier géo- Mort de métre de l'Europe. Né à Turin, de parents françois, il passa la plus grande partie de sa vie à Berlin, où il avoit Foureroy et Delille. été appelé par Frédéric II. Après la mort de ce prince, il vint s'établir en France, qu'il n'avoit jamais cessé de regarder comme sa patrie.

En le nommant sénateur, Napoléon lui conféra une de ces places sans fonctions, que les Anglois désignent sous le nom de sinecures. Cette place, en effet, ne le détourna pas de ses études. Il continua de se livrer à son goût pour les mathématiques; la science lui doit la théorie des fonctions analytiques, la méchanique ana-lytique, et un traité de la résolution des équations, etc., ouvrages classiques et dans lesquels l'auteur, aussi élégant dans son style qu'original dans ses découvertes, a su dissiper les doutes et répondre aux objections qu'on proposoit avant lui contre la métaphysique de ces calculs.

M. Fourcroy ne peut être placé dans la classe des hommes de génie qui, par leurs découvertes, ont fait faire de grands pas à la science qu'ils cultivent; mais c'étoit un homme d'esprit, et un savant laborieux. On lui doit de la reconnoissance pour le soin qu'il a pris de se tenir au courant d'une science qui étoit alors à l'une de ses époques les plus brillantes. Ses ouvrages

1810.

sont des recueils précieux de ce que les chimistes ont découvert avant lui (1). Au commencement de la révolution, il en adopta les opinions, mais il ne se souilla d'aucun de ses excès. Les torts qu'on lui a supposés envers M. de Lavoisier sont une des injustices si communes dans les troubles civils. Après le 18 brumaire, le premier consul l'appela au conseil d'état, et l'employa à reconstruire l'édifice de l'instruction publique. On doit à ses soins l'érection de trois écoles de médecine, de douze écoles de droit et de trente lycées. Il a établi ou relevé plus de trois cents collèges du second ordre. Il préparoit un grand travail sur l'université, lorsque la mort vint le surprendre à l'âge de cinquante-quatre ans.

M. Delille étoit régent au collège d'Amiens lorsqu'il commença la traduction des Géorgiques, qui fut son premier, et est restée peut-être son meilleur ouvrage. Aucun poëte n'a laissé un plus grand nombre de vers, et de beaux vers. Personne ne connut mieux que lui les secrets de la versification, et l'art de donner à la pensée un coloris billant, à la langue une harmonie soutenue. Pour compléter son éloge, nous devons dire qu'il fut le seul poëte de son temps qui n'ait pas prostitué son talent. Il n'a jamais brúlé d'encens sur l'autel des faux dieux. Il résista à toutes les avances de Buonaparte.

De retour dans sa capitale, l'empereur permit au corps de ville et à la garde impériale de lui donner des fêtes à l'occasion de son mariage. Elles furent magnifiques. Il y eut à celle de la ville un quadrille, dans lequel l'impératrice figura avec le roi de Westphalie, et

(1) Système des connoissances chimiques et de leur application aux phénomènes de la nature et de l'art. 6 vol. in-4°.

un banquet, où quinze cents dames étoient assises (1). Pendant tout l'été de 1810, Paris fut un pays d'enchantement et de féerie. Le passé étoit oublié, on ne songeoit point à l'avenir, on jouissoit du présent ; et, il faut l'avouer, tout concouroit à rendre ce présent agréable. Les étrangers arrivoient de tous côtés, le commerce reprenoit de l'activité, l'argent circuloit avec abondance, les poëtes chantoient la paix sur tous les théâtres, les royalistes et les patriotes se réconcilioient avec leur position: l'empereur vouloit qu'on s'amusát (2); et il fut obéi.

1810.

de la Hol

Mais il n'y a point de bien sans mélange. Les dou- Réunion ceurs de la paix furent troublées cette année par la lande à réunion de la Hollande à l'empire françois. Ce pays, que l'empire. l'industrie de ses habitants et le commerce maritime avoient élevé jadis à un haut degré de prospérité, étoit alors gouverné par Louis, frère de Napoléon, et appauvri par la guerre, les impôts et le blocus continental. I se soutenoit par la contrebande. Napoléon s'en prit à son frère, lui fit des reproches amers, le vexa de toutes manières, et parvint aisément à le dégoûter d'une couronne dont il n'avoit senti que les épines.

Louis abdiqua le 3 juillet; et le 9 du même mois, par un décret daté de Rambouillet, la Hollande fut réunie à l'empire. Cette réunion, que tous les politiques regardèrent alors comme le germe d'une nouvelle guerre, fut représentée au public comme l'opération la plus utile au repos de l'Europe, et la plus conforme aux intérêts de la Hollande elle-même.

(1) Moniteur.

(2) M. de T... disoit : Ne badinez pas, messieurs, l'empereur veut qu'on s'amuse.

1810.

Naissance

Rome.

1811.

« La Hollande, disoit M. de Champagny dans son rapport, est une émanation du territoire de la France: sa réunion est la suite nécessaire de la réunion de la Belgique. Elle complète l'empire de votre majesté, et l'exécution de son système de guerre politique et de

commerce.

Pour consoler les Hollandois de la perte de leur indépendance, l'empereur promit de leur accorder six places dans son sénat, six dans son conseil d'état, vingtcinq dans le corps législatif, et deux à la cour de cassation. De plus, il prononça que la ville d'Amsterdam étoit la troisième ville de l'empire.

Le 20 mars 1811, l'impératrice combla les vœux de du roi de la France et de son époux, en accouchant d'un prince qui reçut à sa naissance le nom de roi de Rome (1). Le 22, l'empereur étant sur son trône, entouré des grands officiers de sa couronne, reçut les félicitations des prindes cardinaux, du sénat, du conseil d'état.

ces,

Nous citerons pour la dernière fois quelques fragments des discours qui lui furent adressés à cette oc

casion.

Discours de M. Garnier, président du sénat.

Sire,

« Le sénat vient offrir à votre majesté ses respectueuses félicitations sur le grand événement qui comble nos espérances, et qui assure le bonheur de nos derniers neveux. Nous venons les premiers faire retentir au pied du trône ces transports de ravissement, et

(1) Sans doute à cause du titre de roi des Romains, que prenoient en Allemagne les princes désignés pour succéder à l'empire.

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