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la face des affaires. On ne cessa pas de se battre; mais le bruit de cette grande défection jeta l'alarme dans l'esprit des François et le désordre dans leurs rangs. Napoléon fit sonner la retraite.

les

Le 19, à la pointe du jour, les parcs d'artillerie, les bagages et les deux tiers de l'armée, en pleine retraite, avoient déja traversé Leipsick, et prenoient la route de Lindenau. Macdonald, à l'arrière-garde, faisoit bonne contenance et soutenoit tout l'effort des vainqueurs. On se battoit à chaque pas; on se battit toute la journée du 19 dans les rues de Leipsick.

Le 20, Napoléon traversa la Saale sur le pont de Lindenau, qu'il fit sauter immédiatement après, sans s'inquiéter de ce que deviendroit la partie de son armée restée sur l'autre rive. Le maréchal Macdonald et le prince Poniatowski, à la tête de vingt-huit mille hommes d'élite et de cent pièces de canon, resistoient encore, et continuoient de présenter un front redoutable à l'ennemi qui les poursuivoit; mais, accablés par des forces supérieures, ils se disposoient à passer sur le pont de Lindenau, qu'ils trouvèrent coupé ! Cette fatale mesure mit le comble à nos désastres. Les vingt-huit mille hommes mirent bas les armes, en grinçant les dents. Pour éviter d'être pris, Macdonald et Poniatowski se jetèrent dans la Saale, qui, dans cet endroit, est rapide et profonde. Macdonald eut le bonheur de la passer à la nage; l'infortuné Poniatowski s'y noya.

Après les funestes journées d'Azincourt et de Poitiers, on ne trouve pas dans notre histoire d'exemple de deux déroutes aussi complètes que celles de Leipsick et de la Beresina. Mais tel étoit l'effroi qu'inspiroient aux étrangers la France et quinze ans de victoi

res, que rien n'étoit perdu, et qu'il étoit même possible de tout réparer, après et malgré ces deux effroyables désastres. Il ne s'agissoit pour cela que de rallier les débris de l'armée, de prendre position sur la rive gauche du Rhin, et d'attendre l'ennemi. Moreau l'eût fait.

Napoléon abandonna son armée et les rives du Rhin. Il vint en poste à Paris, cacher sa honte et demander au sénat une autre armée et de l'argent. Le sénat, qui devoit lui donner jusqu'au dernier moment les preuves d'un zéle obséquieux, alla lui offrir à Saint-Cloud, avec ses félicitations ordinaires, le moyen de reconquérir sa gloire et l'Europe, moyennant une levée de cinq cent quatre-vingt mille conscrits, qu'il mit à sa disposi

tion.

A des offres aussi magnifiques Napoléon répondit : « Toute l'Europe marchoit avec nous il y a un an : toute l'Europe marche aujourd'hui contre nous. Nous aurions donc tout à redouter, sans l'énergie et la puissance de la nation. La postérité dira que si de grandes circonstances se sont présentées, elles n'étoient pas audessus de la France, NI DE MOI. »

Ses bas flatteurs l'avoient tellement enivré de sa puissance, qu'il se croyoit au-dessus de tous les revers. Le 11 novembre, il tint au palais de Saint-Cloud un conseil extraordinaire, dans les délibérations duquel il prétendit « que la levée des hommes et des contributions ne devoit avoir d'autres bornes que sa volonté, que lui seul étoit juge et des dangers de la patrie et des ressources de la France. »

Sur cette ouverture, un des conseillers osa lui demander, en tremblant, s'il étoit vrai que les frontières fussent menacées. « Il y a plus, répondit-il, elles sont

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envahies. Tous mes alliés m'ont abandonné, les Bavarois m'ont trahi. Ne sont-ils pas venus se placer sur mes derrières pour me couper la retraite? Aussi comme on les a massacrés? Non point de paix que je n'aie brûlé Munich. Un triumvirat s'est formé dans le Nord; point de paix qu'il ne soit rompu. Je demande trois cent mille hommes, et non pas cinq cent quatre-vingt mille. Trois cent mille hommes me suffisent. Je formerai un camp de cent mille hommes à Bordeaux: un autre à Lyon, un autre à Metz; avec la levée du mois de septembre dernier, et ce qui me reste, j'aurai un million d'hommes; mais je veux des hommes faits et point de ces jeunes conscrits, qui ne sont bons qu'à encombrer les hôpitaux ou à expirer sur les routes. »

Sire, dit encore un conseiller, et la Hollande ? « La Hollande nous restera, reprit-il brusquement, plutôt la rendre à la mer que de l'abandonner à l'ennemi. Conseillers d'état, il faut que tout le monde marche. Vous êtes les chefs de la nation, c'est à vous à lui donner l'élan. On parle de paix! je n'entends que ce mot : tandis que tout devroit retentir du cri de guerre ! »

Moins complaisant que le conseil et le sénat, le corps législatif osa mettre à son dévouement des conditions qui déplurent à l'empereur...

« Ces mots consolateurs de paix et de patrie, lui dirent les députés dans leur adresse, retentiroient en vain, si l'on ne garantissoit les institutions, qui promettent les bienfaits de l'une et de l'autre.

« Il paroît donc indispensable qu'en même temps le gouvernement proposera les mesures les plus promptes pour le salut de l'État, sa majesté soit sup

que

pliée de maintenir l'entière et constante exécution des lois qui garantissent aux François les droits de la liberté, de la sûreté et de la propriété, et à la nation le libre exercice de ses droits politiques...

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léon casse

L'empereur ne répondit rien à cette adresse; mais Napolorsque le lendemain, 1er janvier 1814, une nombreuse le corps députation de ce même corps alla lui rendre les hom- législatif. mages accoutumés, il fit l'étrange réponse que nous 1814. allons rapporter :

« MM. les députés, je vous ai appelés autour de moi pour faire le bien vous avez fait le mal. Retournez dans vos départements, je vous y suivrai de l'œil. Je suis un homme qu'on peut tuer, mais non déshonorer. Vous avez des factieux parmi vous; que sont devenus ceux des assemblées précédentes, les Jacobins, les Girondins, les Vergniaud, les Guadet? Ils sont morts. Vous avez cherché à me barbouiller aux yeux de la France; c'est un attentat. Qu'est-ce que le trône, au reste, quatre morceaux de bois doré recouverts de velours. J'ai un titre. Vous n'en avez pas. Qu'êtes-vous dans la constitution? Rien. Vous n'avez aucune autorité. Tout est dans le trône et dans moi. Je vous le répéte, vous avez parmi vous des factieux. M. Laisné est un méchant homme (1): les autres sont des factieux. Je les connois et les poursuivrai. La nature m'a doué d'un courage fort et qui peut résister à tout. Je suis au-dessus de vos misérables déclamations, et mes victoires écrasent vos criailleres. Je suis du

(1) M. Laisné n'étoit un méchant homme que parcequ'il avoit présidé la commission chargée de rédiger l'adresse dont nous avons parlé.

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nombre de ceux qui triomphent ou qui meurent. Retournez dans vos départements (1).

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Après avoir entendu ce discours, les députés se retirèrent, et le corps législatif fut dissous.

En d'autres temps, ce coup d'état eùt fait peu de sensation; il n'en fit aucune, dans ce moment où tous les intérêts étoient froissés par la guerre, où la France étoit menacée d'une invasion générale.

Si le crime de l'avoir provoquée retombe sur lui, et sur lui seul, il faut convenir aussi que lui seul étoit capable de la repousser, et d'apporter le remède au mal qu'il avoit fait. La guerre étoit son véritable élément. Il recueilloit en-deçà du Rhin les restes de ses braves légions; il appeloit sous les drapeaux les conscrits de 1814 et de 1815; il retiroit ses troupes d'Espagne; il recomposoit une armée avec la même facilité et la même promptitude qu'un de ses lieutenants la faisoit manœuvrer. Il avoit deux cent mille hommes sous les armes au commencement de l'année 1814.

N'en doutons pas: avec cette armée, trois fois moins nombreuse que celles des alliés, il les eût battues et repoussées, s'il avoit été secondé par l'esprit public, s'il n'avoit pas aliéné le cœur de la grande majorité de la nation, si les talents et l'activité qu'il déploya dans ces terribles circonstances n'avoient pas été paralysés par le découragement général. Malheureusement pour nous et pour lui, l'étranger étoit ap

(1) Ce discours est si décousu, si incohérent, si extravagant, en un mot, qu'on seroit tenté de le croire sorti de la bouche d'un homme renfermé aux Petites-Maisons. Dans ses discours, comme dans ses actions, Napoléon réunissoit tous les contraires. Rien ne ressembloit moins au Napoléon de la veille que le Napoléon du lendemain.

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