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sèrent de fond en comble les événements du lendemain.

1814.

Entrée

daus

Paris,

Le lendemain 31 mars, jour à jamais mémorable dans les fastes de l'Europe, une armée de deux cent des alliés mille hommes entra paisiblement dans Paris, traversa ses rues, ses boulevards, ses places publiques, au milieu de la foule de ses habitants, qui n'éprouvoient d'autre sentiment que celui de l'admiration pour la bonne tenue, la discipline et la sécurité de ces guerriers qui, la veille encore, ne respiroient que sang et pillage. Leur marche, depuis la barrière St.-Martin jusqu'aux Champs-Élysées, avoit l'air d'une magnifique parade, ou plutôt d'une entrée triomphale imaginée pour le plaisir de nos yeux, et dans laquelle les vainqueurs et les vaincus ne paroissoient qu'un seul peuple confondu dans le même sentiment.

Il faut le déclarer hautement: malgré les murmures de quelques vanités blessées, les princes alliés déployèrent, dans le cours de cette guerre et au terme de leur prospérité, une modération, une noblesse, un caractère de grandeur dont nous étions loin de leur avoir donné l'exemple : ils vouloient la paix pour prix de la victoire, comme ils avoient obtenu la victoire sans user des droits de la guerre ; ils vouloient se montrer dignes d'un siècle dont ils apprécient les lumières, et d'une nation dont ils ambitionnent l'estime.

;

Dans aucun temps, peut-être, on ne vit des vainqueurs plus généreux et des vaincus plus satisfaits dans aucun temps une paix plus franche et plus promptement contractée ne succéda à une guerre plus longue et plus atroce. L'histoire ancienne et moderne n'offre pas une autre journée semblable à celle du 31 mars 1814.

Que faisoit alors Napoléon? nous l'avons laissé sur le

-1814.

chemin de la Lorraine, et marchant vers les frontières. Le 28 mars, il apprit à Vitry-sur-Marne que les alliés, au lieu de le poursuivre, comme il s'y attendoit, marchoient à grandes journées sur Paris; c'étoit ce qu'il craignoit le plus au monde. Dès-lors il perdit de vue le projet d'aller s'emparer de la capitale de l'Autriche, et ne songea plus qu'à sauver la sienne. Il fait faire volteface à son armée, lui donne l'ordre de le suivre; prend les devants de toute la vitesse de ses chevaux, arrive à Troyes le 29, le 30 à Fontainebleau; et, sans s'arrêter, et accompagné seulement de deux aides-de-camp, il poursuit sa route, il arrive à neuf heures du soir à la Cour de France (1). Tout ce qu'il vouloit, c'étoit d'arriver à Paris, à quelque prix que ce fût; c'étoit d'y entrer avant les alliés; et l'on frémit à l'idée des malheurs que l'accomplissement de ce projet eût en

traînés.

Pendant qu'il relayoit, un officier-général, qui venoit au grand galop de Paris, lui apprend que tout est fini, que la ville est rendue, que les ennemis sont maîtres de tous les postes extérieurs, et qu'il court les plus grands dangers, s'il fait un pas de plus en avant. En finissant ce rapport, le général lui présente les articles de la capitulation.

L'incrédulité, l'étonnement, la fureur, la vengeance se succédèrent rapidement dans l'ame de Napoléon. L'incrédulité fut la plus forte. Il ne voulut rien croire; il voulut au moins s'assurer de la vérité par ses yeux: il donnoit l'ordre du départ, lorsque deux autres

(1) Poste royale, à six lieues de Paris.

officiers arrivent et certifient le rapport du premier. Cette confirmation lui rendit tout son sang-froid: Hé bien, dit-il, ma capitale est dans mon armée. Et il reprit tranquillement le chemin de Fontainebleau.

Le lendemain, il fit mettre à l'ordre du jour le bulle

tin suivant:

31 mars 1814.

« L'occupation de la capitale par l'ennemi est un malheur qui afflige profondément le cœur de sa majesté, mais dont il ne faut pas concevoir d'alarmes. La présence de l'empereur avec son armée aux portes de Paris, empêchera l'ennemi de se porter aux excès accoutumés dans une ville si populeuse, et qu'il ne sauroit garder sans rendre sa position très dangereuse.

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Ce ne fut nullement à la crainte de Napoléon et de son armée, mais bien à la générosité des empereurs d'Autriche et de Russie, que les Parisiens furent redevables de la modération que les alliés montrèrent dans cette première invasion. L'ivresse que leur présence avoit excitée le matin fut portée le soir à son comble, lorsque chacun lut sur tous les murs l'affiche suivante :

"

DÉCLARATION.

Paris, 31 mars, trois heures après midi.

Les armées des puissances alliées ont occupé la capitale de la France. Les souverains alliés accueillent le vœu de la nation françoise : ils déclarent :

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Que, si les conditions de la paix devoient renfermer de plus fortes garanties lorsqu'il s'agissoit d'enchaîner l'ambition de Buonaparte, elles doivent être plus

1814.

Déclaration généreuse des

alliés.

1814.

favorables lorsque, par un retour vers un gouvernement sage, la France elle-même offrira l'assurance de ce repos;

« Les souverains alliés proclament en conséquence Qu'ils ne traiteront plus avec Napoléon Buonaparte, ni avec personne de sa famille ;

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Qu'ils respectent l'intégrité de l'ancienne France, telle qu'elle a existé sous ses rois légitimes. Ils peuvent même faire plus, parcequ'ils professent toujours le même principe que, pour le bonheur de l'Europe, il faut que la France soit grande et forte;

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Qu'ils reconnoîtront et garantiront la constitution que la nation françoise se donnera. Ils invitent par conséquent le sénat à désigner un gouvernement provisoire, qui puisse pourvoir aux besoins de l'administration et préparer la constitution qui conviendra au peuple françois.

« Les intentions que je viens d'exprimer me sont communes avec toutes les puissances alliées.

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« Par Sa Majesté impériale,

« Le secrétaire d'état comte de NESSELRODE. »

Le 1er avril, le prince de Talleyrand (1), en sa qualité de grand-électeur, convoqua le sénat au lieu de ses séances ordinaires. Pour imprimer à cette assemblée le double caractère de liberté et de solennité qu'elle devoit

(1) Ce fut chez le prince de Talleyrand que l'empereur Alexandre prit son domicile en arrivant à Paris.

avoir dans d'aussi graves circonstances, les troupes
étrangères qui remplissoient la ville (1) reçurent l'ordre
de ne pas approcher du Luxembourg. Jamais le sénat
n'avoit été appelé à délibérer sur un objet plus impor-
tant; jamais il n'avoit été plus libre dans ses délibéra-
de mots
tions. Le prince grand-électeur expliqua en peu
les motifs et le sujet de la convocation, et proposa,
1o D'établir un gouvernement provisoire, composé
de cinq membres;

2o De nommer une commission chargée de faire une
constitution qui pût convenir au peuple françois.
Ces deux propositions ne souffrirent pas la moindre
difficulté. Les opinions furent unanimes.

Le sénat procédant ensuite et sans délai à l'établissement du gouvernement provisoire, nomma le prince de Talleyrand président; et membres MM. l'abbé de Montesquiou, le duc Dalberg, le comte de Jaucourt et le comte de Beurnonville.

1814.

ce de Na

Le lendemain, 2 avril, le sénat, convoqué de nou- Déchéanveau, prit un arrêté que son importance exige que polcon. nous rapportions textuellement.

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K LE SENAT CONSERVATEUR,

« Considérant que dans une monarchie constitutionnelle, le monarque n'existe qu'en vertu de la constitution ou du pacte social, que Napoléon Buonaparte, pendant quelque temps d'un gouvernement ferme et prudent, avoit donné à la nation des sujets de compter pour l'avenir sur des actes de sagesse et de justice;

(1) Le nombre des troupes étrangères qui entrèrent à Paris le 31 mars s'élevoit à deux cent mille hommes, tant infanterie que cavalerie.

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