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1814.

Napo

compter sur nous et sur toute l'armée : VIVE L'EMPEREUR! Ce cri étoit sincère. Toute la garde lui étoit dévouée; dans leur enthousiasme militaire, tous ses officiers renouvelèrent le serment de vivre et de mourir avec lui. Mais sur quoi peut-on compter dans les révolutions? La plus petite cause, le moindre incident suffisent pour déconcerter les mesures les plus sages, et changer les opinions les plus décidées. Cette garde si fidéle fut ébranlée tout-à-coup, et tomba dans une morne consternation en apprenant les nouvelles de la déchéance de l'empereur, et de la défection du maréchal Mar

mont.

Le décret du sénat qui déclaroit la déchéance de l'empereur ne l'inquiéta pas d'abord. Il connoissoit mieux que personne par quels foibles motifs le sénat se laissoit conduire. Mais la défection de Marmont pouvoit être contagieuse et funeste à ses intérêts. Il le sentit et autant pour en connoître les effets que pour les prévenir, le 3 avril il appela dans son cabinet les maréchaux Ney, Moncey, Oudinot et Lefebvre. Ils parurent devant lui avec un air contraint, qui ne leur étoit pas ordinaire, mais qui donnoit à leurs physionomies je ne sais quel mélange du respect qu'ils étoient accoutumés à lui porter,avec la résolution qu'ils avoient déja prise de se soumettre à la décision du sénat.

Napoléon devina leur pensée tout entière, et ne léon son- parut pas s'en douter. Il leur parla de sa position sans lieute- bravade et sans chagrin : il proposa ses moyens de dénants. fense, et leur développa son plan avec autant de calme

de ses

que de précision. Les maréchaux l'écoutèrent avec attention, ne firent aucune objection, gardèrent un

profond silence. « Hé bien, reprit-il avec impatience, à quoi pensez-vous donc? Ne m'avez-vous pas entendu? Ne suis-je plus au milieu de mes braves? Que signifient votre silence et ces regards consternés? Je veux qu'on s'explique rien ne vous empêche de le faire avec liberté. »

:

Puisqu'il faut s'expliquer franchement, dit alors le maréchal Lefebyre, la nation vous rejette, le sénat a prononcé votre déchéance.

« Voilà ce qui s'appelle parler, en effet, avec franchise, répliqua Napoléon, sans laisser paroître aucune émotion. La nation me rejette, dites-vous ! Qu'appelezvous la nation? Qu'est-ce que cela signifie? Qui a prononcé cette sottise? « Le sénat, dit le maréchal Ney. » Le sénat ne fut jamais l'organe de la nation, et quand il le seroit dans ce moment, mon armée n'est pas obligée de se soumettre à ses décrets. Mes généraux nẹ doivent pas m'abandonner, ils ne me laisseront pas à la discrétion de mes ennemis. »

« Ce n'est pas non plus leur dessein, dit le maréchal Oudinot... » A ces mots il les congédia brusquement.

L'humeur le gagnoit. Le mot de déchéance, la conduite du sénat, la défection de Marmont lui donnoient plus d'inquiétude qu'il n'en vouloit laisser paroître. Il dissimula tant qu'il put: mais ne pouvant plus se contraindre, le lendemain il mit à l'ordre du jour le manifeste suivant.

1814,

4 avril 1814.

Son

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justifica.

L'empereur remercie l'armée pour l'attachement manifeste qu'elle lui témoigne, et principalement parcequ'elle tif.

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reconnoît que la France est en lui et non pas dans le peuple de la capitale (1).

« Le soldat suit la fortune et l'infortune de son général, son honneur et sa religion.

« Le duc de Raguse n'a pas inspiré ces sentiments à ses compagnons d'armes. Il est passé aux alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche; il ne peut accepter la vie, ni la liberté de la merci d'un sujet.

« Le sénat s'est permis de disposer du gouvernement françois : il a oublié qu'il doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse maintenant : que c'est lui qui a sauvé une partie de ses membres de l'orage de la révolution, tiré de l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation.

« Le sénat se fonde sur les articles de la constitution pour la renverser. Il ne rougit pas de faire des reproches à l'empereur, sans remarquer que, comme premier corps de l'état, il a pris part à tous les événements. Il est allé si loin, qu'il a osé accuser l'empereur d'avoir changé des actes dans la publication. Le monde entier sait qu'il n'avoit pas besoin de tels artifices. Un signe étoit un ordre pour le sénat, qui faisoit toujours plus qu'on ne desiroit de lui.

« L'empereur a toujours été accessible aux sages remontrances de ses ministres, et il attendoit d'eux, dans

(1) La France n'étoit pas plus alors qu'aujourd'hui dans le peuple de la capitale; mais elle étoit encore moins en lui. Si ce mot, qu'il avoit emprunté de Louis XIV, avoit paru déplacé dans la bouche d'un des plus grands rois de l'histoire moderne, qu'étoit-il dans la sienne?

cette circonstance, la justification des mesures qu'il avoit prises.

« Si l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et les discours publics, alors l'empereur a été trompé; mais ceux qui ont tenu ce langage doivent s'attribuer à euxmêmes la suite funeste de leurs flatteries.

« Le sénat ne rougit pas de parler des libelles publiés contre les gouvernements étrangers! Il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein.

« Si long-temps que la fortune s'est montrée fidéle à leur souverain, ces hommes sont restés fidéles; et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du pouvoir.

<< Si l'empereur avoit méprisé les hommes, comme on le lui a reproché, alors le monde reconnoîtroit aujourd'hui qu'il a eu des raisons qui motivoient son mépris. Il tenoit sa dignité de Dieu et de la nation. Eux seuls pouvoient l'en priver (1). Il l'a toujours considérée comme un fardeau : et lorsqu'il l'accepta, ce fut dans la conviction que lui seul étoit à même de la porter dignement. Son bonheur paroissoit être sa destination (2); aujourd'hui que la fortune s'est décidée contre lui, la volonté de la nation seule pourroit le persuader de rester plus long-temps sur le trône (3).

«S'il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait volontiers ce dernier sacrifice à la France : il a, en conséquence, envoyé le prince de la Moskowa et

(1) Eux seuls! Dieu et la nation! Singulière accolade dans ce temps-ci.

(2) Nous ne savons pas si cette dernière phrase a un sens quelconque, mais nous n'avons pu le comprendre.

(3) Maladroite hypocrisie!

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des alliés

les ducs de Vicence et de Tarente (1) à Paris, pour entamer des négociations. L'armée peut être certaine que son bonheur ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France. »

Les négociations dont il s'agit ici avoient pour objet, de la part de Napoléon, de placer sur la tête de son fils la couronne, qu'il abandonnoit à ce prix.

Ses propositions furent rejetées. Les alliés, le gouvernement provisoire et le sénat avoient résolu, de concert, de ne plus écouter de la part de Napoléon d'autres paroles que celles de son abdication, et d'éviter désor mais avec le plus grand soin d'entrer dans aucune discussion, qui pourroit laisser la moindre incertitude sur leurs intentions, et jeter la plus petite alarme dans les esprits.

Le général baron de Sacken, nommé gouverneur Conduite de la place, fit afficher le 3 avril : « que les barrières à Paris. étoient ouvertes, que la circulation étoit rétablie, que les ordres les plus sévères et les plus précis étoient donnés pour amener et protéger les arrivages des subsistances et autres objets de consommation nécessaires à Paris ».

Le maréchal Barclay-de-Tolly fit en même temps mettre à l'ordre du jour de l'armée autrichienne :

<< Les François sont nos amis. Que vos armes détruisent le petit nombre de malheureux qui entourent l'ambitieux Napoléon, mais que le cultivateur, que l'habitant paisible des villes soient traités avec considération et amitié, comme des alliés unis par les mé

mes intérêts. »

(1) MM. Ney, Caulaincourt et Macdonald.

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