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violentes du grand-visir, saisissant le moment où le général Kléber, accompagné de l'architecte Protain, traversoit une terrasse attenante à sa maison, s'élança sur lui, et le poignarda avec une arme empoisonnée.

Le général Kléber, dont les grandes qualités comme général étoient relevées par tous les avantages qui plaisent aux yeux, par une haute stature, une belle physionomie, un regard fier et pénétrant, étoit alors âgé de cinquante ans. Il emportą dans la tombe l'estime même des ennemis de la France, et les regrets de toute l'armée.

Le général Menou prit sa place, sans en avoir nì l'esprit ni le talent. Il affecta même de blâmer et de contrarier toutes les vues de son prédécesseur, Croyant pouvoir gagner l'affection des musulmans, il adopta leur culte et leurs cérémonies, et ne réussit, par cette étrange apostasie, qu'à exciter le mépris de son armée, dont il s'étoit déja aliéné le cœur par ses manières inquiètes et son caractère soupçonneux.

Le 21 mars 1801, il osa attaquer auprès d'Alexandrie une armée angloise qui venoit de débarquer sous les ordres du général Abercrombie. Il fut repoussé avec une grande perte, et rejeté dans la ville, qui fut aussitôt assiégée et vivement pressée par les Anglois et par les Turcs, M. Menou n'avoit aucun moyen de résistance. Son armée étoit affoiblie et découragée: il n'attendoit plus de secours de la France. Que pouvoit-il faire? se sacrifier sans gloire et sans utilité? il aima mieux capituler; et la capitulation stipuloit que les François évacueroient sur-le-champ l'Égypte, sur des vaisseaux que les Anglois s'engageoient à leur fournir.

Telle fut la triste issue de cette fameuse expédition,

1801.

1801,

Bataille de HohenLinden.

qui, dans son principe, devoit frapper au cœur le commerce de l'Angleterre, ouvrir l'ancien passage des riches contrées de l'Inde, dédommager la France de la perte de ses colonies occidentales, et rendre sa première splendeur au berceau des sciences et des arts.

Le général Moreau vengeoit la gloire de son pays dans les plaines de Hohenlinden.Le 3 décembre 1800, l'armée autrichienne, commandée par l'archiduc Jean, et forte de quatre-vingt mille hommes, attaqua l'armée françoise, fut battue complétement, et laissa sur le champ de bataille six mille morts, dix mille prisonniers, quatrevingts bouches à feu et deux cents caissons. Digne de ce triomphe par sa modestie, le général en chef en fit honneur à ses braves compagnons d'armes, les généraux Grouchy, Bonnet, Ney, Grand-Jean et Decaen: il ne laissa éclater sa joie que par ces paroles, si simples et si vraies dans sa bouche: « Mes amis, vous avez conquis la paix ; c'est la paix que nous venons de faire. »

Douze jours après, le général Decaen entroit dans Salzbourg par la rive droite de la Salza, tandis que le général Lecourbe y pénétroit par la rive gauche. L'occupation de cette ville et le passage de la Salza décidoient du sort de l'Autriche. La cour de Vienne, effrayée, demanda une suspension d'armes. Le général Moreau répondit qu'il ne l'accorderoit que dans le cas où l'empereur consentiroit à faire la paix avec la France sans le concours de l'Angleterre, et donna quarante-huit heures pour la réponse. La réponse fut favorable. Le 25 décembre, la convention d'armistice fut signée à Steyer, et le 9 février suivant la paix fut signée à Lunéville.

Depuis six semaines cette ville avoit été désignée pour le lieu des négociations relatives à cet heureux

1801.

ville.

événement. M. le comte de Cobentzel s'y étoit rendu au nom de l'empereur, et le citoyen Joseph Buonaparte Paix de au nom du premier consul. Les premières conférences Luné se passèrent en discussions sans fin comme sans intérêt; et les autres se seroient probablement terminées sans résultat, si la victoire d'Hohenlinden n'avoit coupé court à toutes les difficultés.

Par l'article 2 de ce traité, l'empereur confirme, de la manière la plus solennelle, la cession de la Belgique à la France, et renonce, tant en son nom qu'au nom de ses successeurs, à tous ses droits et titres auxdites provinces.

Par l'article 6, S. M. l'empereur et roi consent, tant en son nom qu'en celui de l'empire germanique, à ce que la république françoise possède désormais, en toute souveraineté, les pays et domaines situés sur la rive gauche du Rhin, qui faisoient partie de l'empire germanique.

Par l'art. 5, le grand-duc de Toscane renonce, pour lui et pour ses successeurs, au grand-duché de Toscane et à l'île d'Elbe, en faveur de l'infant duc de Parme.

Par l'article 12, S. M. impériale renonce pour elle et ses successeurs, en faveur de la république cisalpine, à tous les droits et titres qu'elle pouvoit avoir avant la guerre sur tous les pays qui, aux termes du traité de Campo-Formio, font actuellement partie de ladite république.

De son côté, la république françoise consent, par l'article 3, à ce que l'empereur et roi posséde, en toute souveraineté et propriété, l'Istrie, la Dalmatie, les îles vénitiennes, les bouches du Cattaro, la ville de Venise et pays compris entre les états héréditaires de S. M., mer Adriatique et l'Adige.....

la

1801,

Cette paix garantissoit à la France, en outre, les comtés d'Avignon et de Nice, le duché de Savoie et la principauté de Monaco. La France eut pour frontières l'embouchure de l'Escaut, le Rhin, le Jura, les Alpes et les Pyrénées. Cet immense agrandissement, qui augmentoit d'un quart et le territoire et la population de l'ancien royaume, rompit évidemment cet équilibre de puissance, pour lequel on avoit versé tant de sang depuis le traité de Westphalie, et devoit porter l'inquiétude dans tous les cabinets; mais, d'un autre côté, les victoires de Marengo et de Hohenlinden imposoient silence à toutes les rivalités. La considération militaire de la France, qui s'étoit presque perdue sous les deux derniers régnes, étoit alors portée plus haut qu'elle ne l'avoit jamais été sous Louis XIV. L'Espagne, fidéle à ses traités, fournissoit à la France des hommes et des subsides. Les nou→ velles républiques de Hollande, de Suisse, de Gênes et de Lombardie paroissoient dévouées à la puissance qui les avoit créées, et formoient autant de boulevards autour de ses frontières. Telle étoit, en un mot, la prépon dérance que la France avoit acquise en Europe, depuis moins de deux ans, qu'il n'y avoit plus que sa modéra tion qui servît de garantie contre elle-même.

Le traité de paix de Lunéville fut suivi de plusieurs autres traités avec les rois de Naples, de Suède et de Portugal; avec la Porte ottomane, avec l'empereur de Russie, avec la régence d'Alger et celle de Tunis. Buonaparte avoit besoin de quelques jours de paix pour or ganiser son gouvernement, et pour justifier le titre de pacificateur, qu'il étoit alors jaloux d'unir à celui de conquérant: quand il aura besoin de la guerre, soit pour étendre sa domination, soit pour satisfaire un caprice,

il saura bien trouver les moyens et de la recommencer, et d'en rejeter la cause sur ses ennemis.

Quoi qu'il en soit, pendant ce trop court intervalle de paix, la France conçut de hautes espérances, oublia tous ses maux passés, vit luire quelques jours de bonheur, et crut voir dans les institutions qu'on lui promettoit, dans l'activité du premier consul, dans les soins qu'il donnoit aux affaires publiques, dans le choix des hommes qu'il appeloit autour de lui, dans les encouragements qu'il accordoit aux arts et à l'industrie, dans les travaux qu'il ordonnoit, soit pour la réparation des canaux et des routes, soit pour les embellissements de Paris, etc., autant de gages de sa future prospérité et l'accomplissement de ses destinées.

Ce fut aussi le moment où Buonaparte, que n'avoient pas encore enivré ses flatteurs et ses conquêtes, recueillit, pour la première et la dernière fois, le prix de ses glorieux succès, dans les hommages sincères que lui rendirent les grands dignitaires de l'état, et dans la rcconnoissance presque unanime de la nation.

Pourquoi sommes-nous obligés d'ajouter que ce fut encore le moment où sa sûreté personnelle fut plus souvent compromise par des complots que formèrent contre sa vie des hommes de partis contraires, des hommes aveugles dans leurs ressentiments et coupables dans leurs moyens; des hommes qui n'avoient entre eux rien de commun qu'une haine violente contre celui qu'ils regardoient, les uns comme l'ennemi de leur prétendue république, et les autres comme l'usurpateur du trône des Bourbons?

1801.

Lueurs d'espé

rance.

Complots

contre la

vie du premier

Les complots qui tendent à renverser un gouvernement nouveau ne sont point des crimes de tous les consul.

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