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roient une pension annuelle de trente-six mille francs, et leurs veuves une pension de six mille francs.

La troisième affectoit le palais du Luxembourg et ses dépendances à la chambre des pairs, tant pour y tenir ses séances que pour le logement des officiers.

La quatrième affectoit le palais Bourbon aux séances de la chambre des députés, et déclaroit que le traitement dont les anciens députés au corps législatif avoient joui jusqu'alors leur seroit continué pendant le temps qui restoit à écouler de leurs fonctions.

Les pairs et les députés prêtèrent ensuite serment de fidélité entre les mains du roi ; et immédiatement après, sa majesté descendit de son trône et retourna aux Tuileries au milieu des signes les plus éclatants de l'alégresse publique.

Nous nous sommes arrêtés avec complaisance sur les détails de cette journée, et parcequ'elle nous a laissé de profonds souvenirs, et parceque nous n'avançons qu'avec peine vers celles qui l'ont suivie.

Un étranger qui, sans connoître la France, eût assisté à la séance royale du 4 juin, auroit pu croire que tous les assistants étoient animés du même esprit, et ne formoient qu'un seul vou; car tous applaudirent avec les mêmes transports au discours plein de sagesse, de convenance et de dignité que le roi prononça. Mais qu'il s'en falloit que tous ces hommages publics fussent également sincères, également désintéressés!

Les partisans de l'ancien régime, émigrés, ducs et hauts barons, en applaudissant, rêvoient le retour de leurs priviléges.

Les partisans de l'empereur déchu, sénateurs, maré

1814.

symptô

chaux et députés, applaudissoient, en rêvant aux 1814. moyens de conserver ou de regagner leurs dotations. Premiers Les hommes coupables des excès de la révolution, mes de républicains, jacobins et libéraux, applaudissoient à mécon- l'amnistie généreuse qu'on leur offroit, et rêvoient aux ment. moyens de s'en passer.

tente

La charte, qui, ce jour-là, obtint et méritoit autant d'applaudissements que le discours du roi, ne fut, dès le lendemain, qu'un sujet de discorde, une pierre d'achoppement, et une énigme pour tout le monde.

Cette charte étoit peut-être un excellent code politique, et le meilleur qu'on pût donner à une nation moins inquiéte que la nôtre : mais, abusés que nous étions, depuis vingt-cinq ans, par de fausses promesses, et par des mots vides de sens, nous étions tombés dans une impatience de soumission qui ressembloit fort à la mu

tinerie.

Il arriva que tous les partis étudièrent la charte pour se l'approprier, et se l'approprièrent pour la modifier ou la renverser. Chacun prétendit l'expliquer à sa manière: chacun la blåmoit ou la préconisoit, selon qu'il y voyoit ou n'y voyoit pas ses opinions : chacun se mettoit à la place du roi, gouvernoit l'état, jugeoit les ministres, administroit les finances, et arrangeoit les cabinets de l'Europe à sa fantaisie; et au milieu de ces talents universels, de ces vanités pointilleuses, de ces discussions bruyantes, de ces tiraillements séditieux, l'esprit du gouvernement s'égaroit, sa force morale s'affoiblissoit, les partis se fortifioient de toute la foiblesse qu'il laissoit voir, et profitoient de toutes les fautes qu'ils lui faisoient commettre.

Il ne faut pas se dissimuler que, par l'effet de la ré

1814.

ceux que

la

Change

volution, les hommes les plus disposés à l'obéissance veulent examiner aujourd'hui les titres de ceux force ou la Providence a établis au-dessus d'eux pour ment opé les gouverner, et que les royalistes, comme les libé- ré dans les raux, veulent savoir pourquoi ils obéissent.

Il y auroit ou trop de simplicité, ou trop de mauvaise foi à soutenir que tant de scènes orageuses, tant de discussions politiques, tant d'emplois livrés à l'exercice de tous, tant d'écrits bons ou mauvais sur la politique et l'administration, tant de rivalités, tant de frottements entre toutes les opinions, ont laissé les esprits dans l'état de soumission, et les gouvernements dans l'état de sécurité où ils étoient en 1788.

Nous avons subi un grand changement dans nos opinions, comme dans nos habitudes; c'est un fait. En sommes-nous plus heureux? c'est une autre question.

Si nous exceptons quelques milliers d'individus que la révolution a comblés de biens et d'honneurs, tout le monde se plaint aujourd'hui, les uns du mal que la révolution leur a fait, les autres de celui qu'une contrerévolution peut leur faire.

Les gouvernements se plaignent de l'indocilité des peuples, et les peuples se plaignent de l'instabilité des gouvernements.

Les pauvres se plaignent de la dureté des nouveaux riches, et ceux-ci se plaignent de l'insolence des pau

vres.

Les vieillards se plaignent de la présomption des jeunes gens, qui savent tout sans avoir rien appris. Les jeunes gens se plaignent de l'obstination des vieillards, qui croient tout savoir, parcequ'ils n'ont rien oublié.

mœurs.

1814.

Etat de

souffrance de la

Esprit militaire.

Les maris se plaignent du luxe et de la dissipation que la révolution a introduits dans leurs ménages. Les femmes se plaignent de l'abandon dans lequel elles sont délaissées, depuis que les discussions politiques ont tourné la tête à leurs maris.

Si de ces plaintes particulières nous nous élevons à de plus hautes considérations, nous ne pourrons nous empêcher de remarquer que non seulement la France, mais l'Europe entière est dans un état de souffrance, tout-à-fait inconnu il y a trente ans.

Une des causes de cet état de souffrance est dans l'esprit militaire qui est devenu la maladie endémique des gouvernements. L'Europe est un camp. Une population de 150 millions d'habitants fournit aujourd'hui trois millions de soldats, ce qui est précisément le double de ce qu'elle fournissoit avant la révolution.

La force réelle des armées n'est pas dans leur nombre; le nombre n'y fait rien, dès qu'un nombre égal peut lui être opposé.

Avec une armée de 22,000 hommes, César conquit l'empire du monde à Pharsale. Henri IV a conquis le trône de France avec 15,000 hommes.

Excès des Un abus en entraîne d'autres. L'excès des forces miimpots. litaires a produit celui des impôts. On n'interroge plus les nations sur ce qu'elles doivent payer pour défendre leur indépendance, mais sur ce qu'elles peuvent supporter sans succomber. Les propriétaires, en France et en Angleterre, ne sont plus que les fermiers du fisc. Le propriétaire d'une ferme de 100,000 francs de capital, qui ne réunit pas à son revenu celui d'une place ou le

produit de quelque industrie, ne peut ni élever sa famille ni vivre avec aisance (1).

1814.

constitu

tions.

Un troisième vice de notre situation actuelle, c'est Abus des que tout est rapporté aujourd'hui à la société générale, et rien à l'individualité, qui est pourtant le but des associations humaines; par-là l'objet de l'association est interverti. Ce n'est plus pour la société qu'on fait des constitutions, c'est pour les constitutions qu'on forme les sociétés.

Tous les gouvernements que la révolution a donnés à la France ne se sont soutenus que par 'des coups d'état, dont l'action fut toujours rapide, inévitable inflexible. Tandis que les chefs préparoient leurs armes, les individus étoient retenus dans l'isolement par les moyens de surveillance, de police et d'inquisition qu'on exerçoit contre eux. Jamais le pouvoir n'a été plus près du sujet; jamais le sujet n'a éprouvé plus de craintes et de défiances que depuis la publication des droits de l'homme et l'établissement des constitutions libérales. C'est ce qui explique, et en même temps ce qui justifie jusqu'à un certain point l'extrême docilité avec laquelle les François ont obéi tour-à-tour à Mirabeau, à Robespierre, à Barras, à Merlin, à Buonaparte, à tous ceux qui, à l'abri d'une constitution, se sont emparés des rênes du gouvernement.

Dans le fait, il n'y a eu que des dictatures en France depuis le 14 juillet 1789 jusqu'à la rentrée du roi en 1814. Chaque dictateur a commandé, imposé, requis, déplacé tout ce qu'il a voulu. Les hommes passoient,

(1) Congrès de Vienne, par M. de Pradt.

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