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1815.

Projets de Buonaparte.

« Pour l'Autriche, le prince de Metternich et le baron de Wessemberg.

« Pour la France, le prince de Talleyrand, le duc de Dalberg et le comte Alexis de Noailles.

« Pour l'Angleterre, MM. Clancarty, Cathcart, et
Stewart.

« Pour le Portugal, le comte de Palmella, don Antonio
de Saldanha, et don Joaquim Lobo de Silveïra.
« Pour la Prusse, le prince de Hardenberg, le baron
de Humboldt.

« Pour la Russie, le prince de Razoumoffski, le comte
de Stakelberg, et le comte de Nesselrode.

« Pour la Suède, le comte Charles Axel de Locwenhielm. »

Pendant que sous les yeux des plus grands souverains de l'Europe, les plus savants publicistes régloient ainsi les intérêts de cette partie du monde, un homme, un seul homme se disposoit à les bouleverser de nouveau, et vint à bout de sa funeste entreprise.

Que Buonaparte ait sigué de bonne foi ou non son acte d'abdication, c'est ce qu'il importe peu de savoir aujourd'hui. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en le signant il céda à la nécessité, et qu'il ne se crut pas engagé par une loi qui n'engage personne.

On croira facilement qu'il ne déposa pas sans regrets une couronne qui lui avoit coûté tant de peines, et qu'en la déposant il conserva l'arrière-pensée de la recouvrer un jour, si l'occasion se présentoit. On sait que le traité de Paris lui assuroit la conservation de son titre, de ses honneurs, de ses trésors; et tous ces

avantages concouroient à le confirmer dans ses desseins

secrets.

Personne ne savoit mieux que lui prévoir un événement. Personne ne sut mieux lier ensemble un grand nombre d'idées, embrasser dans ses vues un grand espace de temps, et tracer des plans qui auroient paru impraticables à tout autre que lui, et dont le succès, dans ses mains, n'a que trop souvent justifié son audace.

Les premiers jours de son exil furent employés à son établissement. Il aimoit à bâtir: il fit commencer un palais pour lui, des casernes pour ses gardes, des écuries pour ses chevaux, une salle de spectacle pour ses sujets. Il voulut ensuite connoître par ses yeux l'industrie et l'agriculture de ses états; il visita les carrières de marbre, les mines de fer, les ateliers de forgerons, les cabanes de pêcheurs, qu'ils renferment. Il fit planter des arbustes d'Italie dans ses jardins, des mûriers sur les routes, des vignes à sa maison de campagne.

Ces travaux et ces voyages ne l'empêchoient ni de passer fréquemment la revue de son armée de 400 hommes, ni de donner des fêtes brillantes aux dames de Porto-Ferrajo, ni d'écrire les Mémoires de son règne... Mais tout cela n'étoit qu'un jeu d'escamoteur, et le voile officieux qui couvroit ses intrigues en Italie, ses manœuvres en France, et sa correspondance à Vienne.

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tion à l'île

d'Elbe.

De l'île d'Elbe, comme du haut d'un observatoire, Conspirason vaste coup d'œil embrassoit l'Europe entière, mais se fixoit principalement sur Vienne, sur Milan, sur Paris, sur Lyon et sur Grenoble. Il avoit dans toutes ces villes des émissaires adroits qui souffloient par

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tout le feu de la guerre, en répandant par-tout les plus vives alarmes sur le retour du régime féodal, sur les prétentions des émigrés, sur les ressentiments des prêtres, sur la vente des biens nationaux, etc.

Des soldats ambitieux, des sénateurs dégradés, d'anciens conseillers d'état, des femmes corrompues, des espions de police alloient et venoient, sans trop de mystère, de Paris à Lyon, et de l'île d'Elbe à Paris. C'étoit une conspiration d'un genre nouveau, dont les agents ne prenoient pas la peine de se cacher. On savoit qu'ils se rassembloient à Neuilly, à Saint-Leu et dans quelques cafés de Paris, et personne ne les inquiétoit.

Des hommes réprouvés par leurs crimes et marqués du sceau de l'infamie osoient reparoître dans le monde, d'où l'opinion publique les avoit chassés dans les premiers jours de la restauration; ils osoient davantage, ils insultoient périodiquement les prêtres et la religion dans leurs journaux (1); ils traduisoient devant les tribunaux, comme calomniateurs, les royalistes qui dénonçoient leurs complots (2); ils faisoient ouvertement l'éloge de Buonaparte; ils plaignoient les peuples qui ne vivoient plus sous sa domination; ils insultoient les souverains qui avoient contribué à le détrôner; et tout cela, sous le gouvernement d'un prince à la conservation duquel les royalistes auroient sacrifié leurs vies! Et tout cela impunément! Aussi chacun se demandoit

(1) Le Nain jaune,

(2) L'auteur de l'Histoire du 18 brumaire fut traduit, sous le régne de Louis XVIII, devant le tribunal de police correctionnelle, pour avoir déploré l'horrible assassinat du duc d'Enghien, et en avoir signalé les auteurs.

avec inquiétude et saisissement, où sommes-nous ? qu'est-ce qui gouverne? que font les ministres du roi?

Si les ministres ignoroient ces manœuvres criminelles que tout le monde connoissoit, il falloit les renvoyer comme convaincus d'incapacité; s'ils en étoient instruits, il falloit les punir comme coupables de félonie.

Les mois de janvier et février 1815 s'écoulèrent dans les alarmes qui annoncent et précédent les grands orages politiques.

Les nouvelles les plus fâcheuses, et souvent les plus absurdes, circuloient dans les salons, ainsi que dans les ateliers. Les partis se prononçoient pour ou contre la monarchie légitime, avec autant de hardiesse et d'impunité que si nous eussions été dans l'anarchie la plus compléte. Chaque jour les disputes d'opinion dégénéroient en combats singuliers.

Les hommes sages trembloient à la vue de ces symptômes d'une prochaine et funeste catastrophe. Quelques uns d'eux sonnèrent l'alarme; ils ne furent point écoutés (1).

Exactement informé de cet état de choses, Buonaparte prenoit ses mesures pour en profiter. Il avoit fait acheter secrétement deux felouques à Gênes, des armes à Alger, et des munitions de guerre à Naples. On supposa dans le temps qu'il avoit existé entre lui et Murat un système de coopération. Il se complut même à répandre cette nouvelle, dans le dessein de grossir son parti et de gagner des officiers et des soldats. Mais, dans

(1) Le ministre de la maison du roi reçut à cet égard des avis positifs et détaillés, auxquels il ne fit aucune attention.

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Mesures

que prend

Buona

parte.

1815.

Ses mo

pérance.

le fait, il méprisoit l'ingrat roi de Naples, il n'attendoit rien d'un homme qui avoit assez mal connu sa position pour conclure contre son allié nécessaire un traité d'alliance avec ses ennemis naturels. Il ne voulut pas entendre parler à l'île d'Elbe de ce faux frère qui, après avoir été son complice à Madrid et sa créature en Italie, s'étoit déclaré son ennemi, depuis que la fortune l'avoit abandonné. C'est un sot, disoit-il, que les princes désavouent, alors même qu'il se dévoue pour eux. Il ne fonda aucune espérance de ce côté-là. Il comptoit beaucoup sur lui-même et sur son armée. Son armée étoit dispersée; mais il en connoissoit l'esprit, cet esprit étoit son ouvrage. Mes soldats, disoit-il encore, ne seront jamais ceux d'un autre. Il avoit pu la renouveler et la refondre plusieurs fois, l'abandonneren Égypte, en Espagne, en Russie, à Leipsick, sans perdre sa confiance, sans cesser d'être l'objet unique de son dévouement. Cette armée, plusieurs fois réduite à quelques débris, se survécut toujours à elle-même. Un sous-lieutenant, un sergent, un soldat, suffisoient pour pénétrer des masses entières de conscrits de cette idolâtrie de gloire, de cette ardeur des combats, de cet esprit militaire qu'il avoit eu le secret de leur communiquer, qui circuloit dans tous les rangs, et qui animoit tous les grades. C'étoit là le principal fondement de ses espérances, et ce fut la grande cause de ses succès. Son armée étoit dispersée; mais il étoit bien sûr qu'au premier signal elle se réuniroit sous ses drapeaux.

Il comptoit aussi sur l'esprit de réaction qui se manifestifs d'es- toit dans le royaume. Les méprises, les erreurs, les faux calculs, effets de la nonveauté sur des hommes qui, depuis vingt-cinq ans, n'avoient rien appris, ni rien oublié,

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