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occasion de rappeler les grands services qu'il avoit rendus à la patrie, et de présenter sa perte comme le plus grand malheur qui pût arriver à la nation.

On ne fut pas plus d'accord sur les auteurs que sur le but du complot. Il y eut à cet égard deux versions différentes, et toutes les deux officielles. Le préfet de police (M. Dubois) en accusa les jacobins. Le ministre de la police (M. Fouché) en accusa les jacobins et les royalistes.

La vérité est que S. Régent et Carbon, qui furent ar rêtés comme premiers auteurs et fabricateurs de la machine infernale, venoient d'Angleterre, se disoient royalistes, et s'étoient déshonorés par des excès dans la guerre de la Vendée. Ces révélations firent tomber sur le gouvernement anglois et sur le parti royaliste de vagues et odieux soupçons, que la probité de l'histoire doit repousser.

Toute la France fut indignée d'un si lâche attentat. Toute l'Europe en retentit, et l'ascendant de Buonaparte, ainsi qu'on l'avoit prévu, s'en accrut au-dedans comme au-dehors. Il répondit aux premières félicitations qui lui furent adressées par ces paroles qui dévoiloient son secret: Le chef de l'état est toujours sur le champ de bataille.

Il profita habilement de la disposition générale des esprits pour fermer la bouche aux royalistes, et pour dissoudre le parti des jacobins.

Dans son rapport sur cet événement, M. Fouché avoit déclaré que cette guerre atroce ne pouvoit être terminée que par un acte de haute police, et sa propoşition de déporter cent dix individus, qu'il désigna, fut

1801.

1801.

approuvée par le conseil d'état. Peu de jours après quatre-vingt-quatre des individus désignés furent ar

rêtés.

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TribuCe coup d'état, frappé d'une main sûre, fut imménaux spéciaux. diatement suivi de la création des tribunaux spéciaux; reméde malheureusement nécessaire dans de telles circonstances, mais reméde dont on a depuis beaucoup trop abusé. Les motifs de la loi furent présentés avec force, et ses inconvénients palliés avec adresse. L'opposition qu'elle rencontra dans le tribunat fut le dernier cri des partisans du gouvernement républicain. Malgré la défaveur d'une cause qui sembloit se rattacher à celle des factieux, ils défendirent avec une courageuse éloquence l'indépendance des tribunaux; ils déplorèrent vainement le fâcheux échec que cette institution alloit porter à celle des jurés, et ils ne craignirent pas de comparer les tribunaux d'exception aux anciennes cour prévôtales, qui avoient excité contre elles tant de justes réclamations. Les mots de salut public, d'empire des circonstances, ces mots magiques et toujours puissants, tranchèrent la question, et fermèrent la bouche aux opposants.

L'organisation des tribunaux spéciaux mit dans les mains du premier consul l'arme la plus redoutable et la plus sûre pour maintenir l'exercice du pouvoir absolu, que dès-lors il établissoit, malgré l'apparence des formes constitutionnelles qu'il conservoit.

Il ne supporta que très impatiemment ce premier éclat d'un parti d'opposition dans le tribunat. Quelques ménagements qu'eussent gardés les orateurs qui se firent remarquer dans cette discussion, il en fut vivement blessé. Il les considéra et les fit signaler comme

des factieux qui cherchoient à capter la faveur populaire aux dépens de l'intérêt de l'état, et dont les vaines déclamations ne tendoient qu'à jeter du discrédit sur le gouvernement. Il résolut, dès ce moment, de détruire le tribunat, dont il reprochoit la création à l'idéologie de l'abbé Syeyes, et il ne tarda pas à faire disparoître cette dernière ombre du gouvernement représentatif.

Alors il pouvoit impunément entreprendre tout ce qui lui convenoit. Au-dedans, il étoit secondé par les vœux de la nation. Au-dehors, sa politique, qui n'étoit encore qu'adroite, lui ramenoit les esprits, que ses armes avoient effarouchés.

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Par la convention qu'il fit et signa le 1er octobre 1800 avec les Etats-Unis, il assura les droits des neutres leur libre navigation, la sûreté des convois, l'honneur des pavillons respectifs. Ce traité, négocié par MM. de Talleyrand, de Fleurieu et Roederer, est généralement regardé comme un code de droit maritime, et fut accueilli avec reconnoissance par toutes les nations intéressées à l'affranchissement des mers.

1851.

Système

tal.

Il avoit conçu un grand projet, celui d'opposer un système continental au système maritime des Anglois; il continen falloit pour cela leur fermer tous les ports de l'Océan et de la Méditerranée; il falloit associer à son plan les grandes puissances par la persuasion, et les petites par la force; il falloit désaccoutumer l'Europe des jouissances que lui procuroit, depuis trois cents ans, le commerce des deux Indes: malheureusement ces trois moyens étoient impraticables; plus malheureusement encore il les suivit avec une aveugle opiniâtreté, qui fut une des principales causes des grandes guerres qu'il entreprit et

1201.

des grands revers qu'il éprouva. Mais n'anticipons pas sur les événements.

I)

Dans le commencement de son règne, le bonheur accompagnoit tous ses pas. L'empereur de Russie (Paul F) venoit de se brouiller avec les Anglois, auxquels il reprochoit, 1o de s'être emparés de l'île de Malte, aux déFens des chevaliers, dont il s'étoit déclaré le grandmaître; 2° l'inexécution d'un traité de subsides; 3° le refus d'échanger contre des prisonniers françois, des Russes faits prisonniers par les François lors de l'expédition du Helder.

Buonaparte s'empara très adroitement de cette dernière circonstance. Il ordonna qu'on rassemblat dans les départements du nord environ huit mille prisonniers russes; qu'on pourvût abondamment à leurs besoins; qu'on les habillat à neuf et dans l'uniforme du corps auquel chacun d'eux appartenoit ; et qu'ainsi équipés depuis les pieds jusqu'à la tête, ils fussent renvoyés, sans échange, à leur souverain.

Un tel procédé ne pouvoit manquer de réussir auprès de Paul I, déja séduit par l'éclat des victoires des armées françoises; et, satisfait en secret de voir enlever à la maison d'Autriche les conquêtes d'Italie qu'elle ne devoit, disoit-il, qu'aux armes russes et à l'épée de Su

warow.

La politique de ce prince changea tout-à-coup, et suivit les mouvements de son caractère impétueux. Il se rapprocha de la France; il rejeta toutes les avances de la cour de Vienne; il refusa de recevoir le prince d'Auersberg, chargé par cette cour de le faire revenir de ses préventions; il rompit toute mesure avec l'An-, gleterre, et, avant toute déclaration de guerre, il mit

l'embargo sur les vaisseaux et les propriétés que les Anglois, sur la foi des traités, possédoient dans ses vastes états.

1801.

avec la Russie.

Buonaparte, que cette conduite inattendue surprit Alliance agréablement, se hâta d'en exprimer sa reconnoissance, d'abord en donnant l'ordre de traiter avec tous les égards possibles les Russes qui se trouvoient ou qui pouvoient arriver en France; ensuite, en faisant insérer dans le journal officiel un éloge de Paul I, que voici :

« Paul I est le seul souverain qui, dans ces derniers temps, ait suivi les mouvements d'une politique magnanime et désintéressée. Tout a été loyal dans sa conduite ses erreurs même avoient des excuses honorables. Quand il s'est armé contre la France, la France étoit avilie sous un gouvernement oppresseur et méprisé; elle avoit vu s'éloigner le héros qui la couvre maintenant de son égide, et qui la protége de son génie. Un monarque placé aux confins de l'Europe pouvoit donc se méprendre et mal juger des événements que la renommée lui apportoit de si loin à travers tous les cris de la haine et toutes les plaintes de l'infortune: mais ses yeux n'ont pas tardé à s'ouvrir; il a bientôt reconnu que les puissances coalisées, oubliant la cause commune, ne songeoient qu'à leur agrandissement particulier. Il n'a plus voulu prêter ses drapeaux à cette ligue monstrueuse, qui étoit, dit-on, dirigée contre les usurpateurs, et qui a multiplié sur la terre tous les genres d'usurpation.

« Il est revenu à ses véritables intérêts, par les sentiments de la justice et de la dignité. En un mot, l'honneur fut le mobile constant de sa politique; et cet exemple, depuis long-temps perdu dans les cours, ne semble

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