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1815

<< Tous les François, égaux par la constitution, doivent l'être aussi pour la défendre. C'est à eux tous que nous adressons l'appel qui doit les sauver tous. Le moment est venu de donner un grand exemple; nous l'attendons de l'énergie d'une nation libre et valeureuse : elle nous trouvera toujours prêt à la diriger dans cette entreprise, à laquelle est attachée le salut de la France. Des mesures sont prises pour arrêter l'ennemi entre Lyon et Paris.

« Nos moyens suffiront (1), si la nation lui oppose l'invincible obstacle de son dévouement et de son courage. La France ne sera point vaincue par cette lutte de la liberté contre la tyrannie, de la fidélité contre la trahison, de Louis XVIII contre Buonaparte.

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Les deux chambres secondèrent avec zèle et de tout leur pouvoir cet élan que le roi s'efforçoit de donner à l'esprit public. Elles prirent à cet effet des mesures, trop foibles sans doute pour les circonstances, mais dont la sagesse humaine pouvoit encore s'applaudir. Elles décernèrent des récompenses nationales aux militaires qui résisteroient aux invitations, aux promesses et aux menaces des rebelles. Elles rendirent aux officiers réfor

(1) Nos moyens suffiront! Par une erreur qui ne peut être que celle d'un cœur généreux, le roi le pensoit; et si bien, qu'il refusa le secours d'un corps auxiliaire de dix mille hommes que lord Fitz-Roi, ministre plénipotentiaire du roi d'Angleterre, vint lui proposer de la part du prince régent: ce secours pouvoit arriver en six jours des Pays-Bas à Paris, et eût sauvé à la France la honte de retomber sous le joug de l'usurpateur. et à l'Europe les frais d'une seconde croisade pour nous en affranchir. Le roi craignit, en l'acceptant, d'offenser la valeur et la loyauté de l'armée françoise.

més et aux membres de la légion d'honneur la totalité de leurs traitements, qu'une économie mal entendue, ou peut-être des motifs de perfidie avoient réduits de moitié, etc. etc.

Tel étoit alors le bouleversement de toutes les 'idées et de tous les sentiments, que tout le bien qu'on faisoit étoit en pure perte. Les membres de la légion d'honneur et les officiers réformés ne surent point de gré aux chambres ni au roi de la justice tardive qu'on leur rendoit.

Il y eut séance royale le 17 mars. Le roi, entouré des princes de sa famille, des grands officiers de la couronne, des ministres, des pairs de France, prononça dans la chambre des députés le discours suivant:

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Messieurs,

Dans ce moment de crise, où l'ennemi public a pénétré dans une portion de notre royaume, je viens au milieu de vous resserrer encore les liens qui, vous unissant avec moi, font la force de l'état. Je viens, en m'adressant à vous, exposer à toute la France mes sentiments et mes vœux.

« J'ai revu ma patrie : je l'ai réconciliée avec toutes les puissances étrangères, qui seront, n'en doutez pas, fidéles aux traités qui nous ont rendus à la paix. J'ai travaillé au bonheur de nos peuples; j'ai recueilli, je recueille tous les jours les marques les plus touchantes de son amour pourrois-je, à soixante ans, mieux terminer ma carrière qu'en mourant pour sa défense?

« Je ne crains donc rien pour moi; mais je crains pour la France: celui qui vient allumer parmi nous les

1815.

Séance

royale.

Discours

du roi.

1815.

Discours

de

MONSIEUR.

torches de la guerre civile, y apporte aussi le fléau de la guerre étrangère : il vient remettre notre patrie sous son joug de fer, il vient enfin détruire cette charte constitutionnelle que je vous ai donnée, cette charte, mon plus beau titre aux yeux de la postérité; cette charte que tous les François chérissent et que je jure ici de maintenir.

<< Rallions-nous donc autour d'elle; qu'elle soit notre étendard sacré. Les descendants de Henri IV s'y rangeront les premiers, ils seront suivis de tous les bons François. Enfin, messieurs, que le concours des deux chambres donne à l'autorité toute la force qui lui est nécessaire; et cette guerre, vraiment nationale, prouvera, par son heureuse issue, ce que peut un grand peuple uni par l'amour de son roi et de la loi fondamentale de l'état. »

Ce discours, prononcé sans préparation et de premier mouvement, électrisa toute l'assemblée, qui, debout et les mains étendues vers le trône, cria unanimement Vive le roi, nous mourrons pour le roi!

L'assemblée, ayant repris sa place et du calme, un mouvement que fit Monsieur vers le roi commanda le plus profond silence.

Monsieur, après avoir fait un salut profond à sa majesté, dit :

SIRE.

« Je sais que je m'écarte des règles ordinaires en parlant devant votre majesté; mais je la supplie de m'excuser et de permettre que j'exprime ici en mon nom et au nom de toute ma famille, combien nous par

tageons du fond du cœur les sentiments et les principes qui animent votre majesté. »

Le prince, se retournant alors vers l'assemblée, ajouta :

« Nous jurons sur l'honneur de vivre et de mourir fidèles à notre roi et à la charte constitutionnelle, qui assure le bonheur des François. >>

Pendant que l'assemblée tout entière répondoit à ce serment du cœur par de nouvelles acclamations, le roi, profondément attendri, serroit Monsieur dans ses bras. Qui auroit pu résister à un tel spectacle? Tous les cœurs étoient profondément émus; tous les yeux étoient pleins de larmes : hélas! toute la France n'étoit pas moins envahie.

La ville de Sens, où l'on avoit cru par quelques dispositions militaires pouvoir retarder la marche de Buonaparte, lui avoit ouvert ses portes. L'ennemi marchoit sur Fontainebleau, et les troupes de Paris restoient indifférentes, ou ne laissoient apercevoir que le desir d'abandonner leurs drapeaux.

1813.

du

19 mars.

Que ceux qui ne croient pas aux pressentiments nous Journée expliquent pourquoi le 19 mars 1815 (c'étoit un dimanche) fut pour les bons habitants de Paris une des plus tristes journées de la révolution.

Ils ne connoissoient pas encore leur état de situation, et déja ils en éprouvoient toute l'horreur. Ils ne savoient pas que l'ennemi étoit aussi près d'eux, ils ne croyoient pas à la possibilité de son arrivée, et déja une profonde consternation pénétroit tous les cœurs, et se manifestoit sur tous les visages.

La journée étoit pluvieuse, et les rues étoient pleines de monde. L'inquiétude générale ne permettoit à per

1815.

sonne de rester chez soi. On étoit avide de nouvelles, et on craignoit d'en apprendre. On demandoit des faits, on ne répondoit que par des conjectures. Chacun faisoit les siennes. On croyoit tout, on ne croyoit rien. Il n'y a pas de situation plus pénible qu'une telle perplexité. On s'arrange avec un mal connu. Mais tous les réves de l'imagination grossissent, et accompagnent un malheur problématique. Ainsi se passa la matinée

du 19.

A midi nous apprimes que Buonaparte étoit arrivé à Fontainebleau; qu'il n'y avoit pas entre cette ville et Paris un régiment qui osát ou qui voulût l'arrêter; et que le roi n'avoit plus qu'un parti à prendre, celui de quitter promptement sa capitale et de sortir du royaume. Alors tous les voiles furent déchirés, et nous pûmes apercevoir toute l'étendue de nos maux.

Départ Le roi sortit des Tuileries dans la nuit du 19 au 20, du roi et prit la route de Lille. Une heure après, sa maison militaire le suivit, sous les ordres de MONSIEUR et de monseigneur le duc de Berry (1).

La proclamation suivante, insérée dans le Moniteur du 20, nous instruisit de son départ et de ses motifs.

« Louis, par la grace de Dieu, etc.

« La divine Providence, qui nous a rappelé

de nos pères, permet aujourd'hui que ce trône soit

(1) Le duc d'Angoulême étoit à Bordeaux, et le duc de Bourbon dans la Vendée, tous les deux chargés par sa majesté de prémunir les peuples de l'ouest et du midi contre les séductions de Buonaparte ou de les armer contre ses émissaires.

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