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tenir, à la place de l'estime des lois, une sorte d'illusion 1799. quivoile leurs imperfections, et les rend recommandables par l'obscurité de leur origine et par l'appareil de l'autorité qu'on leur attribue (1).

Mais si un incident soudain vient à porter l'atteinte, même la plus légère, à un édifice aussi mal étayé, toutes les parties qui le composent s'ébranlent à-la-fois, et l'état s'écroule sur ses fonderients. Dans ce désastre, la destruction la plus irreparable est celle des illusions qui avoient si long-temps reculé la catastrophe.

En vain chercheroit-on.a rassembler les débris épars des institutions abolies rien ne peut faire renaître l'ancien prestige qui avoit maintenu leur caducité. L'ordre ne peut se rétablir que sur de nouveaux éléments, et le respect des lois doit être le résultat d'un prestige

nouveau.

4o Lorsque de vieilles institutions sont détruites, plus elles étoient anciennes, et plus il seroit vain de chercher à les rétablir. A leur chute soudaine s'effacent toutes les impressions de respect qui avoient leur source dans les souvenirs. Le temps passé ne rappelle plus à l'esprit que des idées d'ignorance et de barbarie: les temps modernes ne le ramènent qu'à des idées de mécréance, de ruines et de caducité. Tout ce qui étoit vénérable n'est plus que fabuleux. Une monarchie de mille quatre cents ans, une fois détruite, ne reparoît plus que dans l'histoire ; et il n'y a pas jusqu'au genre d'intérêt qu'une grande et longue infortune inspire qui ne soit un obstacle à son rétablissement.

(1) C'est la cause qui empêche les Anglois de remédier aux vices de leur constitution, parceque ces vices tiennent de trop près aux institutions fondamentales de l'état, et qu'ils craignent avec raison que celles-ci ne soient ébranlées par la réforme de ceux-là.

5° Lorsqu'un peuple a détruit toutes ses institutions, son retour lent ou soudain à ses anciennes mœurs n'a rien qui annonce son retour à ses anciennes lois. Il a détruit ses institutions, parcequ'elles n'étoient plus d'accord avec ses mœurs ; il a changé ses lois, parceque des lois peuvent être changées; et il revient à ses anciennes mœurs, parcequ'on ne change pas de mœurs en aussi peu de temps qu'on en met à refaire des lois ou des institutions politiques.

En appliquant ces principes aux événements passés et à la situation actuelle de la France, on trouvera facilement l'explication de l'origine de la révolution, des désordres qui l'ont accompagnée, et des symptômes progressifs de la décadence et de la restauration de la monarchie.

Qui le croiroit? ce fut à un monarque que ses confesseurs rendirent intolérant, et ses ministres despotique, ce fut à sa magnificence, à ses créations, à son goût pour les lettres, pour les arts, pour la guerre, que les vieilles institutions de la monarchie ont dû, sinon leurs premières atteintes, au moins celles qui, les premières, les ont sensiblement ébranlées.

1799.

et con

merce.

Louis XIV consomma l'abaissement politique de la no- Industrie blesse (1). En favorisant les établissements de commerce et d'industrie, il éleva une nouvelle puissance dans la monarchie, celle des capitalistes et des négociants,

En comblant de bienfaits et de considération les artistes et les gens de lettres, il en composa une classe distinguée, à laquelle il ne crut attribuer que la surinten

(1) Abaissement commencé par Louis XI, et continué par le cardinal de Richelieu.

1799.

dance des productions du goût et du talent; mais qui, par une pente irrésistible et un effet nécessaire, devint, cinquante ans plus tard, la régulatrice de l'opinion et le guide de l'esprit humain. Sans le vouloir, et sans le savoir, il diminua l'inégalité des conditions; le faste des grands seigneurs avoit disparu: celui de la cour éclipsa toutes les magnificences particulières.

Les guerres éternelles de ce monarque l'obligèrent d'outrer la force des armées permanentes et le poids des impositions, de ruiner ses finances, et de léguer une dette énorme à son successeur. Le crédit public et le commerce devinrent des barrières que le despotisme ne put franchir, et des autorités qu'il fut obligé de ménager. Un habile et opulent financier acquit à Versailles une considération égale à celle d'un duc et pair. Les progrès de la sociabilité s'étendirent, les rangs se rapprochèrent, les avantages de l'éducation se généralisèrent.

Ainsi les anciennes proportions entre les différentes classes de la société changèrent essentiellement. A la fin du règne de Louis XV, il n'y avoit pas plus de rapport

entre les trois ordres de l'état et leur existence relative sous Louis XII, qu'il n'y en avoit entre la puissance de Philippe-Auguste et celle de Louis XVI.

Ainsi, la première, la plus ancienne et la plus importante cause de la révolution a été l'action du système industriel et commercial de tous les peuples de l'Eu

rope.

Cette cause agissant puissamment, avec continuité et uniformité sur toutes les classes de la société, en a lentement, mais progressivement changé les mœurs. Elle a donné d'abord une impulsion générale au desir de posséder et de jouir : elle a ouvert une route large et

facile dans toutes les carrières de l'émulation et de l'industrie; elle a relevé par-tout l'importance de la richesse; elle a rabaissé celle de l'orgueil, qui n'étoit fondé que sur des titres ; elle a introduit dans les classes, auparavant inégales, une manière égale de penser, de sentir et de vivre; elle a effacé les nuances d'éducation, de qualités, de talents et de vertus qui résultoient de la différence d'origine; elle a généralisé, en un mot, l'esprit, les usages et le caractère des classes, et les individus ont été beaucoup moins remarqués à raison de la caste à laquelle ils appartenoient, qu'à raison de la condition dans laquelle ils vivoient, et du degré d'opulence qu'on leur supposoit.

Cette cause a plus puissamment agi en France que dans tous les autres pays de l'Europe: d'abord, parceque le système commercial, sans avoir versé en France autant de trésors qu'en Angleterre et en Hollande, y a cependant introduit un mouvement plus général et une correspondance plus active entre les différentes classes de la société ; ensuite, parceque la sensibilité de la nation étant plus vive et plus mobile, l'art de jouir est de tous les arts celui auquel elle a fait faire le plus de progrès; et que, par la pente naturelle de ses dispositions, son industrie s'est emparée par préférence de tout ce qui tient aux jouissances, aux jouissances de courte durée, aux jouissances les moins dispendieuses et les plus générales.

De là une impulsion nouvelle donnée à toutes les ambitions ; de là le grand prix attaché à l'aisance; de là un sentiment de fierté et d'indépendance dans toutes les conditions où l'on pouvoit satisfaire ses goûts; de là une disposition générale, de la part des individus nés

1799

Lois et

mœurs.

dans les classes constitutionnellement inférieures, à 1799 rendre l'indifférence et le mépris aux individus des classes supérieures, quand la supériorité de la fortune compensoit l'infériorité de l'origine et celle même du rang.

Dans cet état de choses, les mœurs ayant progressivement changé quand les lois ne changeoient pas, les mœurs des diverses classes étant devenues uniformes, quand les lois supposoient qu'elles étoient différentes : les lois, loin de trouver un appui dans les mœurs, se sont trouvées en contradiction avec elles.

Les lois vouloient qu'il y eût des classes distinctes : les mœurs les avoient confondues.

Les lois vouloient qu'il y eût une noblesse, un clergé, et un tiers-état; mais ces distinctions étoient devenues idéales : le courage et la fierté de la noblesse étoient des qualités communes à tous les François bien élevés. Le savoir et les lumières du clergé étoient par-tout, et l'austérité, qui devoit être le caractère distinctif de cet ordre, n'étoit nulle part.

Il n'y avoit plus en France que deux classes; celle des hommes du monde, et celle des hommes du peuple.

Entre ces deux classes, les lois tentoient vainement d'établir une barrière de droit : les hommes du peuple, en devenant riches, passoient de la dernière dans la première classe, où tout se trouvait confondu.

Dans cette première classe, les lois réussissoient bien à maintenir artificiellement une sorte de privilége. Les places, les graces, les faveurs, les honneurs, appartenoient aux nobles, et étoient refusés aux roturiers. « Mais là se trouvoit aussi la pierre d'achoppement, contre laquelle venoit se briser l'harmonie de la société; là s'est portée, pendant un siècle et demi, l'action pertur

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