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1815.

Itinéraire du roi.

Tandis que ces événements occupoient toute l'attention des provinces méridionales, d'autres événements plus importants s'accomplissoient ou se préparoient dans le nord-est de la France.

Nous avons dit que le roi, sorti de Paris le 20 mars à minuit, avoit pris la route du nord. Sa majesté arriva le même jour, à cinq heures du soir, à Abbeville, où elle comptoit attendre les troupes de sa maison. Mais, sur la représentation que lui fit le maréchal Macdonald des dangers qu'elle couroit dans une ville ouverte et si peu éloignée de Paris, elle résolut d'en sortir le 21, et d'aller se renfermer dans Lille, dont les remparts pouvoient supporter un siège, et dont les habitants ne demandoient pas mieux que de le soutenir.

Elle y arriva le 22 à une heure après midi, et y fut accueillie par tous les témoignages d'amour et de fidé lité des habitants. Mais la garnison, séduite et trompée, gardoit, pendant ce temps-là, un morne silence, présage alarmant de sa prochaine défection.

Le maréchal Mortier, qui la commandoit, déclara qu'avec de tels soldats il ne falloit plus songer à faire de Lille une place de défense. Le roi, qui venoit de recevoir de Vienne la déclaration des souverains, la fit afficher et proclamer: il pensoit qu'en éclairant les tronpes sur les funestes résultats dont leur trahison seroit suivie, il les feroit rentrer dans le devoir: ce fut en vain. Le 23, le maréchal Mortier vint lui dire que, sur le bruit généralement répandu que le duc de Berry alloit arriver avec la maison militaire de sa majesté et deux régiments suisses, la garnison étoit prête à se soulever; que, pour éviter le plus affreux des malheurs, il n'y avoit d'autre moyen que de partir sur-le-champ. II

ajouta qu'en escortant lui-même sa majesté hors des portes de la ville, il espéroit pouvoir imposer encore aux mutins; ce qui seroit impossible, si le départ étoit différé d'un instant.

Le roi céda, et partit de Lille à trois heures, accompagné seulement du duc d'Orléans et du maréchal Mortier. Arrivé au bas du glacis, le maréchal quitta sa majesté et rentra en ville pour contenir les mutins.

Un piquet de la garde nationale de Lille, un détachement de cuirassiers et de chasseurs, commandés par le maréchal Macdonald, accompagnèrent le roi jusqu'à la frontière.

Le roi, désormais à l'abri des poursuites de ses ennemis, n'étoit pas sans inquiétude sur le sort de son frère, qu'il avoit laissé derrière lui, et qui, n'ayant pas voulu quitter la tête de sa maison militaire, la conduisoit, à travers mille dangers, dans des chemins de traverse et sur des terrains fangeux, d'où les chevaux et les hommes ne se retiroient qu'avec les plus grandes difficultés.

Cette troupe fidéle ne fut découragée ni par la fatigue, ni par les privations, ni par l'incertitude d'une marche que la défection de toutes les garnisons voisines rendoit plus périlleuse de moment à autre. MONSIEUR, craignant que le dévouement de ces braves ne leur fît courir des périls inutiles, prit le parti de les licencier à Béthune, et, accompagné seulement d'un gentilhomme et d'un aide-de-camp, il poursuivit sa route sans accident, et rejoignit son frère à Gand.

1815.

Gand,

Cette ancienne capitale des Pays-Bas devint bientôt le Le roi à rendez-vous général des François fidèles. Le roi venoit d'y fixer son séjour, et avoit pris la résolution d'y rester jusqu'au moment où il pourroir rentrer dans son

1815. Joyaume à la tête d'une armée assez considérable pour ôter aux rebelles, avec les moyens, le desir de la résistance. Ce moment n'étoit pas éloigné. Les nouvelles qu'il avoit reçues du congrès lui en donnoient l'assurance; et afin que ses sujets en fussent plus tôt informés, il leur adressa la proclamation suivante :

PROCLAMATION DU ROI.

"

« FRANCOIS!

Gand, 2 avril.

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Celui qui vous a trompés pendant vingt ans est venu vous tromper encore.

« Quinze jours se sont à peine écoulés depuis que, par la trahison, il s'est assis sur le trône où vos vœux m'avoient rappelé, et déja l'Europe entière est infestée de ses mensonges. Mais l'Europe le connoît, et l'Europe indignée s'avance pour l'anéantir.

"

« Elle s'avance, François ! ses innombrables phalanges vont bientôt franchir vos frontières: mais l'Europe n'est plus votre ennemie; je vous ai réconciliés avec elle.

« Désormais vous ne devez plus voir dans ces étrangers, autrefois si formidables, que des alliés généreux qui viennent pour vous aider à secouer le joug de l'oppresseur. Tous les soldats de l'Europe marchent sous le même étendard, qui est celui des lis.

« Affoibli par l'âge et par vingt-cinq ans de malheurs, je ne vous dirai pas, comme mon aïeul : Ralliez-vous à mon panache blanc; mais je le suivrai pour vous aux champs d'honneur.

"

<< François ! s'il en est parmi vous qu'une vaine illusion. de gloire peut avoir égarés, mes bras vous sont ouverts.

Venez vous y jeter, et je croirai que vous ne m'avez pas quitté. Si vous restez rebelles, je ne pourrai plus suspendre l'exécution des décrets de la justice.

"

François ! quel est celui de vous qui voudroit porter les armes contre moi? Je ne suis point votre ennemi ; je suis votre roi; je suis le frère de Louis XVI; je viens, comme Henri IV, combattre et vaincre une nouvelle ligue; je viens une seconde fois vous apporter le bonheur et la paix.

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Le 6 avril, le duc de Wellington, nommé par le congrès de Vienne général en chef de l'armée européenne, vint saluer le roi à Gand, prendre ses ordres, et lui donner un état des troupes qui marchoient à son secours.

1815.

Ces troupes s'élevoient à près d'un million d'hommes; Etat de

savoir:

Quatre cent mille Russes, sous le commandement de l'empereur Alexandre.

Deux cent cinquante mille Autrichiens, sous le commandement du prince de Swartzemberg.

Cent dix mille Prussiens, sous le commandement du feld-maréchal Blücher.

Quatre-vingt mille Anglois et Flamands, sous le commandement immédiat du duc de Wellington.

Trente mille Suédois, sous celui du prince royal de Suéde.

Quarante mille hommes de la landwer germanique, sous le commandement du prince de...

L'imagination recule encore une fois devant un pareil dénombrement; et on frémit à la pensée des maux dont ces étrangers vont inonder la France!

l'armée

des alliés.

1815.

Apologie

du roi.

La philosophie, qui a versé tant de larmes hypocrites sur la perte des trois millions de barbares que les croisades ont coûté à l'Europe, n'en donnera-t-elle pas quelques unes à celle des quatre ou cinq millions d'hommes civilisés qu'a déja coûté l'émancipation prétendue des peuples?

Ce qu'un faux zéle de religion opéra jadis sur l'esprit de nos ancêtres, un faux zéle de liberté l'opère aujourd'hui sur celui de nos contemporains.

Avant cette grande époque de nos douleurs, des armées régulières de trente à quarante mille hommes entroient en campagne sans haine contre l'ennemi qu'elles alloient combattre. Elles respectoient les laboureurs, les vieillards, les femmes et les enfants. Avec ses armes, chacun déposoit son humeur guerrière.

Ce sont des nations entières qui se précipitent aujourd'hui les unes sur les autres, qui se livrent des combats à outrance, qui se poursuivent avec un acharnement opiniâtre, et qui, comme les laves des volcans, renversent et brûlent tout ce qu'elles rencontrent.

Les rebelles osèrent accuser le roi de tous les malheurs dont nous menaçoit cette seconde invasion.

« C'est lui, dirent-ils (1), qui est allé chercher des secours étrangers pour remonter sur son trône. C'est lui qui, en amenant en France les hordes sauvages du Nord, a, par ce fait seul, provoqué le pillage des villes, l'incendie des campagnes, le meurtre des enfants, l'asservissement du royaume, et la honte de la nation. »

Tout étoit artifice, déguisement et fourberie dans le conseil de la ligue, dit M. Anquetil: nous en pouvons

(1) Rapport de la commission du conseil d'état, séance du 2 avril

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