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mais quelque puissans que fussent ses moyens, ils ne l'étoient pas assez pour tout arrêter. Les proclamations, 1815. les manifestes et les lettres arrivoient, il est vrai, un

́peu plus tard, cependant assez tôt pour jeter l'alarme dans le conseil de l'usurpateur.

parte.

L'effroi que sa présence avoit répandu dans tous les Situation cœurs se calma peu-à-peu; et la réflexion, qui lui suc- de Buona céda, permit à chacun de mesurer ses forces, et de s'arranger pour n'en avoir rien à craindre. Dès-lors, aux manœuvres plus ou moins directes, mais toujours actives que la haine des indépendants commençoit à tramer contre lui, se joignit une force d'inertie nationale, dont il ne se défia pas assez, et contre laquelle vinrent échouer la violence de ses procédés, et l'imposture de ses récits.

Nous ne savons pas jusqu'à quel point ses ministres le trompoient ou s'il s'aveugloit volontairement; mais il ne pouvoit ignorer que les armées de l'Europe marchoient contre lui. Il venoit d'apprendre que son beau-frère Murat étoit détrôné et chassé de Naples. Il étoit instruit que la Provence et le Languedoc étoient dans un état de soulèvement que le voisinage d'une armée espagnole rendoit plus terrible. La contenance morne et silencieuse des habitants de Paris lui prouvoit qu'il n'en étoit pas aimé; et par les rapports de sa police secréte, il savoit qu'ils avoient cessé de le craindre.

Sa position devint encore plus critique, lorsque les patriotes, jacobins ou républicains, convaincus qu'il les trompoit, s'éloignèrent de lui, étudièrent sa conduite, et controlèrent ses actions en attendant le jour où ils se proposoient de les punir.

Rupture de son al

liance

avec les

On ne conçoit pas comment ces mêmes patriotes auxquels il devoit les succès de ses premières années, jacobius.

1815.

dont il avoit si mal reconnu les services après le 18 brumaire, qui avoient eu tout le temps d'étudier son caractère et sa politique pendant les jours de sa puissance, se rapprochèrent de lui après sa chute, et s'associèrent à ses desseins pour le relever.

Il faut croire que, le voyant relégué àl'île d'Elbe, ils pensèrent qu'il n'étoit plus à craindre comme empereur, et qu'il pouvoit leur être utile comme général.

Les jacobins savoient apprécier ses talents militaires; il apprécioit lui-même leur adresse politique. Le besoin les rapprocha; ils convinrent tacitement d'oublier leurs torts réciproques et de se réunir contre l'ennemi commun. Telles furent sans doute les causes de l'alliance qu'ils renouvelèrent à l'époque de la rentrée du roi.

Mais sans doute aussi chacune des parties contractantes ne dit pas tout à l'autre, et tint en réserve une arrière-pensée. Celle de Buonaparte étoit de renvoyer les jacobins aussitôt qu'il n'auroit plus besoin d'eux. Ceux-ci de leur côté se proposoient bien de le remercier dès qu'ils seroient assez forts pour fonder leur république sans lui.

Avant d'en venir à cette extrémité, ils conservèrent les uns pour les autres toutes les apparences d'une bonne amitié. Dans ses premières proclamations, Buonaparte ne parloit que de liberté, d'égalité, des droits du peuple: il disoit dans l'une :

« Élevé au trône par le choix du peuple, tout ce qui a été fait, et tout ce qui se fait sans lui est illégitime. » Il disoit dans une autre :

"

« J'ai supporté sans abattement mes malheurs personnels, mais ceux du peuple me sont insupportables. »

Pendant quelques jours sa conduite répondit à son

langage; il fut populaire à Grenoble, à Lyon, à Dijon. Ses soldats, à son exemple, n'étoient que des patriotes, ne parloient que de rétablir la république, que

verser l'aristocratie.

de ren

De leur côté, les jacobins, fidèles au traité, lui aplanirent le chemin de Paris en soulevant la populace des villes contre les autorités légitimes; en inspirant aux peuples des campagnes la crainte des dîmes, des corvées, des émigrés et des jésuites; en promettant aux ouvriers l'espérance d'une fortune sans travail, d'une liberté sans bornes, et de tous les biens de l'âge d'or. Les mêmes provocations excitèrent les mêmes troubles à Tournus, à Châlons, à Mâcon, à Dijon, à Auxerre..... Les ouvriers s'enivroient; les brigands pilloient; les honnêtes gens prenoient la fuite. Par-tout la terreur et l'anarchie marquoient les pas de l'usurpateur. Les monstres que, dans les temps de sa puissance, il avoit refoulés dans le fond de leurs antres ténébreux, en sor. tirent tout-à-coup et devinrent, dans le nouvel ordre de choses, ses agents, ses satellites et ses familiers.

Ce fut avec cette hideuse escorte qu'il arriva à Paris. Il ne tarda pas à s'en éloigner. La vue des Tuileries, où il avoit tenu pendant dix ans la cour la plus magnifique de l'Europe, lui rendit sa fierté et lui inspira d'autres pensées. Il s'entoura d'hommes plus dignes du rôle qu'il vouloit jouer.

1815.

Il avoit nommé ministre de la justice, M. Camba- Son micérès;

nistère.

Ministre de la guerre, M. Davoust;

Ministre de l'intérieur, M. Carnot;

Ministre de la police, M. Fouché;

Ministre des finances, M. Gaudin;

1815.

Sa politique.

Ministre du trésor public, M. Molien;
Ministre secrétaire d'état, M. Maret.

Il avoit appelé auprès de lui, en qualité de conseillers d'état, MM. Regnault-de-Saint-Jean-d'Angely, Defermont, Boulay de la Meurthe, Français de Nantes, Duchâtel, Daru, Corvetto, Merlin, etc. ; et l'on ne peut nier que son conseil ainsi composé ne fût très éclairé, très fort, et capable de le soustraire à l'empire des jacobins. L'administration reprit son cours: mais l'opinion publique résista à la direction qu'il essaya de lui donner. En vain il fit annoncer à plusieurs reprises qu'il avoit obtenu de l'Angleterre et de la Russie une trève de vingt ans; que, réconcilié avec l'empereur d'Autriche, c'étoit d'accord avec lui qu'il étoit rentré en France, et qu'il avoit repris sa couronne ; que sa femme et son fils, dont le voyage avoit été suspendu par des circonstances toutà-fait étrangères à sa cause, arriveroient sans faute à Paris dans les premiers jours du mois de juin. En vain les journaux répétèrent que le roi de Rome avoit reçu du ciel une intelligence précoce, un caractère élevé, une ame généreuse et sensible, qualités précieuses qui garantissoient à la nation françoise de longs jours de gloire et de bonheur....

- En vain le journal officiel osa dire « que les Bourbons, généralement déconsidérés par leur ineptie, étoient désavoués par tous les princes de l'Europe, et qu'en supposant, contre toute vraisemblance, qu'ils vinssent à rallumer une guerre contre la France, cette guerre ne seroit pas longue, parceque leurs alliés, en franchissant la frontière, trouveroient deux millions d'hommes armés pour les repousser, ou pour les ensevelir dans les plaines de la Champagne. » Tout cet étalage de men

songes et de forfanteries fut perdu. Personne n'y ajouta foi. Mais on publia dans le même temps plusieurs rapports diplomatiques rédigés avec beaucoup d'art, et dans lesquels on avoit su entremêler si adroitement quelques vérités connues à des suppositions fausses ou gratuites, qu'il étoit difficile en les lisant de se garantir d'une sorte d'acquiescement stupide. Tel fut entre autres le rapport de la commission des présidents du conseil d'état sur la déclaration du congrès de Vienne, dans lequel le rapporteur disoit :

1815.

officieux

sur ses

« Cette déclaration prétendue du congrès est dans une Rapports forme si inusitée, conçue dans des termes si étranges, exprime des idées tellement antisociales, que la com- projets. mission étoit portée à la regarder comme une de ces productions supposées, par lesquelles des hommes méprisables cherchent à égarer les esprits, et à faire prendre le change à l'opinion publique :

« Mais la vérification des procès-verbaux dressés à Metz, et les interrogatoires des courriers n'ont pas permis de douter que l'envoi de cette déclaration n'ait été faite par les membres de la légation françoise à Vienne; elle doit être conséquemment considérée comme adoptée et signée par eux.

« C'est sous ce premier point de vue que la commission a cru devoir examiner cette production, qui n'a point de modéle dans les annales de la diplomatie, et dans laquelle des François, des hommes revêtus du caractère public le plus respectable commencent par une espèce de mise hors la loi, ou pour parler plus nettement par une provocation à l'assassinat de l'empereur Napoléon.

" Nous pensons donc, avec le ministre de la police,

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