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1815.

la chambre des réprésentants, dont il craignoit d'avance les hostilités.

Il n'eût pas été d'ailleurs d'une mauvaise politique de substituer au nom du sénat, que reprouvoit l'opinion publique, celui de chambre des pairs, que recommandoit le choix du roi, si l'auteur eût été assez fort pour se passer du secours des jacobins. Mais il n'en étoit pas là, et jamais peut-être il n'en eût un plus grand besoin que dans ce moment, alors que, par le dernier article de son acte additionnel, il excitoit à un plus haut degré l'indignation des royalistes. Cet article étoit ainsi conçu :

« Le peuple françois déclare que, dans la délégation qu'il fait de ses pouvoirs, il n'a pas entendu et n'entend pas donner le droit de proposer le rétablissement des Bourbons, ou d'aucun prince de cette famille sur le trône, même en cas d'extinction de la dynastie impériale, ni le droit de rétablir soit l'ancienne noblesse féodale, soit les droits féodaux, soit les dîmes, soit aucun culte privilégié et dominant... »

Indépendamment de ce que cet article étoit évidemment attentatoire à la liberté des citoyens françois, en ce qu'il modifioit l'exercice de leurs droits, il devoit soulever d'indignation tous les royalistes, qui étoient convaincus que le rétablissement de la dynastie des Bourbons sur le trône étoit le seul moyen de rétablir la paix en Europe et le bonheur en France.

A mesure que la nation s'éclairoit davantage sur les desseins de l'usurpateur, celui-ci paroissoit s'aveugler sur les dispositions de la nation; il évoquoit d'antiques souvenirs, il rajeunissoit de vieilles institutions, il cherchoit à séduire la multitude par des usages, que

la vénération des siècles avoit consacrés, mais qui n'étoient plus en rapport avec les institutions modernes. C'est ainsi qu'en 1801 il avoit abusé les patriotes françois, en décorant sa dictature de noms romains, symboles de grandeur et de liberté.

1815.

C'est ainsi qu'en 1815 il se crut l'émule de Charle- Champ magne, en parodiant une de ses institutions, en con

voquant un champ de mai, dont il détermina l'objet et les éléments. Les membres des colleges électoraux en étoient les éléments. L'acceptation de l'acte additionnel devoit en être l'objet.

Ce fut une vraie parade de boulevard. Le plus grand nombre des électeurs refusa de s'y rendre. On les remplaça par les fédérés des faubourgs.

Au milieu d'un cirque construit à grands frais dans le vaste emplacement du Champ-de-Mars, on avoit élevé un trône magnifique, sur lequel s'assit le nouveau Charlemagne, revêtu d'un costume espagnol. Après une messe solennelle que célébra le cardinal Cambacérès, M. Dubois, nommé membre de la chambre des députés par le département de Maine et Loire, prononça un discours emphatique, dans lequel il répéta ce que la flatterie avoit épuisé d'éloges en l'honneur du héros du jour, et ce que la rage révolutionnaire avoit vomi d'injures contre la famille des Bourbons. Deux ou trois phrases de son discours donneront une idée de son éloquence.

«Sire, dit-il, le peuple françois vous avoit décerné la couronne, vous l'avez déposée sans son aveu; ses suffrages vous imposent le devoir de la reprendre.

« On dit que la ligue des rois s'y oppose. Que demandent ces rois ? Nous ne voulons point du chef qu'ils

de mai.

1815.

veulent, et nous voulons celui dont ils ne veulent pas.

Ils osent vous prescrire des lois, à vous, sire, qui tant de fois les avez raffermis généreusement sur leurs trônes!

« Vainement veut-on nous donner des maîtres avec lesquels nous n'avons plus rien de commun. Ils ne pourroient plus croire à nos serments: nous ne pourrions plus croire à leurs promesses. »

A la suite de ce discours, M. Cambacérès, ministre de la justice, déclara sans préambule que l'acte additionnel étoit accepté à l'unanimité. Buonaparte prit alors la parole, et dit :

Discours « de Buona

Messieurs, empereur, consul et soldat, je tiens parte an tout du peuple. Sur le trône et dans l'exil, la France champ de fut l'objet unique et constant de mes pensées et de mes

mai.

actions.

« Comme ce roi d'Athènes, je me suis sacrifié pour mon peuple. Les vœux de la nation m'ont rappelé sur ce trône qui m'est cher, parcequ'il est le palladium des droits du peuple.

« François, en traversant, au milieu de l'alégresse publique, les diverses provinces de l'Empire pour arriver dans ma capitale, j'ai dû compter sur une longue paix; mais je ne tardai pas à apprendre que les princes qui ont méconnu tous les principes veulent nous faire la guerre.

« Ces rois étrangers que j'ai élevés sur le trône, qui ont tous brigué mon alliance et la protection du peuple françois, dirigent aujourd'hui leurs coups contre ma

personne.

« Si je ne voyois que c'est à la patrie qu'ils en veu

lent, je mettrois à leur merci cette existence contre laquelle ils se montrent si acharnés, mais leur rage sera impuissante.

« François, ma volonté est celle du peuple (1), mes droits sont les siens. Mon honneur, ma gloire et mon bonheur ne peuvent être autres que l'honneur, la gloire et le bonheur de la France. >>

Ces discours, la déclaration dù nombre de votes qui avoient accepté la constitution, les aigles qu'il distribua à ses soldats, le serment nouveau que ceux-ci lui prêtèrent, telles furent les scènes principales de cette mauvaise comédie. Elles furent mal jouées et mal accueillies les acteurs et les spectateurs avoient l'air de se moquer les uns des autres. Buonaparte comptoit sur un succès d'enthousiasme : il en avoit besoin pour retenir les peuples dans ses intérêts, et pour s'étourdir lui-même sur le danger de sa position. Quelque mépris qu'il affectât pour ses ennemis, il étoit inquiet: son mépris n'étoit pas sincère. Il connoissoit leurs forces et leurs intentions, et ne se dissimuloit pas que dans le combat à mort qui se préparoit entre eux et lui, toutes les probabilités étoient en leur faveur. La chute de Murat lui donnoit plus d'inquiétudes qu'il n'en vouloit laisser paroître; dans sa situation, et avec le penchant qu'il eut toujours pour la superstition, cette chute lui paroissoit de mauvais augure et l'avant-coureur de la sienne.

1815.

phe de

Après avoir trahi la cause de son beau-frère pour Catastrol'Autriche, Murat crut qu'il pourroit avec le même succès trahir l'Autriche pour son beau-frère. Il se trompa.

pas besoin

(1) Le peuple et toujours le peuple! Quand il n'avoit du peuple, il disoit : Il n'y a vas d'autre souverain que l'empereur; le

tróne, c'est moi.

35.

Murat.

1815.

L'Autriche avoit les moyens de le punir. Une seule ba-
taille décida son sort.

Vaincu à Tolentino, il fut vivement poursuivi; il
entra presque seul à Naples, où il prit à peine le temps
de dire à sa femme tout est perdu. Pour échapper à
la fureur du peuple, que la nouvelle de sa défaite avoit
soulevé, il se déguisa, se jeta sur un esquif, et vint
chercher un asile en Provence. Buonaparte lui refusa la
permission de venir à Paris, d'abord parcequ'il étoit
mécontent de sa conduite, ensuite parcequ'il ne vouloit
pas offrir aux Parisiens, dans la vue d'un roi détrôné,
le prétexte et l'occasion de faire de malignes applica-

tions.

Pour ne plus revenir sur ce personnage, nous anti-
ciperons de quelques mois sur les temps, et nous dirons
qu'après la bataille de Waterloo, Murat quitta les côtes
de la Provence et alla se réfugier dans l'île de Corse. Il
n'y demeura pas long-temps. Trompé par de faux rap-
ports, et encore plus abusé par ses espérances, il crut
qu'il étoit regretté par ses anciens sujets, lesquels n'at-
tendoient que sa présence pour lui rendre sa couronne.
Il s'embarqua aussitôt avec un petit nombre d'aventu-
riers, et alla descendre avec eux sur les côtes de la
Calabre, dans un endroit nommé Pizzo. Il y étoit at-
tendu, mais non par des amis. A peine eut-il touché la
terre, qu'il fut attaqué, entouré, combattu à outrance,
vaincu et fait prisonnier. Le jour même, il fut traduit
devant une commission militaire, condamné à mort, et
fusillé comme le plus obscur de ses soldats (1).

Cette terrible exécution n'étoit ni juste, ni politique.
Murat avoit porté une couronne. Il avoit été reconnu

(1) Le 15 octobre 1815.

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