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roi de Naples par tous les souverains de l'Europe; par respect pour eux-mêmes les souverains lui devoient des égards, et son successeur à Naples n'avoit pas le droit de le traiter comme un aventurier (1).

Murat étoit brave au champ de bataille, aimable dans la vie privée, et n'eut que de bonnes intentions dans sa vie publique. Son règne fut doux et paisible. Il avoit trouvé le secret de ménager le peuple et les grands, et il s'étoit concilié autant d'affection qu'un étranger peut en obtenir dans ce pays, qui, de tout temps, fut en proie aux convulsions de la politique comme à celles de la nature.

La chambre des députés, convoquée depuis un mois, se trouva réunie le 7 juin. Buonaparte en fit l'ouverture par le discours suivant :

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« Depuis trois mois, les circonstances et la confiance du peuple m'ont revêtu d'un pouvoir illimité. Aujourd'hui s'accomplit le desir le plus pressant de mon cœur. Je viens commencer la monarchie constitutionnelle.

« Les hommes sont impuissants pour assurer l'avenir, les institutions seules fixent la destinée des nations.

La monarchie est nécessaire en France, pour garantir la liberté, l'indépendance et les droits du peuple. « J'ambitionne de voir la France jouir de toute la li- . berté possible. Je dis possible, parceque l'anarchie ramėne toujours au gouvernement absolu.

« Une coalition formidable de rois en veut à notre

(1) Aussi dit-on que le roi de Naples n'apprit le jugement de Murat qu'après son exécution,

1815.

indépendance. Ses armées arrivent sur nos frontières. « Nos ennemis comptent sur nos dissentions intestines; ils excitent et fomentent la guerre civile.

« Des rassemblements ont lieu : on communique avec Gand, comme en 1793 avec Coblentz. Des mesures législatives sont indispensables; c'est à votre patriotisme, à vos lumières, à votre attachement à ma personne, que je me confie sans réserve.

« Il est possible que le premier devoir du prince m'appelle bientôt à la tête des armées.

« L'armée et moi nous ferons notre devoir.

« Vous, pairs et représentants, donnez à la nation l'exemple de la confiance, du patriotisme et de l'éner gie; et, comme le sénat d'un grand peuple de l'antiquité, soyez prêts à mourir plutôt qu'à survivre au déshonneur de la France.

« La sainte cause de la patrie triomphera. »

Ce discours n'étoit pas sans dignité; mais il fut écouté sans bienveillance, 1 par le public, qui, en général, accorde peu de confiance aux discours d'appareil, et avoit des raisons particulières de se défier de ceux de Buonaparte; 2° par les députés, dont la majorité, avant de se connoître, et avant de se réunir, avoit apporté avec elle tous les éléments d'un système d'opposition.

Dans les adresses que les deux chambres allèrent lui porter le 11 juin, celle de la chambre des députés laissa entrevoir quelques pensées hostiles, qui n'échappèrent point à l'attention de Buonaparte; mais n'ayant pas l'air d'y prendre garde, il répondit aux pairs «que les grandes nations comme les grands hommes savoient déployer dans les grandes calamités toute l'énergie de leur caractère. »

Et aux députés : « Gardez-vous de suivre l'exemple du Bas-Empire, qui, pressé de tous côtés par les Barbares, se rendit la risée de la postérité, en s'occupant de discussions abstraites au moment où le belier brisoit les portes de la ville. »

1815.

l'armée

françoise.

Cependant il recomposoit ses armées, et réparoit, Etat de comme par enchantement, les pertes énormes que lui avoient coûté ses trois dernières campagnes. C'est principalement dans cette partie de la science militaire qu'on est forcé d'admirer la fécondité de son génie.

Il créoit des ressources là où personne n'en soupconnoit. Il est vrai qu'il les prodiguoit avec un abandon qui les rendoit souvent inutiles. Il entraînoit tout dans son mouvement. Ne craignant pas de résistance, il n'en éprouvoit aucune. L'avenir n'existoit pas pour lui.

Toutes ses armées marchoient vers la frontière. Celle du nord occupoit, au commencement de juin, des cantonnements fort étendus dans les départements du Nord et de l'Aisne, où elle étoit distribuée par échelons; formée en grande partie de vieux soldats rentrés depuis peu des garnisons dans les rangs, elle étoit animée d'un grand courage, et saisie d'un vif enthousiasme pour son général.

En arrivant à Beaumont, elle fit sa jonction avec celle des Ardennes, commandée par le général Vandamme et peu de temps après avec celle de la Moselle, commandée par le général Gerard.

Le 8 juin, cette armée du nord se trouva composée de cinq grands corps d'infanterie, que commandoient les généraux Vandamme, Gerard, d'Erlon, Reille et Lobau. La cavalerie, commandée en chef par le maréchal

1815.

Grouchy, étoit partagée en quatre corps, sous les ordres des généraux Pajol, Excelmans, Milhaud et Kellermann.

La garde impériale, composée de vingt mille hommes, formoit le noyau de cette belle armée, que suivoit un matériel considérable d'artillerie, parfaitement servie et parfaitement attelée.

Tous les corps pouvoient également réclamer le prix de la bravoure. Les soldats de la garde n'étoient donc pas plus braves que les autres: mais, élevés plus près du despote, nourris de ses principes, fiers de leur poste et vains de leurs récompenses, ils étoient arrogants avec les autres, et ne craignoient pas de dire qu'un soldat de la garde en valoit deux de la ligne. Cette rivalité dangereuse étoit déja un principe de désorganisation dans l'armée, et pouvoit devenir un jour funeste à son chef.

Mais un plus grand désordre menaçoit également tous les corps, dans l'indiscipline à laquelle ils étoient livrés depuis les malheurs de la campagne de Russie : la garde et la ligne avoient perdu l'esprit de cette subordination rigoureuse qui fait la force des armées, et est la sauvegarde des pays qu'elles occupent. Les soldats de toute arme regardoient le pillage comme un droit, et le pays qu'ils traversoient comme une proie. Quelques uns de leurs chefs gémissoient de ces désordres, mais ne pouvoient y rémédier. Entraînés par l'exemple, subjugués par les circonstances, ils ne voyoient que le but de la guerre, ils se faisoient illusion sur ses moyens, ils disoient avant tout, il faut sauver la France de l'invasion.

Malheur au pays que traversoient de tels soldats:

ils enlevoient tout; et, ce qui étoit plus affreux, c'est que ce qu'ils n'enlevoient pas devenoit souvent la proie des flammes.

1815.

Buona

en

dement.

Il étoit bien temps que Buonaparte allât se mettre à leur tête. Il partit de Paris le 12 juin à quatre heures prend le prend du matin. Il déploya sur toute la route une activité commanextraordinaire, passant des revues, visitant en détail les fortifications des villes, ordonnant des abattis dans les défilés, faisant élever des redoutes et creuser des tranchées par-tout où elles pouvoient être utiles, ne laissant échapper aucune occasion de se montrer aux troupes et d'exciter leur ardeur. Il arriva le 13 à Avesnes: le 14, il mit à l'ordre du jour la proclamation

suivante.

<< Soldats! c'est aujourd'hui l'anniversaire de Marengo et de Friedland, qui décida deux fois du destin de l'Europe. Alors, comme après Austerlitz, comme après Wagram, nous fùmes trop généreux : nous crûmes aux protestations et aux serments des princes que nous laissâmes sur le trône. Aujourd'hui, coalisés entre eux, ils en veulent à notre indépendance. Ils osent nous attaquer marchons à leur rencontre. Soldats! à Jéna, contre ces mêmes Prussiens, aujourd'hui si arrogants, vous étiez un contre trois; à Montmirail, un contre six. Les Saxons, les Belges, les Hanovriens gémissent d'être obligés de prêter leurs bras à la cause des princes ennemis des droits de tous les peuples. Ils savent que cette coalition est insatiable. Après avoir dévoré douze millions de Polonois, douze millions d'Italiens, six millions de Belges, un million de Saxons, elle veut dévorer trente millions de François; les insensés! la prospérité les aveugle. S'ils entrent en France, ils y trouvèront

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