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1815.

mais qui ne s'étoient souillés d'aucun de ses crimes. Un troisième parti ne vouloit ni de Buonaparte ni de son fils, ne reconnoissoit ni sa gloire ni ses principes, ne vouloit ni d'empereurs ni de rois; mais, appelant à son secours les Grecs, les Romains et les hommes célébres de la convention, il vouloit une république; république une et indivisible, comme disoit Robespierre, ou fédérative, comme l'avoient imaginée Vergniaud, Brissot et Condorcet.

Il y avoit un quatrième parti, composé d'honnêtes gens, mais en petit nombre, comme sont les honnêtes gens; foible et timide, comme sont les honnêtes gens; et, comme tous les honnêtes gens, faisant beaucoup de vœux et peu d'efforts pour le retour des Bour

bons.

Dans les premières séances de la chambre, les partisans de la première de ces opinions parurent les maîtres du terrain. Ils furent redevables de ce succès momentané au respect qu'on avoit encore pour leurs noms, pour leurs dignités, et pour la gloire militaire dont quelques uns d'eux étoient les représentants.

Mais, à mesure que l'assemblée prit une assiette plus ferme, les oppositions se manifestèrent avec plus de force, et en même temps avec plus de calme dans les délibérations et plus de dignité dans le langage.

La plupart des orateurs qui assiégèrent la tribune de cette assemblée étoient ou des jeunes gens sans étude de nos lois, sans expérience de la révolution, sans connoissance de la situation morale et politique de la France, mais pleins d'ardeur pour la liberté; ou des vétérans de la révolution, bien pénétrés de ses intérêts et bien décidés à les défendre, et à regarder comme autant d'ennemis les rois et leurs partisans.

Les uns et les autres se méprirent étrangement sur les temps où ils vivoient et sur les hommes avec lesquels ils avoient à traiter. Les uns et les autres répétèrent mal à propos de faux principes de liberté et des maximes inapplicables aux circonstances. Les uns et les autres faillirent à compromettre le salut de la France par les obstacles que, sous prétexte de l'indépendance nationale, ils mirent imprudemment à la rentrée du roi. Telle étoit la situation des esprits dans cette assemblée, lorsque Buonaparte, vaincu à Waterloo, et déserteur de son armée, arriva à Paris. Il n'y rencontra, avons-nous dit, que des regards ennemis, ou des amis consternés. Il apprit bientôt que l'opinion publique le rejetoit, et que la chambre des députés parloit hautement de prononcer sa déchéance.

En vain son frère Lucien essaya-t-il, dans un long plaidoyer, de prouver que le seul moyen de soustraire la France au danger dont les armées de l'Europe la menaçoient, étoit de se rallier, de se serrer plus que jamais autour de l'homme qui avoit fait trembler l'Europe pendant quatorze ans.

Allez dire à votre frère, lui répliqua M. de La Fayette, que la nation n'a plus de confiance en lui; et que nous entreprendrons nous-mêmes de sauver la France, qu'il a livrée au courroux et aux vengeances de l'Europe. »

Dans cette extrémité, Buonaparte consulta M. Fouché, ministre de la police, l'homme de son conseil qu'il craignoit et qu'il estimoit le plus (1). Que dois-je faire?

(1) M. Fouché, fils d'un armateur de Nantes, étoit oratorien avant la révolution. Nommé député à la convention, il vota la mort du roi; et en cela il commit une faute dont il n'est pas à se repentir.

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lui demanda-t-il. Abdiquer, sire, lui répondit le ministre. Et pourquoi? - Parcequ'il vaut mieux descendre que tomber.

Ce conseil étoit celui de la nécessité: il n'en fut pas moins reçu avec humeur et défiance. En se servant des talents de M. Fouché, Buonaparte n'avoit pas cessé de redouter en lui tantôt un rival et tantôt un contrôleur.

Depuis Lyon, ils avoient marché d'accord, jusqu'au moment où M. Fouché reçut d'un membre du congrès de Vienne une lettre qui lui annonçoit d'une manière positive que Buonaparte ne seroit jamais reconnu; qu'à cet égard toutes les puissances étoient unanimes, et se disposoient à marcher contre lui. Cette lettre lui parvint peu de jours avant la cérémonie du Champ-deMai. Il la communiqua à Buonaparte, et profita de cette occasion pour lui représenter qu'il étoit impossible à la France de soutenir le choc de toutes les nations de l'Europe; qu'il convenoit de s'assurer des dernières intentions des souverains, et que, s'ils persistoient, il n'y avoit, pour son intérêt et pour celui de la France, qu'un parti à prendre, celui d'abdiquer, et de se retirer aux États-Unis.

Ce qu'il avoit dit dans l'intérêt de la France, alors que Buonaparte étoit à la tête d'une puissante armée, et entouré d'un parti, il le répéta dans son intérêt personnel, et avec bien plus de force, alors qu'il n'avoit plus ni parti ni armée. Il n'en fut pas mieux accueilli. Mais il avoit de son côté la raison, et Buonaparte n'avoit plus d'autorité. A sa réponse je n'abdiquerai pas, il répliqua que ferez-vous? - Ce que je ferai ? j'ai encore soixante mille hommes, à la tête desquels

:

je défendrai Paris, ou je m'ensevelirai sous ses ruines. M. Fouché se retira, en lui disant: vous y réfléchirez.

Le lendemain de cette conférence, Buonaparte envoya aux deux chambres son abdication, conçue dans les termes suivants :

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abdica

François, au commencement de la guerre pour Seconde l'indépendance nationale, je comptois sur la réunion

tion de

léon.

de tous les efforts, de toutes les volontés, et sur le Napoconcours de toutes les autorités nationales. J'étois fondé à en espérer le succès, et j'avois bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paroissent changées. Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir jamais voulu qu'à ma personne!

«Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des François. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les chambres à organiser promptement la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public, et pour rester une nation indépendante.

« Donné au palais de l'Elysée, le 22 juin 1815.

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Le même jour, il adressa à l'armée la proclamation

suivante :

« Soldats! quand je cède à la nécessité qui me forcede m'éloigner de mon armée, j'emporte avec moi l'heureuse certitude qu'elle justifiera, par les services émi

1815.

Débats dans les

nents que
la patrie attend d'elle, les éloges que nós en-
nemis eux-mêmes ne peuvent lui refuser.

« Soldats, je suivrai tous vos pas, quoique absent; je connois tous les corps, et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne rende justice au courage qu'il aura déployé. Vous et moi nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier vos travaux ont vu, dans les marques d'attachement que vous m'avez données, un zėle dont j'étois le seul objet. Que vos succès futurs leur apprennent que c'étoit la patrie par-dessus tout que vous serviez en m'obéissant, et que si j'ai quelque part à votre affection, je le dois à mon ardent amour pour la France, notre

mère commune.

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Soldats, encore quelques efforts, et la coalition est dissoute. Napoléon vous reconnoîtra aux coups que vous porterez.

« Sauvez l'honneur et l'indépendance des François. Soyez jusqu'à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles.

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L'acte d'abdication ayant été lu à la chambre des cham- pairs, M. Lucien se leva, et dit:

bres.

"

L'empereur Napoléon vient d'abdiquer en faveur de son fils. Politiquement parlant, l'empereur est mort, vive l'empereur! Je propose à l'assemblée, séance tenante, de prêter serment à Napoléon II. »

<< Et à quel titre, s'écria aussitôt M. Doulcet de Pontécoulant (1), M. Lucien vient-il proposer un souverain

(1) M. Doulcet de Pontécoulant, d'une ancienne famille de Nor

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