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1815.

Le roi aux portes de Paris.

Rapport

tre de la

ses alarmes, ou qu'ils avoient été séduits par de fausses promesses. Il est probable qu'on leur avoit représenté d'un côté les Bourbons armés contre eux de cruelles vengeances, et de l'autre un prince étranger chargé pour eux d'honneurs et de bienfaits.

Il est impossible d'expliquer, dans toute autre hypothèse, l'insolence de leurs prétentions en présence d'une armée de 200,000 hommes, et le délire de leur résistance une heure avant leur catastrophe.

La catastrophe arriva le 7 juillet. Le roi étoit depuis trois jours à Saint-Denis, et n'ignoroit ni les désordres dont Paris étoit le théâtre, ni les malheurs dont les habitants étoient menacés. En vertu d'une capitulation militaire, signée le 4, les étrangers avoient pris possession de Saint-Denis, de Saint-Ouen, de Clichy, de Neuilly, etc. Le 5, Montmartre fut mis à leur disposition: le 7, les portes de Paris devoient leur être ouvertes. La veille de cette journée, si importante pour France, M. Fouché, président du gouvernement, écrivit au roi la lettre suivante.

« Sire,

« Paris, 6 juillet 1815.

la

« Le retour de votre majesté ne laisse plus aux memdu minis- bres du gouvernement d'autre devoir à remplir que police au celui de se séparer. Je demande, pour l'acquit de ma conscience, à lui exposer fidélement l'opinion et les

roi.

sentiments de la France.

« Ce n'est pas votre majesté que l'on redoute. Elle a vu pendant onze mois que la confiance dans sa modération et dans sa justice soutenoit les François au mi

lieu des craintes que leur inspiroient les entreprises d'une partie de sa cour.

« Tout le monde sait que ce ne sont ni les lumières ni l'expérience qui manquent à votre majesté. Elle connoît la France et son siècle : elle connoît le pouvoir de l'opinion; mais sa bonté lui a trop souvent fait écouter les prétentions de ceux qui l'ont suivie dans l'adversité dès-lors il y a eu deux peuples en France. Il étoit pénible sans doute à votre majesté d'avoir sans cesse à repousser ces prétentions par des actes de sa volonté. Combien de fois elle a dû regretter de ne pouvoir leur opposer des lois nationales! Si le même système se reproduit, et que, tirant tous les pouvoirs de l'hérédité, votre majesté ne reconnoisse d'autres droits du peuple que ceux qui lui viennent des concessions du trône, la France, comme la première fois, sera incertaine dans ses devoirs; elle aura à hésiter entre son amour pour la patrie et son amour pour le prince, entre son penchant et ses lumières.

« Son obéissance n'aura d'autre base que sa confiance dans votre majesté, et si cette confiance suffit pour maintenir le respect, elle ne suffit pas pour écarter les dangers, ni pour affermir les dynasties.

«

Sire, votre majesté a reconnu que ceux qui entraînoient le pouvoir au-delà de ses limites sont peu propres à le soutenir quand il est ébranlé: que l'autorité se perd elle-même dans le combat continuel qui la force de rétrograder dans ses mesures : que moins on laisse de droits à un peuple, plus sa juste défiance le porte conserver ceux qu'on ne peut lui disputer, et que c'est toujours ainsi que l'amour s'affoiblit et que les révolutions se préparent.

à

1815.

1815.

« Nous vous en conjurons, sire, daignez cette fois ne consulter que votre justice et vos lumières. Croyez que le peuple françois met aujourd'hui à sa liberté autant d'importance qu'à la vie. Il ne se croira jamais libre s'il n'y a pas entre les pouvoirs des droits également inviolables. N'avions-nous pas sous votre dynastie des étatsgénéraux qui étoient indépendants du monarque?

Sire, votre sagesse ne peut attendre les événements fâcheux pour faire des concessions; c'est alors qu'elles seroient nuisibles à votre intérêt.

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Aujourd'hui les concessions rapprochent les esprits, pacifient et donnent de la force à l'autorité royale; demain elles prouveroient sa foiblesse: c'est le désordre qui les arracheroit; les esprits resteroient aigris.

«Signé LE DUC D'OTRANTE. »

Il y avoit dans ce rapport beaucoup d'assertions contestables, mais qui, à force d'avoir été répétées sans contradiction depuis vingt-cinq ans, étoient devenues des principes consacrés par la révolution. Il la révolution. Il y avoit aussi des vérités de fait, que nulle personne de bonne foi ne pouvoit révoquer en doute. Le roi le lut avec attention, en reconnut les vérités, n'en désavoua pas les principes, manda M. le duc d'Otrante, et lui dit, après une longue conférence, qu'il ne croyoit pas pouvoir mieux confier l'administration de la police de son royaume qu'à celui qui en connoissoit si bien l'esprit et les besoins. Entrée du Le lendemain Paris ouvrit ses portes. L'armée des alliés y entra sans obstacle. A leur apparition, le vacarme dont nous avons parlé plus haut cessa. Les dé

Foi daus

Paris.

putés, les fédérés, les factieux, saisis d'épouvante, rentrèrent dans le devoir ou plutôt dans le silence.

C'étoit un mal guéri par un autre. Il ne falloit, hélas ! rien moins qu'une invasion étrangère pour nous délivrer des horreurs de la guerre civile. Dans l'effroi que nous inspiroit la vue des bêtes féroces qu'on avoit lâchées contre nous, nous n'eùmes pas le temps d'examiner les conditions du marché qui devoit nous en délivrer; et lorsque nous en sentimes le poids accablant, il n'y avoit plus moyen de nous en affranchir.

L'entrée des alliés dans Paris ne fut pas cette année, comme l'année précédente, une entrée triomphale ; c'étoit une prise de possession. Leur figure et leur maintien annonçoient des vainqueurs qui venoient exercer des droits de conquête.

Le roi ne rentra pas non plus dans sa capitale, comme la première fois, dans une caléche découverte, et au milieu des transports de joie de toutes les classes de citoyens. Sa majesté étoit renfermée dans un carrosse dont toutes les glaces étoient levées. C'est ainsi qu'elle traversa Paris au milieu des inquiétudes qu'avoient laissées dans les esprits les effrayantes saturnales de la veille, et que ne diminuoit pas la vue des soldats étrangers qui accompagnoient le roi. La joie brilloit encore sur quelques visages; on entendit quelques cris de vive le roi. Mais la foule étoit sérieuse et silencieuse.

La joie que nous ressentions de revoir le roi étoit cruellement altérée par le chagrin d'en être redevables à d'autres qu'à nous-mêmes. Une sorte de pressentiment nous avertissoit que, sans avoir été vaincue, la France alloit être traitée en pays conquis.

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Dès le premier jour de leur entrée, les Prussiens essayèrent de faire sauter le pont d'Jéna; et, dans la fuconduite reur qui les animoit, ils auroient voulu faire sauter des alliés. Paris.

Etrange

Paris offrit pendant plusieurs mois l'image d'une ville de guerre occupée par l'étranger. Ses barrières, ses postes militaires, ses casernes, ses établissements publics, étoient livrés aux Prussiens et aux Anglois. Des piquets d'infanterie gardoient les avenues de tous les ponts. Une batterie de canon étoit braquée contre le château des Tuileries. Les Champs-Élysées, le jardin du Luxembourg, la place du Carrousel, étoient transformés en camps. Le bois de Boulogne, cette promenade favorite des Parisiens, avoit disparu sous la hache du soldat anglois.

Le lion de Saint-Marc, les chevaux de Corinthe, l'Apollon du Belvédère, la Vénus de Médicis, les chefsd'œuvre de tous les arts qui, depuis quinze ans, enrichissoient nos musées, ou décoroient nos places publiques, furent enlevés avec une rigueur d'exécution qui redoubla le chagrin de nos pertes.

Ce fut alors que les habitants de cette grande ville, vaincus, dépouillés, ruinés et humiliés deux fois en quinze mois sous le joug des armées étrangères, éprouvèrent et sentirent toute la vanité de cette gloire militaire qui les avoit enivrés pendant 'quinze ans ; ce fut alors qu'ils reconnurent le tort qu'ils avoient eu d'accorder leur confiance tantôt à des empiriques qui, sous le nom de patriotes, leur avoient garanti de longs jours de paix et de liberté, tantôt au conquérant qui leur avoit promis l'empire et les richesses du monde entier.

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