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1801.

république reconnoissoit que la religion catholique, apostolique et romaine étoit la religion de la grande majorité des François.

Les bons catholiques, interprétant tout en bonne part, pensèrent que, par ces paroles, le catholicisme étoit reconnu comme religion du gouvernement: mais c'étoit un piége qu'on tendoit à leur bonne foi. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le discours que M. Portalis, ministre des cultes, prononça à cette occasion.

« Le catholicisme, dit-il, est en France, dans le moment actuel, la religion des membres du gouvernement, et non celle du gouvernement lui-même. Il est la religion de la majorité du peuple françois, et non celle de l'état ce sont deux choses qu'il n'est pas permis de confondre, et qui n'ont jamais été confondues (1). »

:

Le plus grand nombre des évêques de France, animés d'un bon esprit, se soumirent à ce traité ; d'autres, excités par un zéle peu éclairé, le méconnurent avec éclat. Le saint père attendit du temps le remède à cette nouvelle plaie du sanctuaire.

Le concordat fut proclamé dans l'église métropolitaine de Paris, le jour de Pâques 1802. La présence du premier consul, le concours de toutes les autorités civiles et militaires, les acclamations de l'alégresse publique, tout, jusqu'au son du bourdon de Notre-Dame, qu'on n'avoit pas entendu depuis dix ans, donna à cette fête de la restauration religieuse un appareil extraordinaire, et à tous les cœurs une expansion qui promettoit de longs jours de paix.

(1) Discours de M. Portalis sur l'organisation des cultes, 15 gern.is

mal an 10.

Mais dès le lendemain chacun se permit de scruter les opinions et la pensée du premier consul en matière de religion. Les uns lui supposèrent une crédulité superstitieuse, colorée d'un vernis de philosophie; les autres lui accordèrent une philosophie indépendante de tout sentiment religieux (1). Ces deux conjectures n'étoient ni fondées ni raisonnables : le consul agissoit en politique habile. S'il paroissoit reconnoître comme des droits d'anciennes prétentions ultramontaines, il fortifioit de tout l'ascendant des préjugés sa nouvelle autorité; et par des sacrifices pénibles, sans doute, mais commandés par la nécessité, il mettoit fin aux divisions qui, après avoir fait verser des torrents de sang, continuoient d'agiter l'église et de troubler le repos de l'état.

On ne doute pas que, si le temps, les circonstances et le but de son ambition l'avoient permis, Buonaparte n'eût traité avec la cour de Rome à la manière de Henri VIII, de Gustave-Adolphe et de la confédération d'Augsbourg. Les expédients les plus prompts et les plus impétueux convenoient à ses desseins, comme à son caractère; mais il sentoit la nécessité de faire concourir, avec l'admiration et la faveur dont il étoit l'objet, l'influence de la religion et l'empire que le chef de l'église exerce sur la multitude.

Il se faisoit un moyen de l'obstacle même qu'il étoit le plus difficile de vaincre; et cette modération, dans

(1) « Des personnes dignes de foi assurent qu'après huit mois d'efforts et de tentatives inutiles pour vaincre la résistance de la cour de Rome, le consul lui fit déclarer que si, en dernière analyse, elle ne se prêtoit pas à ses vares, il alloit proclamer la religion protestante la religion de l'état. » De la persécution de l'Eglise, par M. de Laplace.

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Paix

d'Amiens.

un tel homme, étoit une extrême sagesse. Il déploya dans ces circonstances toutes les ressources de la doctrine de Machiavel: disciple de cet habile et dangereux politique, il laissa loin derrière lui non seulement le maître, mais l'école même dans laquelle celui-ci avoit composé le modéle idéal de son prince.

Tout le monde sait que la cour de Rome avoit été l'école de Machiavel. Cette cour s'inclina devant l'homme du destin, comme si elle avoit cessé d'être l'organe de la Providence, l'arbitre des rois et la suprême dispensatrice des destinées humaines. L'ascendant du premier consul triompha des antiques préjugés ; et le pontife, de bonne foi dans la négociation du traité, compta de bonne foi sur son exécution. Il ne lui vint pas dans l'esprit de demander, par exemple, l'explication de la disposition par laquelle l'exercice du culte catholique étoit assujetti aux réglements de police, que le gouvernement jugeroit nécessaires pour assurer la tranquillité publique (1). Et cependant c'étoit de cette disposition expresse que l'on devoit se servir pour violer le concordat, presque au moment même où il fut signé. Sous le titre d'organiques, on y ajouta une série d'articles qui en dénaturoient totalement l'esprit, et qui plaçoient la puissance ecclésiastique sous la juridiction de l'autorité

civile.

Quinze jours avant la signature du concordat, la paix avec l'Angleterre avoit été signée à Amiens. Par ee traité, l'Angleterre reconnoissoit Buonaparte en qualité de premier consul, et rendoit à la France et à ses alliés tout ce qu'elle avoit conquis dans les deux hémisphères.

(1) Art. Ier de la convention entre Pie VII et le gouvernement françois.

Mais ces avantages furent considérés, avec raison, comme des concessions forcées et dictées par la nécessité. L'Angleterre étoit alors abandonnée de tous ses alliés du continent, et menacée dans son intérieur d'une révolution prochaine. M. Pitt céda prudemment àl'orage, donna sa démission et fut remplacé par M. Addington.

La joie publique ne se montra dans ces circonstances qu'avec beaucoup de circonspection. Tous les politiques sentirent que cette paix n'étoit qu'une trève concertée entre les puissances ennemies de la France; en la signant, les parties contractantes restèrent avec leurs dispositions hostiles, et le consul, plus que tout autre, conserva une attitude menaçante.

Tel étoit alors son irrésistible ascendant, qu'il pouvoit vouloir sans opposition, et même exécuter sans obstacle les entreprises les plus hautement condamnées par l'opinion publique. Personne ne posséda à un plus haut degré que lui cette présence d'esprit qui s'empare des événements, cette adresse qui les interprète à volonté, cette audace qui les oppose avec orgueil au jugement des hommes, et les fait servir à l'accomplissement des plus vastes desseins. Dans ses entreprises les plus hasardeuses, Buonaparte ne voyoit que le but, et ne comptoit pour rien et les pleurs et le sang qu'il falloit verser pour y arriver.

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tion de

L'expédition d'Égypte avoit fait à la marine françoise Expédi des plaies qui saignoient encore, lorsque le premier St.-Doconsul annonça, par d'immenses préparatifs dans nos mingue. ports, le projet de faire rentrer la France dans la possession de l'île de Saint-Domingue. Les journaux publièrent par ses ordres des espèces de manifestes qui présentoient ce projet comme un devoir que l'intérêt

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Tous

verture.

du commerce, de hautes vues politiques et l'honneur de la nation imposoient également à son gouvernement.

Le public ne voulut pas comprendre ces motifs, ou les interpréta défavorablement. On étoit prévenu contre les expéditions lointaines. Celle de Saint-Domingue n'inspiroit aucune confiance. Les jacobins disoient hautement qu'elle n'étoit que le prétexte dont on vouloit couvrir la déportation des patriotes qui inquiétoient le premier consul.

C'étoit la même politique, disoient-ils, qui avoit déterminé Charles V à envoyer au secours de Henri de Transtamare, roi de Castille, et sous la conduite de Duguesclin, les bandes étrangères, qui l'avoient servi pendant la guerre et qui l'importunoient pendant la paix. Quoi qu'il en soit, les soldats que Buonaparte destinoit à l'expédition de Saint-Domingue en calculèrent toutes les chances; mais aucun d'eux ne recula devant le danger.

le

Une armée navale appareilla et sortit de nos ports 16 décembre 1801, sous les ordres de l'amiral Villaret. Le 5 février suivant, elle entra dans la rade du CapFrançois. Le même jour, sans déclaration de guerre, sans cause, sans motif, l'armée commandée par le général Leclerc, beau-frère du consul, débarque, se déploie, s'empare des forts et prend des positions.

L'île étoit alors sagement gouvernée par Toussaintsaint-Lou-Louverture, que ses talents, son génie, et d'éminents services avoient élevé au grade de capitaine-général. Buonaparte l'avoit reconnu en cette qualité, et avoit accordé de justes éloges à son administration, dans une lettre dans laquelle il disoit :

Nous avons conçu pour vous de l'estime, et nous

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