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nons plaisons à reconnoître et à proclamer les grands
services que vous avez rendus au peuple françois. Si son
pavillon flotte encore sur Saint-Domingue, c'est à vous
qu'il le doit appelé par vos talents et par la force des
circonstances au commandement suprême, vous avez,
par la sagesse de votre administration, détruit la
détruit la guerre
civile, mis un frein à la persécution de quelques hom-
mes féroces, remis en honneur la religion et le culte de
Dieu, de qui tout émane. »

A ce témoignage de Buonaparte, il faut ajouter celui d'un grand nombre de colons, qui ont vu de près, qui ont connu Toussaint - Louverture, qui n'en parlent qu'avec estime et respect, et qui vantent unanimement sa bravoure, sa justice et sa pénétration.

Il connoissoit à fond le caractère des noirs, et il avoit précisément dans le sien toutes les qualités propres à les gouverner et à les civiliser.

Quoique les noirs passent en Europe pour n'être susceptibles d'aucun autre joug que de celui de l'esclavage personnel, Toussaint avoit trouvé le secret de substituer à cet esclavage, qu'ils avoient secoué, l'état moins dur et moins pénible de serfs à la glèbe, en l'appuyant sur un régime militaire merveilleusement organisé pour contenir, par la crainte des châtiments, ceux des négres qui, pour se soustraire à l'obligation du travail, cherchoient à fuir dans les mornes, afin de se livrer à une vie oisive, pour eux la plus douce de toutes les jouissances.

Mais Toussaint s'étoit, en même temps, appliqué à adoucir ce nouveau régime par l'enseignement de la religion chrétienne, dont il sentoit tellement l'importance, qu'il la prêchoit lui-même jusque dans ses ordonnances

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civiles. Il avoit rétabli l'exercice public du culte catholique, et mis le concordat en pratique long-temps avant que Buonaparte cût conçu l'idée du sien pour la

France.

Ce fut à l'occasion de sa religieuse politique que les écrivains du temps, qui avoient deviné la jalousie de Buonaparte, cherchèrent à la flatter, en lui disant que Toussaint-Louverture n'étoit qu'un fanatique et un hypocrite; mais ceux qui ont su apprécier Toussaint lui rendent ce témoignage uniforme, qu'à toutes les épode sa vie il se montra religieux sans fanatisme; et que, pendant son gouvernement, il sut employer avec sagesse l'appui de la religion à l'affermissement de son autorité.

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Les mêmes écrivains l'accusent d'avoir fait la guerre avec barbarie; d'avoir détruit, pour le seul plaisir de détruire, une partie de la colonie; d'avoir porté le fer et la flamme par-tout où il a pu pénétrer; d'avoir enfin fait égorger plus de dix mille blancs ou mulatres.....

Mais il faudroit vérifier si ce que ces écrivains nomment barbarie, n'étoit pas ce qu'on appelle par-tout des représailles, le plus terrible, mais le plus commun des droits de la guerre; si les François eux-mêmes n'ont pas provoqué ces effusions de sang; si Toussaint a pu les prévenir ou les arrêter; et, pour être juste, convient-il encore de ne juger les actes de férocité dont Toussaint est accusé que d'après le caractère particulier qu'avoit pris la guerre entre les blancs et les

noirs.

Un dernier reproche qu'on lui a fait, et qui nous paroît aussi fondé que peu les autres, c'est d'avoir voulu se rendre indépendant de la métropole.

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En examinant sa conduite, on voit, au contraire, qu'il a toujours cherché à conserver ses communications avec la France; qu'il ne s'étoit emparé du voir suprême que pour empêcher ses lieutenants d'en abuser; qu'il ne le conservoit que dans l'intention de le remettre au souverain légitime; que s'il avoit eu le projet de se l'approprier, loin de supporter un long blocus de la part des Anglois, il eut accepté avec empressement l'alliance qu'ils lui proposoient, etc. Tout prouve que, dans ses combats, dans ses négociations, dans son administration, il ne travailloit que pour la métropole; et le succès de ses efforts pour retenir les noirs dans la soumission, et les ramener au travail, dit assez que le bon génie de la France sembloit avoir confié à cet illustre noir le soin de réparer tous les désastres que les hommes de sa couleur avoient causés dans la plus précieuse de nos colonies.

Rien ne le prouve mieux que la lettre que le général Leclerc écrivit au premier consul, immédiatement après son débarquement. « La culture de la colonie, dit-il, est à un degré de prospérité plus haut qu'on n'auroit osé l'espérer.

Certes, le capitaine qui l'avoit conservée indépendante, qui, en moins de quatre ans, l'avoit retirée de l'état de la plus affreuse dévastation, pour la rendre à celui d'une prospérité inattendue, méritoit bien qu'on lui demandat quelles étoient ses intentions ultérieures, avant de porter chez lui le fer, la flamme, et tous les fléaux de la guerre.

Mais Buonaparte craignit sans doute de se compromettre, en ouvrant avec Toussaint-Louverture, qu'il regardoit comme un usurpateur, des négociations qui

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paroissoient établir entre eux une égalité de droits. Il ne daigna pas lui envoyer un aviso, pour le prévenir de ses intentions. Ce fut le général Leclerc lui-même, c'est-à-dire celui qui étoit chargé de le combattre ou de le faire arrêter, qui fut chargé de lui remettre la lettre du consul qui lui annonçoit sa destitution.

Qu'on daigne se mettre à sa place, et qu'on se demande l'impression que durent produire sur son esprit, et cette lettre singulière, et l'appareil d'hostilités qui l'accompagnoit. Toutes les apparences tendoient à lui faire croire que les François vouloient le surprendre, l'attaquer, le remettre aux fers, lui et tous ses compagnons d'armes.

La plus terrible révolution s'opéra tout-à-coup dans ses idées : il oublia tout ce ne fut plus qu'un Africain rendu à sa férocité naturelle, ne respirant que la vengeance: il commanda l'incendie du Cap, le bombardement de la flotte, et le massacre de tous les blancs.

Cependant des proclamations, qui promettoient le pardon au repentir et l'indulgence à l'erreur, circuloient dans la colonie. Le consul, qui avoit prévu le premier effet de l'apparition de la flotte et de l'armée, avoit déguisé sa pensée; et, dans sa lettre à Toussaint, il lui disoit « Je remets dans vos bras vos enfants, comblés des bienfaits du gouvernement, et capables, par l'éducation libérale qu'ils ont reçue en France, de seconder un jour vos efforts pour le rétablissement de la culture et de la subordination. »

Toussaint fut attendri à la vue de ses enfants; il les embrassa en pleurant ; mais le sacrifice qu'on lui demandoit en échange revenant à sa pensée, il se dégagea

de leurs caresses, reprit les armes, et combattit avec une nouvelle fureur. Les succès furent balancés pendant quelque temps; mais la défection de Christophe, qui, avec les troupes qu'il commandoit, passa du côté des François, obligea Toussaint à se soumettre. Il signa une capitulation, remit ses armes et ses pouvoirs au général Leclerc, licencia ses troupes, et rentra dans la vie privée.

Un mois s'étoit à peine écoulé, que, libre sur la foi des traités, tranquille par goût, n'ayant ni la volonté ni les moyens de ressaisir l'autorité qu'il avoit volontairement abdiquée, il se vit tout-à-coup arrêté, chargé de fers, transporté en France, et jeté dans un cachot, sans qu'on ait jamais voulu ni l'entendre ni le juger. It y a fini ses jours.

La fin si prompte de ce chef des noirs, si brave, si noble, et aussi extraordinaire que Buonaparte luiméme ; le mystère qui l'a enveloppée, le silence qui l'a suivie, tout semble accuser le gouvernement de l'avoir commandée, afin de prévenir des révélations qu'une procédure éclatante rendoit inévitables. Le malheureux Toussaint a disparu, comme s'il n'avoit jamais été compté parmi les hommes. L'histoire le réclame aujourd'hui, ainsi que Pichegru, Hoche, Kléber, d'Enghien, et beaucoup d'autres : il sortira de sa tombe pour être à son tour l'accusateur de son bourreau.

Buonaparte se moquoit de l'histoire et des jugements de la postérité; mais il croyoit encore devoir des ménagements à l'opinion de ses contemporains. Entre le trône de Louis XVI, où il vouloit monter, et la magistrature temporaire qu'il exerçoit, l'intervalle étoit immense pour le combler, il se fit nommer consul à vie.

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Buonaparte est consul à

nommé

vie.

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