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Je ferai à cet égard quelques rapprochemens, qui feront sentir l'utilité des innovations que nos législateurs ont dû introduire.

Les publications des enchères au tribunal devant lequel se poursuit la vente, remplacent les criées, dont l'effet était de donner aussi une sorte de publicité à la saisie réelle, et d'annoncer l'adjudication: mais cette formalité était presque sans intérêt pour le saisi, puisqu'elle avait lieu le plus souvent à son insu, et que la procédure ne commençait à devenir contradictoire qu'au moment de l'adjudication. Je ne connais que deux coutumes, celle de Vitry et celle de Ponthieu, qui exigeaient formellement la signification des criées au saisi.

Une différence qui mérite d'être remarquée relativement à l'effet de la saisie, c'est qu'aujourd'hui le débiteur peut conserver l'administration de l'immeuble dont l'aliénation lui est seulement interdite, tandis que, sous l'empire de l'ancienne législation, l'huissier, en procédant à la saisie, devait établir un commissaire, pour régir et gouverner l'immeuble 'mis sous la main de la justice.

On a pensé avec raison que l'établissement d'un commissaire grevait le débiteur de frais considérables, sans qu'il en résultat d'ordinaire aucune utilité pour les créanciers; et que les droits de ceux-ci étaient à l'abri de toute atteinte, en laissant le saisi en possession de ses biens jusqu'au moment de la vente comme sequestre judiciaire, sauf aux juges à en ordonner autrement, s'ils le croient nécessaire. (Article 688.)

Enfin, nos nouvelles lois ont donné moins de latitude à l'effet de l'adjudication. Autrefois, elle transférait irrévoca

blement la propriété à l'adjudicataire, sans qu'il pût être inquiété par les créanciers hypothécaires, qui ne s'étaient pas rendus opposans, soit au moment de la saisie, soit dans le cours des criées, soit avant l'adjudication; tandis que, d'après les principes consacrés par nos nouveaux Codes, la vente forcée, loin de porter atteinte aux droits des créanciers inscrits, rend exigible le montant des dettes hypothécaires, dont l'immeuble est grevé.

Il ne faut pas croire cependant que les lois anciennes et les lois nouvelles sur cette matière présentent partout un tel contraste; il existe un assez grand nombre de points de contact entre les unes et les autres. En réformant dans ses bases et dans son ensemble un système vicieux, nos législateurs ont eu le soin de conserver quelques dispositions fondamentales, et quelques dispositions de détail, compatibles avec les nouvelles idées qu'ils voulaient introduire.

Ainsi, le commandement préalable, fondé sur un titre exécutoire, le procès-verbal de saisie, le transport de l'huissier sur les lieux, l'apposition des affiches, se retrouvent également dans l'une et dans l'autre procédure.

A

La dénonciation au débiteur du procès-verbal de saisie est rigoureusement exigée par l'art. 681 du Code. Aucune disposition législative ne prescrivait anciennement une telle dénonciation; mais l'usage en a fait sentir la nécessité, et le poursuivant ne s'en dispensait jamais.

Comme je viens de l'observer, un commandement préalable à la saisie était absolument nécessaire; cependant l'édit de 1551 ne déterminait pas le délai qui pouvait s'écouler entre ce commandement et la saisie. La coutume de Normandie

est, je crois, la seulé qui ait décidé (art. 547) que le commandement ne pouvait précéder de plus d'un an l'exploit dé saisie réelle.

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Aux termes d'un arrêt du parlement, du 12 août 1664, portant établissement d'un commissaire aux saisies réelles pour la ville de Paris, Ja partie poursuivante devait présenter à ce commissaire l'exploit de saisie réelle, pour le faire enregistrer. Le motif d'une telle disposition (dit Ferrière, dans son dictionnaire de pratique), c'est que la saisie réelle enregistrée la première, doit être préférée; en sorte que les autres sont converties en oppositions; à moins qu'on ne justifie que la saisie qui a été la première enregistrée, est frauduleuse, et que celle qui a été enregistrée depuis, est pour une somme beaucoup plus considérable. C'est ce qui a donné lieu à la maxime, saisie sur saisie ne vaut.

La transcription de la saisie immobilière au bureau des hypothèques, dans l'étendue duquel les biens sont situés, remplace aujourd'hui l'enregistrement par le commissaire aux saisies réelles. Elle a aussi pour objet, d'assurer la préfé rence au créancier premier poursuivant. (Art. 677, 678 et 679)

Si celui qui est chargé de la poursuite de la saisie réelle (disent les auteurs du Répertoire de jurisprudence), vient à donner main-levée, un autre créancier opposant peut se faire subroger à la poursuite; en ce cas, tout opposant est réputé saisissant : c'est le plus diligent qui est alors préféré. Il en est de même, si le poursuivant néglige de faire continuer les procédures, soit parce qu'il se trouve hors d'état d'avancer les frais, soit par pure négligence, soit par collusion avec la partie saisie,

Ce point de doctrine a été consacré en disposition législative', par l'art. 722, C. P. C.

La loi du 11 brum. an 7, en jetant les fondemens du nouveau système hypothécaire, a dû régler aussi les formalités. à remplir, pour parvenir à la vente forcée des biens immeubles.

Les créanciers qui ont eu à exercer leurs droits sous l'empire de cette loi ont rendu hommage à l'abolition d'une foule de formalités inutiles, et au mode d'expropriation à la fois simple et rapide qu'elle y a substitué. Victimes du malheur des circonstances, les débiteurs ont attribué leur ruine, moins à leurs engagemens téméraires, qu'aux résultats funestes qu'ils ont produits, et auxquels ils devaient s'attendre. Ils ont appelé désastreuse une loi, sous le règne de laquelle ils ont vu s'engloutir leur fortune.

Je crois que les éloges et les plaintes sont également exagérés. Si les ouvrages produits par de sages méditations, et par une longue expérience, ne peuvent que se rapprocher plus ou moins du dernier degré de perfection, comment pourrait-on l'attendre des essais d'une législation naissante ?..

On ne peut s'empêcher de convenir que la loi de brumaire laisse beaucoup à désirer; elle est trop sévère pour le débiteur, en ce que l'expropriation suit de près la saisie, elle est trop sévère pour le créancier, en ce que la peine de nullité s'attache à l'inobservation de dispositions peu importantes, et à la violation de formes, souvent mal déterminées.

Mais, en se reportant à l'époque où cette loi a paru, en observant combien l'anéantissement des anciens préjugés, l'introduction d'idees jusqu'alors étrangères, le plan d'un nouveau système, l'établissement de ses bases, l'ordonnance de ses diverses parties, rendaient pénible et délicate la tâche

du législateur, on est forcé de convenir que ses efforts l'ont rapproché du but, et qu'il a fait tout ce qu'il pouvait faire.

Aussi, dans leurs observations sur le projet du Code, plusieurs cours d'appel ont rendu hommage à la sagesse des dispositions de la loi de brumaire : quelques-unes les ont même préférées à celles qui leur étaient présentées. « L'expérience est la pierre de touche des lois ( disait la Cour d'appel de Poitiers ), il en est peu qui résistent à cette épreuve; et elle a justifié la sagesse de la plupart des dispositions de celle du 11 brumaire. Les reproches qu'on a faits à cette loi ne tombent que sur des dispositions particulières; il est facile de faire disparaître les inconvéniers qu'on y trouve. C'est cette loi modifiée et purgée des défauts que l'usage a fait connaître, que la Cour d'appel propose de substituer au régime des saisies réelles. La marche en est simple, tandis qu'on risque souvent de s'égarer dans les dispositions du projet.... »

Il y a encore de l'exagération dans cette opinion. Outre que les rédacteurs du nouveau Code avaient à compléter les dispositions de la loi de brumaire dans plusieurs parties importantes, ils avaient aussi à concilier la faveur attachée à la propriété, avec celle qu'on doit au créancier porteur d'un titre exécutoire.

Quelques rapprochemens suffisent pour prouver qu'il a cherché à remplir ce double but.

Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 brum. an 7, il devait y avoir un intervalle de trente jours au moins, entre le commandement et la poursuite de la vente forcée; mais cet article avait négligé de soumettre le commandement à une sorte de prescription, en fixant un délai après lequel la vente n'aurait pu être poursuivie, sans un commandement nouveau. L'art, 4 a fixé ce délai à six mois,

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