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cession contraire au traité d'Amiens encouragerait l'Angleterre à de nouvelles exigences qu'il serait impossible de lui accorder, et que puisqu'il fallait finir par un refus, il était plus honorable pour la France de le faire dès le commencement. En politique, comme dans tout, l'exemple d'un enfant décidé à ne point dire son alphabet doit servir de règle.

On commença par gronder cet enfant, bientôt après on le battit: il résistait toujours; une dame survint et lui dit : « Comment, mon petit ami, vous exposer à de tels châtiments, plutôt que de répéter A; cependant cette lettre est si vite prononcée ! — Oui, répondit l'enfant ; mais je n'ai pas plutôt dit A qu'on veut me faire dire B.

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Du reste, l'aristocratie et le commerce anglais ne prenaient point le soin de cacher leurs desseins: « Nous voulons Malte, et avec Malte la guerre :» tel était leur langage, et tel il devait être, car la guerre seule leur offrait des chances d'accomplir leurs projets, proclamés avant le traité d'Amiens. Avant 1802, l'aristocratie anglaise avait souvent juré en plein parlement qu'elle ne ferait jamais la paix avec la France tant qu'elle conserverait la rive gauche du Rhin et la Belgique. Aussi, comme nous l'avons dit, le traité d'Amiens ne fut-il qu'une trève. Peu de temps après sa rupture, l'Angleterre fournit une preuve positive que son seul but, en reprenant les armes, était de nous priver de nos frontières

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naturelles, et de replacer sur le trône Louis XVIII, qui, à cette époque si voisine de la conquête de nos limites, pouvait seul lui garantir que la France ne chercherait pas à sortir du cercle étroit que l'on tracerait autour d'elle.

Dans un mémoire (publié en mai 1815 par l'ordre du prince régent, rapporté par Scheel, Recueil de pièces officielles, tome VII, page 59) remis le 19 janvier 1805 aux cours de Russie et d'Autriche, avec qui l'Angleterre s'entendait déjà, celle-ci proposait les articles du traité à faire entre eux ; l'article 1er était ainsi conçu: «Réduire la France » à ses anciennes limites, telles qu'elles existaient » avant la révolution. » Ces propositions furent converties, le 11 avril 1805, en un traité définitif entre ces trois puissances et la Suède. L'article 6 de ce traité exprime le dessein « de ne point forcer » l'opinion publique, soit en France, soit en d'au» tres pays, à l'égard de la forme de gouvernement >> qu'on pourrait juger à propos d'adopter. » Dans aucun traité fait contre une nation dont le gouvernement n'a point pris naissance d'une révolution, l'on n'a jamais dit que l'opinion publique ne serait pas forcée sur la forme du gouvernement de ce pays; énoncer un pareil principe, c'est annoncer indirectement, mais très-positivement, qu'on veut changer la forme de ce gouvernement, y faire une révolution de mouchoirs blancs, mais en se réservant la faculté de dire, en montrant le traité: Vous voyez

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bien que nous nous étions engagés à ne point contraindre l'opinion publique; c'est donc elle qui se manifeste. L'intention de détruire le résultat le plus visible de la révolution française est rendue plus évidente encore dans l'article 2 de ce même traité. Après avoir parlé du rétablissement du roi de Sardaigne en Piémont, etc., cet article se termine ainsi: «Enfin l'établissement en Europe d'un » ordre de choses qui puisse protéger efficacement » la sûreté et l'indépendance des divers États et » servir à empêcher toutes usurpations futures. »> Ce mot d'usurpation est à remarquer.

Ce traité du 11 avril 1805 est en tout semblable à celui de la sainte-alliance, et, comme ce dernier, il est fait au nom de la très-sainte Trinité. C'est là l'étoile polaire qui a toujours guidé nos ennemis, qu'ils n'ont jamais perdue de vue, malgré les traités de paix, ou plutôt les trèves que la victoire les a forcés de faire avec le représentant de la révolution, avec Napoléon.

Lors de la rupture du traité d'Amiens, et quelques années encore après, lorsque les faits étaient bien présents à tous les esprits, l'immense majorité des Français fut indignée au dernier point de l'insigne mauvaise foi des Anglais, et tellement que Napoléon ne craignit point de lever une légion vendéenne, « toute composée, officiers et soldats, › d'hommes (ce sont ses expressions) ayant fait la > guerre contre nous. » A cette époque, tous les

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hommes ayant du sang français dans les veines secondèrent avec la plus grande énergie Napoléon dans toutes les mesures qu'il prit pour forcer le gouvernement britannique à une solide paix ; mais l'aristocratie anglaise, outre l'appui qu'elle savait bien qu'avant peu lui prêteraient les aristocraties du continent, comptait en outre sur le caractère léger, frivole, oublieux de la classe éclairée en France; elle savait que cet élan patriotique ne tiendrait pas longtemps contre les sacrifices de jouissance qu'elle exigeait, et qu'à force de répéter, malgré l'évidence, que Napoléon seul ayait rompu le traité d'Amiens, que seul il était l'auteur des guerres continentales, les hautes classes en France finiraient par le croire, et paralyseraient le patriotisme du peuple, qui, lui, ne s'y trompait pas, qui par instinct national comprenait que toutes les nouvelles guerres étaient la suite de la guerre de 92; que toutes s'attaquaient comme celle-là au même principe, celui de la révolution, et qu'il fallait ou que ce principe succombât, ou que le continent, fermé à l'Angleterre, forçât cette puissance à une paix portant en elle-même sa garantie de durée.

La troisième coalition, formée de l'Angleterre, de la Russie, de l'Autriche et de la Suède, se déclare. Les hostilités commencent en octobre 1805; Napoléon a-t-il provoqué cette nouvelle guerre?

Au commencement de 1804, avant la conspiration de Georges Cadoudal, l'Autriche faisait déjà

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de grands armements qu'elle colorait des prétextes les plus frivoles. Elle s'agrandit en Allemagne par l'achat fait à divers princes de leur territoire, mais surtout par des usurpations sur d'autres, en vertu de prétendus droits seigneuriaux. Le gouvernement français la laisse faire, espérant ainsi acheter sa neutralité; mais les armements continuent toujours et deviennent de plus en plus menaçants.

Le 18 février 1805, Pitt obtient du parlement cent vingt-sept millions de francs, et le 2 juillet quatre-vingt-dix millions pour des usages continentaux; c'était évidemment pour donner des subsides à l'Autriche et à la Russie qui, elle aussi, armait depuis longtemps. Nous avons vu, le 19 janvier, les propositions faites par l'Angleterre, acceptées par ces deux puissances, ainsi que par la Suède, et converties en traités le 11 avril suivant. Pour la Suède, et surtout pour l'Autriche, l'intention de nous attaquer est évidente dès la rupture du traité d'Amiens. Ce qui prouve que la France ne provoquait en rien cette nouvelle croisade, c'est la conduite de l'archiduc Charles, prince d'un noble et beau caractère. Lorsqu'il vit que l'empereur son frère, maîtrisé par l'aristocratie, se décidait, presque malgré lui, à rompre la paix, il quitta, le 21 mars 1805, la présidence du conseil de guerre.

Pendant 1804 et 1805, Napoléon fait tout ce qu'il est possible auprès des empereurs de Russie et d'Autriche pour les engager à ne point le dé

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