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les autorités chargées des levées; si elle a réussi sur quelquespoints de l'empire, elle a été sur presque tous les autres exemplairement punie: pour 1808, elle sera poursuivie avec une nouvelle activité; l'œil de la police sera continuellement ouvert; les tribunaux qui se sont déjà armés de toute la sévérité des lois redoubleront, s'il est possible, de zèle et d'ardeur. L'empereur veut que les abus cessent, ou que les coupables soient voués à l'ignominie! Les vœux de S. M. seront remplis, si tous les fonctionnaires publics le veulent avec force. Quant à moi, je ne cesserai jamais de surveiller les faibles, de poursuivre les fripons, de tourner vers eux toute l'activité de la police, toute la sévérité des magistrats; et d'appeler sur ceux qui me seconderont puissamment, les récompenses que S. M. s'empresse de distribuer à ceux qui remplissent leurs devoirs avec zèle et courage.

J'ai l'honneur de vous saluer avec une considération distinguée.

(Signé)

LACUÉE.

8 Juin, 1807.

Rapport de M. l'adjutant-commandant Mériage, relatif à M. le baron de Senft, ministre plénipotentiaire de Prusse près la Sublime Porte.

Widdin, le 9 Mai, 1807.

Le 23 Mars, M. le baron de Senft, ministre de Prusse près la Porte ottomane, passa à Widdin, sous le nom de Michel Stéphan, courier autrichien, porteur de dépêches pour l'internonce à Constantinople. Michel Stéphan disait venir d'Hermanstadt et devoit se rendre en toute diligence à sa destination. Il était accompagné par un Tartare, du consulat d'Autriche à Bucharest, et porteur d'un ordre du général Mistrowski, commandant en Transylvanie. Renvoyé devant moi par le pacha de Widdin, l'embarras de M. Senft trahit le préteudu courier autrichien; le défaut de chevaux ne permit pas son départ, et je lui offris de passer la journée chez moi. Je traitai Michel Stéphan comme un personnage dont je voulais respecter l'incognito. Il voulut bien me rassurer sur les faux bruits répandus par les Russes relativement à la bataille d'Eylau, il affirma la victoire de S. M. l'empereur Napoléon, entra dans des détails sur les Russes en Valachie, m'annonça qu'ils devaient avoir fait un mouvement en avant le 15 Mars; mais ce pendant que si au mois de Mai le général Michelson n'avait pas reçu des renforts, il évacuerait la Valachie; je lui appris de mon côté, l'expédition et la retraite de l'escadrs anglaise qui s'était présentée devant Constantinople. M. de Senft ne put cacher sa surprise; il croyait cette escadre encore dans la mer de Marmora; il s'informa avec curiosité des démarches des négociateurs anglais. Michel Stéphan était trop bien instruit pour être un chargé de mission ordinaire. Je le fis

devancer par un exprès pour en prévenir le général Sébastiani; son inquiétude était visible. Je n'ai point de pressentiment sinistre, me dit-il; mais si vous appreniez qu'il me fût arrivé quelqu'accident, que je sois tué, je vous prie de vouloir bien en donner avis au général Mitrowski. Je le rassurai et fis recommander au Tartare qui l'accompagnait de veiller à sa sûreté. M. de Senft partit de Widdin, le 24 Mars, satisfait de la réception que je lui avais faite. Je savais qu'il voyageait lentement; il n'arriva que le 6 Avril à Constantinople, an moment du départ de l'armée ottomane, sous les ordres du grand-visir. M. de Senft put être témoin de l'activité imprimée chez les Ottomans par l'apparition des vaisseaux anglais et de l'armement redoutable depuis cette capitale jusqu'aux Dardanelles. Les résolutions de la Porte étaient prises; les menaces ni les intrigues n'y pouvaient trouver d'accès; la mission de M. de Senft paraissait tardive, si elle était envisagée sous ce rapport.

Le 4 Mai, je fus prévenu par les gardes turques qu'un étranger venant de Constantinople était à la poste, seul avec un Tartare, ne sachant point la langue turque et paraissant fort inquiet. Je l'envoyai chercher; c'était Michel Stéphan, il me demanda d'abord un entretien particulier.

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M. de S....." Je suis confus de vos honnêtetés, j'hésitais à venir vous en faire mes remercîmens; des motifs importans m'avaient forcé au déguisement sous lequel vous me voyez : je dois me faire connaître aujourd'hui.

Le Com. M.... "Je savais que vous êtes M. de Senft, ministre de Prusse près la Porte ottomane : j'ai respecté vos motifs en feignant de vous croire un courrier. S. M. n'ignorait pas votre séjour à Bucharest; votre mission n'a point échappé à sa surveillance; mais plein de confiance dans le sultan son allié, peut-être n'a-t-elle pas été fâchée que vous puissiez vous convaincre par vous-même de l'inutilité des efforts de ses ennewis, pour en rendre compte au roi votre souverain. J'ai, au surplus, rempli ses intentions en ne contrariant pas votre voyage."

M. de S..... "C'est une chose étonnante, monsieur, que la fortune de votre empereur. Rien ne peut arrêter ses desseins, j'en viens de faire l'expérience; tout lui réussit. Il n'est pas un point un peu important dont il ne se soit emparé, où il n'ait quelqu'un; les hommes et les événemens, tout le sert d'une manière admirable. J'avais appris à Orsowa que vous étiez ici: j'avoue mon embarras; j'ai cru apercevoir que j'étais découvert, et j'ai été sur le point de vous faire ma confidence; mais des considérations majeures, la crainte d'un accident dans un tel pays, m'ont retenu."

Le com. M...... "Il est sans exemple, M. le baron: que les Français aient violé le caractère public des envoyés ou ambassadeurs. Les Anglais et d'autres gouvernemens n'ont point

se rendre le même témoignage; ont-ils été plus heureux? Leurs agens saus doute, auraient pu mettre votre personne en danger pour enlever vos papiers; si j'eusse suivi de semblables exemples, j'aurais certainement encouru la disgrace et la sévérité de l'empereur."

M. de S...... "J'avais peu de papiers importans; seulement un chiffre pour une correspondance avec le roi, et dont à peine j'ai eu le tems de faire usage. Je n'ai reçu à Constantinople que trois lettres de S. M.: deux n'avaient précédé; la troisième est arrivée peu de jours avant mon départ. Mais, monsieur, la générosité française est suffisamment connue. J'ai aussi été militaire; j'étais major lorsque les circonstances m'ont fait entrer dans la carrière diplomatique; et quoique le roi mon maître soit en guerre avec S. M. l'empereur, veuillez être persuadé que personne ne l'admire plus que moi. J'ai regretté les malheureux événemens qui ont rompu la paix et n'ai pu les prévenir. J'ai toujours aimé les Français ; j'ai l'avantage de connaître le général Duroc; je l'ai même consulté relativement au mariage de ma fille; elle a épousé un officier supérieur de votre armée, M. l'adjutant-général Cérèse."

(M. de Senft était en route depuis le 26 Avril, jour de son départ de Constantinople. Il paraissait excédé de fatigue: je l'invitai à passer la journée; ce qu'il accepta. Après quelques momens de repos, il reprit ainsi :)

"J'ai eu, monsieur, la mission la plus malheureuse; j'étais précédemment ministre du roi à Copenhague; je fus, lors de la rupture avec la France, destiné pour Constantinople. A peine étais-je parvenu en Bohême au moment de la bataille de Jéna; elle fut pour moi l'époque de la mésaventure la plus désagréable. On me vola ce que j'avais de plus précieux et tout mon argent; c'est ainsi que j'arrivai à Vienne. Je me rappelle fort bien vous y avoir vu chez le ministre des finances, comte Zichi, et chez le prince Trantsmandorf.

Le com. M..... "N'étiez-vous pas avec le ministre de Prusse, M. de Finckenstein? Il me semble que vous fûtes avec lui chez l'empereur."

M. de S..... "Cela est vrai, et S. M. me reçut avec beaucoup de bonté; elle me dit une chose remarquable. Je la pressais de se déclarer contre la France. Vous faites votre devoir, me répondit ce prince, en m'engageant à cette démarche; mais je dois faire le mien en n'y accédant pas. Après avoir retrouvé tout ce que j'avais perdu en Bohême, j'ai attendu à Vienne les nouveaux ordres du rois et suis parti pour Bucharest. J'y ai trouvé le corps d'armée du général Michelson. J'écrivis à Mustapha, pacha de Rudschuck, et au nazir d'Ibrahil. Je comptais poursuivre ma route pour Constantinople. Alors mon fils unique mourut. J'étais au désespoir, je fis embaumer le corps de mon fils. Pressé de partir, je laissai ce dépôt avec mon épouse et ma suite à Bucharest, et,

cour

pe pouvant me diriger par Rudschuck, je partis seul avec un Tartare pour Hermanstadt, afin de passer comme rier à Widdin. Telle était ma position quand j'eus l'honneur de vous voir, il y a un mois. Je n'étais soutenu que par l'importance de ma mission; la vie pour moi était un fardeau. Je croyais trouver à Constantinople les choses en moins mauvais état; mais la retraite des Anglais avait tout perdu. Votre ambassadeur a eu le succès le plus complet. Son triomphe était absolu. Je fus voir le ministre d'Espagne à mon arri vée. Quel espoir pouvez-vous avoir, me dit-il? ne savez-vous pas que la France et l'Espagne sont puissantes à Constantinople? En vain je demandai audience au ministère turc. Piqué d'une pareille réception, je lui notifiai officiellement la victoire remportée par l'armée russe sur celle de l'empereur à Eylau."

Le com. M..... "Si j'ai bonne mémoire, M. le baron, il me semble qu'à votre passage vous eûtes la complaisance de me faire une communication confidentielle tout-à-fait contraire. Comment avez-vous pu convertir en victoire une défaite aussi signalée ? Cette démarche a dû vous nuire auprès de la Porte."

M. de S...., "Je devais la faire, Monsieur mais rien ne pouvait réussir auprès d'une cour où il n'est pas possible de tenter la moindre insinuation saus que, deux heures après, le général Sébastiani en ait connaissonce. J'ai pour toute réponse reçu l'ordre de partir sous deux jours, et le ministère turc à motivé cet ordre sur des considérations personnelles. Voilà ce qui m'a été le plus sensible. J'ai vainement réclamé. On m'a dit que la Porte ne pouvait recevoir, de la part d'une puissance alliée de ses ennemis, un ministre qui avait séjourné au milieu d'une province rebelle, auprès du prince Ipsilanti et du général Michelson; objection dépourvue de raison, puisqu'il n'a pas dépendu de moi de continuer mon voyage. J'ai inutilement attendu pendant vingt-un jours les passeports demandés aux pacha: la Prusse n'est point en guerre contre la Porte: pourquoi donc ne pas vouloir que le baron de Senft réside à Constantinople, lorsqu'on y souffre un chargé d'affaires? J'ai été surpris que le général Sébastiani, auquel on en a parlé, ait répondu qu'il ne pouvait donner son aveu à mon séjour. dans cette résidence, sans en être responsable envers l'empereur."

Le com. M..... "Je conviens qu'il est désagréable pour un ministre de ne pas réussir dans sa mission; cependant il me semble que le général Sébastiani a rendu justice à vos talens. Il n'a pu supposer qu'un ministre aussi distingué fût venu dans de pareilles circonstances pour jouer un rôle indifférent. Votre présence seule était inquiétante; un homme nul n'eût point comme vous fixé l'atteution, et sans doute la Forte n'eût point fait usage des mêmes motifs pour l'éloigner.'

M. de S..." Je pourrais le penser ainsi. Je vous avoue que si j'étais arrivé à tems opportun, je crois que les choses auraient pris une autre tournure. J'aurais appuyé les propositions du ministre d'Angleterre, et ce ministre n'eût pas fait un faux pas aussi intempestif; mais qui aurait pu s'attendre que M. Arbuthnot romprait par un impromptu, ferait venir en bas de soie, à bord de sa frégate, les marchands de sa nation et partirait à l'instant avec eux, laissant leurs familles et leurs fortunes à la discrétion des Turcs? Qui aurait cru que cette escadre viendrait faire devant Constantinople une parade ridicule quand elle pouvait tout entreprendre? Est-ce ainsi qu'en eût agi Nelson? J'étais ministre à Copenhague quand il força le Sund et dicta la loi au Nord: quelle différence! Jugez, monsieur, de ma mauvaise étoile; j'étais parti sous les plus heureux auspices, dans une de ces époques européennes faites pour influer sur le sort des peuples, pour fixer la destinée des nations. De grandes et puissantes armées devaient frapper au Nord; et si la victoire était douteuse, de grands événemens du Midi devaient maîtriser la fortune. J'étais destiné à seconder cette époque mémorable. Eh bien, monsieur, les opérations les mieux conçues appuyées de moyens irrésistibles, tout échoue, rien ne réussit. 1 semble que le sort se soit plu à nous faire travailler pour votre avantage. Rien ne peut balancer les destins et l'ascendant supérieur da votre empereur. Mais les amiraux anglais répondront certainement de cette étrange retraite, en retournant dans leur pays. Je sens, je me persuade que si j'eusse été à Constantinople cela ne se serait point passé ainsi. Je crois que je leur aurais fait comprendre que leur canon devait tout décider à l'instant."

Le Com. M... "Vous avez donc pu vous convaincre du vice ordinaire aux coalitions. Le concert ne peut jamais y être parfait, tout s'y oppose. Les distances, la difficulté des accords, des à propos; vous êtes arrivé trop tard ou les Anglais trop tôt, et le résultat de cette discordance a réveillé l'empire ottoman jusqu'alors assoupi."

M. de S.. "Au moins la Porte devait-elle se rappeler que la Prusse a été un de ses plus grands appuis, que peut-être elle lui doit la conservation de son existence lorsque d'autres puissances menaçaient de l'envahir.

Le Com. M.... "Mais le roi se trouve malheureusement engagé dans une ligue avec ces mêmes ennemis qui ont envahi les provinces ottomanes. Soyez juge, M. le baron, que pouviez-vous attendre? que pouviez-vous faire à Constantinople?"

M. de S..... J'ai dû parti, traverser une seconde fois un pays barbare où la vie des étrangers est compromise à chaque instant. Je vais me rendre à Mémel pour rendre compte au

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