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Jean a fait une donation entre - vifs à Caroline, sa petite-fille, d'un immeuble valant 20,000 fr.

Caroline est décédée, et dans sa succession, qui a été recueillie par Louise, fille, s'est trouvé l'immeuble donné par Jean.

sa

Louise est aussi décédée : dans sa succession déférée à ses quatre enfans, s'est encore trouvé l'immeuble donné.

Marc, Jérôme, Luc et Romain sont morts sans postérité, et dans la succession de Romain, qui est mort le dernier, s'est encore trouvé l'immeuble donné par Jean.

Aux termes de l'art. 753 du Code civil, la succession de Romain devrait être déférée, pour moitié, à Julie, sa basaïeule maternelle, et pour l'autre moitié, à son plus proche parent paternel.

Mais Jean se présente comme étant appelé par l'art. 747 à succéder à Romain, pour l'immeuble qu'il avait donné à Caroline, et demande que cet immeuble, qui compose toute la succession de Romain, lui soit entièrement remis.

Les héritiers appelés par l'art. 753 soutiennent que Jean ne peut être admis à suc

céder à Romain, attendu 1° que, suivant les termes de l'art. 747, l'ascendant n'est appelé à succéder au descendant auquel il a donné, que dans le cas seulement où ce descendant est mort sans postérité; et qu'ainsi, dans l'espèce, Caroline, donataire, ayant laissé, en mourant, une fille qui lui a succédé, dès ce moment le droit de réversion a été éteint; 2o que l'immeuble qui avait été donné par Jean ayant passé de la succession de Caroline à Louise, de la succession de Louise à ses quatre enfans, et des successions des trois premiers enfans décédés à Romain, qui est devenu leur seul héritier, n'a pu conserver dans la succession de Romain la nature et le caractère de bien donné; qu'il est devenu jusqu'à cinq fois bien héréditaire, et qu'en conséquence il ne peut plus être soumis, comme bien donné, au droit de réversion en faveur de l'ascendaut donateur.

Jean répond, 1° que les termes de l'article 747 ne s'opposent pas à ce que l'ascendant puisse succéder, pour les biens qu'il avait donnés, au dernier des descendans du donataire, quoique ces descendans aient suc

cessivement recueilli les biens, à titre d'héritiers de leurs père ou mère; 2o que l'ascendant ayant renoncé à reprendre les choses par lui données, tant qu'il existerait des descendans du donataire, il a réellement embrassé dans sa libéralité tous les descendans du donataire; que ces descendans sont donc censés eux-mêmes les donataires de l'ascendant, et qu'ainsi, lorsqu'ils décèdent sans postérité avant l'ascendant donateur, il est vrai de dire que le cas prévu par l'artiele 747 est arrivé.

Quid juris ?

La question est très controversée et comme elle peut d'ailleurs se présenter trèssouvent, il faut l'examiner avec une sérieuse attention.

Dans mon premier ouvrage, j'ai émis l'opinion que l'ascendant donateur n'a pas le droit de reprendre dans les successions des descendans du donataire : cette opinion a été adoptée par un grand nombre de magistrats et de jurisconsultes distingués; et, quoiqu'elle éprouve une forte contradiction de la part de quelques autres jurisconsultes qui sont aussi d'un grand poids, je crois devoir y persister; mais il est nécessaire de lui donner plus de développemens.

:

Voyons d'abord ce que l'on peut induire des termes mêmes dans lesquels a été rédigé l'article 747 voyons si la disposition de cet article n'est pas assez claire, assez précise, pour qu'il ne soit pas permis de lui donner une interprétation arbitraire.

L'article se bornant à dire les ascenque daus succèdent aux choses par eux données à leurs enfans ou descendans décédés sans

postérité, et la particule ou, qui se trouve entre les mots enfans descendans, étant une particule disjonctive, ue s'ensuit-il pas nécessairement que ces expressions, choses données à leurs enfans ou descendans, ne peuvent s'appliquer qu'aux enfans ou descendans, qui sont eux-mêmes donataires; qu'elles n'indiquent nullement les descendans de ceux à qui les choses ont été données, et qu'ainsi ce n'est que dans les successions des enfans, ou descendans, donataires et décédés sans postérité, que les ascendans sont admis à reprendre les choses données, mais non pas dans les successions des descendans des donataires, quoique ces

descendans soient morts sans postérité, avant les ascendans donateurs?

Si le législateur, en parlant, dans l'article 747, des choses données, a joint le mot descendans à celui d'enfans, de même qu'il les avait employés l'un et l'autre dans l'article 745, c'est évidemment parce qu'il a voulu expliquer clairement qu'il ne s'agissait pas seulement des dons faits par les père et mère à leurs enfans, mais encore, et généralement, de tous les dons faits par des ascendans à leurs descendans. C'est comme s'il avait dit, en deux articles ou paragraphes séparés : « Les pères et mères succèdent aux choses par eux données à leurs enfans décédés sans postérité : les autres ascendans succèdent pareillement aux choses par eux données à leurs descendans, qui sont aussi décédés sans postérité.

On voit donc bien clairement que, pour que le père ou la mère, ou tout autre ascendant, succède aux choses qu'il a données, il faut 1 que l'enfant, ou autre descendant, auquel il a été donné, soit décédé avant le donateur; 2o que l'enfant, ou autre descendant, auquel il a été donné, soit décédé sans postérité.

Et puisque ces deux conditions sont exigées conjointement, il en résulte que le privilége de la succession spéciale n'existe plus en faveur du donateur, dès le moment que le donataire lui-même laisse de la postérité,

en décédant.

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troverse parmi les auteurs, et elle était jugée diversenient par les divers parlemens.

Le parlement d'Aix jugeait que le retour de la dot ne devait pas avoir lieu en faveur de l'aïeul donateur, après le décès des enfans de la fille dotée : il jugeait que la dot appartenait au père ou à tout autre héritier des enfans de la fille dotée, et qu'ainsi la survivance de ces enfans avait entièrement éteint le droit de retour légal en faveur de l'aïeul donateur, cependant il admettait le retour à l'égard des autres donations, quand lee descendans des donataires ne laissaient pas de postérité.

Le parlement de Dijon refusait le retour dans tous les cas: il jugeait constamment qu'après le décès des descendans du donataire, les biens donnés tombaient dans la succession ab intestat ordinaire, et ne retournaient pas à l'aïeul donateur.

Différens arrêts rapportés par Lapeyrère, lettre A, no 116, et lettre S, no 210, annoncent que le parlement de Bordeaux n'avait pas une jurisprudence constante sur la question.

Bretonnier sur Henrys, liv. VI, questions 8 et 12, et Bardet, liv. I, chap. CXVIII, citent quatre arrêts du parlement de Paris, dont les trois premiers ont jugé en faveur de l'aïeul donateur, et le quatrième a jugé

d'une manière différente.

Au parlement de Grenoble, on tenait pour maxime, suivant Ferrière, sur la question 157 de Guypape, que le retour avait lieu en faveur de l'aïeul donateur; et cependant Expilly rapporte, dans le chap. CXXV, un arrêt de ce parlement, qui proponce en faveur du père contre l'aïeul donateur.

Le parlement de Toulouse était le seul qui eût une jurisprudence constante en faveur de l'aïeul; encore faisait-il exception à l'égard des coutumes locales où le mari gagnait la dot constituée à la femme par donation en contrat de mariage.

Au parlement de Besançon, un arrêt de grand'-chambre, rapporté par Augeard, tom. II, S go, a jugé que, dans le comté de Bourgogne, le retour n'avait pas lieu, après la mort des descendans du donataire, en faveur de l'aïeule maternelle, au préjudice du père.

B.etonnier se plaignait amèrement de cette variété dans la jurisprudence des par

lemens. « Après tout cela, disait-il, quel est l'homme de bon sens qui ne déplorera l'infirmité des lois humaines et l'incertitude des jugemens des hommes, puisqu'ils sont si remplis de variations, et que ce ne sont que ténèbres et aveuglemens ? »

Expilly, à l'endroit déjà cité, se plaignait aussi, non-seulement de la diversité de la jurisprudence, mais encore de la division qui régnait entre les auteurs: il disait, à cet égard, qu'on aurait pu faire deux armées des auteurs qui avaient adopté des opinions contraires sur la question, et qu'aussi la question était bien ambiguë, et pouvait être soutenue sans remords, in utramque partem.

Dans cet état de choses, les auteurs du Code civil ayant à résoudre la question par une disposition qui devait servir de règle commune dans les anciens pays de droit écrit, comme dans les anciens pays coutu miers, il est hors de doute que, s'ils avaient voulu que le retour légal eût lieu dans le cas de décès des descendans du donataire, avant l'ascendant donateur, ils s'en seraient formellement expliqués pour prévenir une nouvelle controverse, et qu'en conséquence ils auraient prévu et déterminé le cas d'une manière précise; mais, loin de le prévoir et de le déterminer précisément, ils ont fait une disposition qui l'exclut par ses termes. Comment donc pourrait-on croire qu'ils aient eu l'intention de l'admettre?

Lorsqu'ils ont parlé, dans l'art. 951, du retour conventionnel, ils ont bien eu le soin d'expliquer distinctement que le retour pourraît être stipulé dans les deux cas, soit du prédécès du donataire seul, soit du prédécès du donataire et de ses descendans; et sûrement, ils auraient expliqué, d'une manière aussi distincte, les deux cas, dans l'article 747, s'ils eussent également voulu que le retour légal eût lieu dans les deux

cas.

On est donc bien autorisé à conclure que le Code civil n'ayant pas prévu et établi pour le retour légal, comme il l'a prévu et établi pour le retour conventionnel, le cas où les descendans du donataire viendraient à mourir après lui et avant le donateur, il est censé avoir voulu laisser ce cas dans la règle générale.

Or, suivant la règle générale, les descendans du donataire ayant trouvé dans sa suc

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que

Il suffit, en un mot, que le Code n'ait accordé dans un seul cas, à l'ascendant donateur, le privilége de succéder aux choses données, pour qu'on ne puisse étendre ce privilége à un autre cas, même par analogie.

C'est ici une exception aux règles ordinaires en matière de succession, et toute exception doit être restreinte aux cas pour lesquels elle est prononcée.

Et, d'ailleurs, sur qui l'art. 7 47 établit-il le droit de succession qu'il crée au profit du donateur? Sur le donataire.

Quels biens y soumet-il? Les biens donnés. Mais, si le donateur reprenait les biens dans la succession des enfans du donataire, on ne pourrait pas dire qu'il succède au donataire, ce serait aux héritiers du donataire qu'il succéderait, et conséquemment ce ne serait pas le droit établi par l'art. 747, qu'il exercerait.

On ne pourrait pas dire, non plus, qu'il succède aux biens donnés car ce qui était don entre les mains du donataire, est devenu, par la mort du donataire, le patrimoine de ses enfans. Dans les mains de ces enfaus, et d'après la transmission qui leur en a été faite, les biens n'ont plus la qualité de biens donnés : ce sont des biens de succession.

Si une succession recueillie n'est plus une succession, mais le patrimoine de l'héritier, hereditas adita jam non est hereditas, sed patrimonium heredis, n'est-il pas également certain qu'une chose qui a été donnée ne conserve plus, après qu'elle a été recueillie héréditairenient par les enfans du donataire, la nature et le caractère de chose donnée; qu'ayant été transmise à ces enfans, comme chose héréditaire, elle est devenue leur patrimoine, et qu'ainsi elle ne peut plus être considérée, dans leurs propres successions, comme une chose donnée ?

restreint au cas où le donataire est décédé sans postérité.

M. de Maleville, qui professe une autre opinion, l'établit-il sur les termes de l'article? Nou. Il convient lui-même qu'ils y sont opposés. Voici comment il s'en explique franchement, dans son Analyse du Code civil, tome II, page 216.

Après avoir mis en question si le retour légal est éteint par cela seul que le donataire a laissé des enfans, voici comment il répond:

« A suivre rigoureusement les termes de notre article, on ne pourrait s'empêcher de décider que le droit est éteint: car c'est par succession que l'ascendant reprend la chose donnée; il faut donc considérer uniquement l'état des choses, tel qu'il est au moment du décès du donataire. Ór, il est bien constant qu'à cette époque la réversion ne peut avoir lieu, puisque le donataire n'est pas décédé sans postérité. >>

leville ne décide-t-elle pas irrévocablement Cette première observation de M. de MaJa question?

« Cependant, ajoute M. de Maleville, on penchera pour l'opinion contraire, si l'on fait attention que notre article ne fait que renouveler, dans les mêmes termes, la disposition des coutumes de Paris et d'Orléans, et que, dans le ressort de ces coutumes, comme dans tout le reste de la France eu général, il était de maxime que l'ascendant ne perdait son expectative, que lorsqu'à sa mort il existait des descendans de son donataire ?

On examinera, dans un moment, si les dispositions des anciennes coutumes de Paris et d'Orléans peuvent empêcher de suivre les termes de la loi nouvelle. Il suffira de remarquer ici qu'il n'est pas exact de dire que, dans le ressort de ces coutumes, comme dans tout le reste de la France en général, il était de maxime que l'ascendant ne perdait son expectative que lorsqu'à sa mort il existait des descendans de son donataire. On a déjà vu que, dans les pays de droit écrit, les arrêts et les auteurs étaient trèsdivisés sur la question.

Les raisons se multiplient donc en foule «Notre article, dit encore M. de Malepour démontrer que, par la disposition tex-ville, n'exclut pas même positivement cette tuelle de l'art. 747, le droit de retour légal manière de l'entendre. Il appelle les ascenaccordé à l'ascendant donateur, se trouve dans à succéder aux choses par eux den

nées à leurs descendans décédés sans postérité; mais il ne borne pas le cas de ce décès sans postérité; et lorsqu'il arrive du vivant du donateur appelé, on peut dire qu'il est très-vrai, et dans le fait et dans le langage ordinaire, que le descendant est décéde sans postérité. »

Quoi ! lorsque l'article dit formellement que les ascendans succèdent aux choses par eux données à leurs descendans décédés sans postérité, il ne borne pas le cas du décès sans postérité, au cas où les descendans auxquels il a été donné sont morts sans postérité? Parle-t-il donc d'un autre décès que de celui des descendans auxquels il a été donné? Aussi M. de Maleville, après avoir ajouté qu'il ne fut rien dit, lors de la discussion de cet article, qui conduisît à penser qu'il dût être entendu dans un sens différent de celui qu'on lui avait toujours donné, termine en ces termes : « Cependant, il faut convenir que l'expression succèdent, rigoureusement prise, prête beaucoup à l'opinion contraire. >> On voit donc que M. de Maleville doute, mais qu'il n'ose pas prononcer d'une maniere expresse et formelle, , parce qu'en effet il lui est impossible de résister à la force et à l'évidence du texte de la loi.

Il convient qu'à suivre rigoureusement les termes de l'art. 747, on ne peut s'empêcher de décider que le droit de succession est éteint pour l'ascendant donateur, lorsque le descendant donataire a laissé de la postérité, et cependant il penche pour l'opi

nion contraire.

Mais aujourd'hui que nous avons une législation fixe et positive, nne législation qui est uniforme pour toutes les parties de la France, sera-t-il encore permis de ne pas suivre rigoureusement les termes de la loi? Se livrera-t-on encore à toutes les incertitudes, à tous les dangers des interprétations arbitraires? Pourra-t-on balancer le poids des termes de la loi, par des motifs tirés, ou de lois qui n'existent plus, ou de l'ancienne jurisprudence? Pourra-t-on remettre en question tout ce que les lois nouvelles ont expressément décidé?

Ne faut-il pas enfin se rallier invariablement à ce principe, que, lorsque le texte d'une loi est clair et précis, on ne peut se dispenser de l'exécuter dans tout ce qu'il

ordonne, et que toute interprétation doit se taire devant la parole du législateur?

Or, ici le texte n'est-il pas clair et précis? Puisque l'art. 747 dispose que les ascendans succèdent aux choses par eux données à leurs descendans décédés sans postérité, ne dit-il pas bien clairement, et de la manière la plus précise, qu'il faut que les descendans, à qui les choses ont été données, soient décédés sans postérité pour que la succession ait lieu en faveur des ascendans donateurs?

Prétendre que l'article doit être appliqué au cas où le descendant donataire ayant laissé de la postérité, cette postérité mourrait aussi avant l'ascendant donateur, n'estce pas faire dire au texte ce qu'il ne dit pas? N'est-ce pas y ajouter? N'est-ce pas étendre la disposition?

« Il est sans difficulté, dit M. Merlin dans son Répertoire, dans son Répertoire, au mot Réserve, sect. II II, no6, il est sans difficulté que le droit de réversion, dont il s'agit, ne peut avoir lieu, lorsque, le donataire étant mort laissant des enfans, ceux-ci meurent sans postérité, du vivant du donateur. La réversion à titre de succession est restreinte, par l'art. 747, au seul cas de la mort de l'enfant ou descendant du donataire, sans postérité, du vivant du donateur. Celui-ci ne pourrait reprendre les objets donnés, dans la succession des descendans du donataire, qui mourraient sans postérité, qu'autant qu'il y aurait eu, dans l'acte de donation, la stipulation d'un retour conventionnel aux termes de l'art. 951, ce qui tient à d'autres principes.

M. de Maleville convient lui-même que l'expression succèdent, qui se trouve dans l'art. 747, prête beaucoup à notre opinion.

Elle y prête tellement, dit M. Grenier, dans son Traité des donations, tome II, page 343, qu'en s'écartant de l'idée nécessairement attachée à cette expression, on détruit le sens de l'article, et on substitue à la volonté du législateur une volonté toute contraire. »

Mais, en poursuivant la lecture de l'art. 747, on y trouve d'autres expressions qui ne permettent plus le moindre doute.

Dans la seconde partie de l'article, il est dit que, si les objets donnés ont été aliénés,

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