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Des Droits des enfans naturels sur les biens de leurs père ou mère, et de la succession aux enfans naturels décédés sans postérité.

OBSERVATION GÉNÉRALE.

LE Code civil a établi une législation toute nouvelle sur l'état et sur les droits des enfans naturels ; mais il n'a pas suffisamment développé son système; il n'a pas prévu une foule de cas qui peuvent se présenter, et chaque jour voit éclore des questions qui ne se trouvent pas décidées le texte de la loi. Il faut donc, pour les résoudre, recourir à des interprétations.

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Mais les interprétations sur un système nouveau, et dans une matière qui ne peut être réglée par les principes ordinaires, doivent nécessairement varier beaucoup. Aussi les jurisconsultes ne sont pas d'accord dans leurs décisions; et presque tous interprètent, suivant que leurs opinions personnelles sont plus ou moins favorables au sort des enfans naturels.

Les uns se laissant entraîner par cette idée, que les enfans naturels sont innocens des fautes de leurs père et mère, et qu'il serait injuste de les en punir, sont portés à leur accorder le plus possible, quoiqu'ils conviennent tous cependant qu'on ne doit point traiter ces enfans comme des enfans legitimes.

Les autres sont plus sévères, parce qu'ils pensent, avec grande raison, que les intérêts de la morale publique, que

les droits des familles légitimes, ne permettent pas que les enfans naturels soient traités avec faveur.

Il existe donc entre les jurisconsultes, et même dans les tribunaux, une très-forte controverse sur un grand nombre de questions.

Je donnerai mon opinion sur chacune d'elles, parce qu'elles tiennent toutes à la matière des successions, que j'ai entrepris de traiter; mais je n'ai pas la prétention de parvenir à résoudre les difficultés. Personne plus que moi ne peut être convaincu qu'au défaut d'une disposition précise, on est souvent exposé à se tromper, en cherchant à deviner l'intention du législateur.

Mon principal objet sera de répandre quelques lumières sur les questions, en présentant avec impartialité les opinions diverses qu'elles ont fait naître, et en les discutant avec soin.

Lorsqu'après un mûr examen, je ne me trouverai pas d'accord, soit avec des arrêts, soit avec des auteurs, je le dirai franchement : c'est un droit qu'on ne peut pas me contester; mais je n'en userai, toujours qu'avec une grande réserve, et jamais je ne sortirai des bornes d'une critique honnête et décente.

Souvent, je ne ferai qu'exprimer des doutes que je soumettrai à la méditation des jurisconsultes, aux lumières des magistrats; et mes erreurs mêmes, si l'on veut prendre la peine de les réfuter, pourront servir à mieux constater la vérité, parce qu'elles auront amené une discussion plus approfondie.

Au reste pour qu'on sache bien dans quel esprit je traiterai cette matière, je déclare à l'avance que, d'après mes principes, le Code civil a fait assez en faveur des enfans naturels, et qu'en conséquence je ne suis pas disposé à l'interpréter de manière à élargir encore ses dispositions; mais aussi que je ne dirai rien dans l'intention de restreindre les droits qui me paraîtront avoir été réellement accordés par le Code aux enfans naturels. Le commentateur d'une loi doit l'expliquer telle qu'elle est, et il ne peut lui être permis de chercher à faire prévaloir ses opinions personnelles sur la volonté du législateur.

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(1) 10 Pour jouir des droits que les art. 756 et suiv. accordent aux enfans naturels légalement reconnus, sur les biens de leurs père ou mère décédés, il faut que l'enfant ait été volontairement reconnu par son père ou sa mère, scit dans son acte de naissance, soit par un acte authentique. La reconnaissance forcée ou juridique dont parlent les art. 340 et 341 ne lui donnent pas les mêmes droits. Les auteurs adoptent une opinion contraire. (Br. 25 juin 1825; J. de Br. 1825, 2o, p. 13a).

20 En supposant que l'action en recherche de la maternité puisse être accordée aux héri

La loi les a distingués avec soin, et en désignant diversement les uns et les autres, et en réglant de manières très différentes leur état et leurs droits.

1o Ceux qui sont nés dans le mariage sont appelés enfans légitimes, parce qu'ils tiennent à leurs père et mère, non-seulement par les liens de la nature, mais encore par des liens que la loi civile a formés et consacrés.

Les enfans nés hors mariage sont appelés enfans naturels, parce qu'ils ne tiennent à leurs père et mère, que par des liens purement naturels.

Les enfans naturels se divisent en trois classes:

Les enfans naturels proprement dits. c'est-à-dire, ceux issus de deux personnes qui, au moment de la conception de ces enfans, étaient libres et pouvaient se marier ensemble, mais qui n'étaient pas alors unies par le mariage, ou dont le mariage préexistant ne peut produire d'effets civils, parce qu'il a été déclaré nul et qu'il n'avait été contracté de bonne foi ni par l'un ni par l'autre des époux ;

Les enfans adultérins, c'est-à-dire, ceux issus de personnes dont l'une était libre et l'autre mariée, au moment de la conception, ou qui, dans ce moment, étaient mariées l'une et l'autre, mais non pas l'une avec l'autre ;

Les enfans incestueux; c'est-à-dire, ceux issus de personnes qui étaient libres, mais entre qui le mariage était prohibé, au moment de la conception.

2o L'état des enfans légitimes et l'état des enfans naturels sont réglés bien diffé

remment.

tiers d'un enfant naturel, après le décès de celui-ci, cette action ne pourrait en tout cas appartenir à l'État lorsqu'il est appelé à recueillir la succession de cet enfant par droit de déshérence (Br. cass., 22 mars 1827, J. de Br. 1828, 2o, p. 179).

30 L'enfant naturel ne peut, du vivant de ses père et mère, renoncer à ses droits dans leurs successions. On doit lui appliquer les articles 791 et 1130 (Br. 18 février 1813; Paris, 22 mai 1813; Dalloz, t. 26, p. 103 et 107; S. t. 13, t. 13, p. 323).

L'enfant légitime a l'état de famille, avec toutes ses prérogatives, et cet étal lui est assuré par le fait seul de sa conception pendant le mariage, sauf les exceptions établies par le chapitre Ier du titre de la Paternité et de la Filiation; il est même admis à rechercher sa filiation et à prouver son état, conformément au chapitre II du même titre.

L'enfant naturel n'a jamais l'état de famille, à moins qu'il ne soit valablement légitimé par le mariage subséquent de ses père et mère.

Il n'est pas même almis à rechercher la paternité, si ce n'est dans le cas prévu par l'art. 340, et la recherche de la maternité ne lui est permise que dans le cas où il a déjà un commencement de preuve par

écrit.

Hors ces deux cas, les auteurs de sa naissance ne sont reconnus par la loi, comme ses père et mère, que lorsqu'euxmêmes ils en ont fait librement la déclaration formelle dans un acte authentique, et cette déclaration, faite par l'un d'eux seulement, ne peut servir à l'égard de l'autre.

Il n'y a même que l'enfant issu de personnes libres au moment de sa conception, qui puisse être valablement reconnu, soit par son père, soit par sa mère. Les adultérins ou incestueux ne peuvent être ni reconnus, ni légitimés.

jamais la qualité et les droits d'héritiers, à moins qu'ils n'aient été valablement légitimés.

La loi ne leur accorde sur les successions de leurs père et mère qui les ont reconnus, que de simples droits, qui ne sont pas des droits héréditaires; ils sont en conséquence privés de la saisine légale, et ne peuvent obtenir que des héritiers légitimes, ou de la justice, la délivrance des droits qui leur sont accordés.

Dans aucun cas, ils ne sont appelés aux successions des parens de leurs père et mère, pas même des ascendans, et ils n'ont aucun droit sur ces successions.

2. Le chapitre IV du titre des Successions ne traite que des droits des enfans naturels ; c'est au chapitre III du titre de la Paternité et de la Filiation, que se troavent les dispositions relatives à l'état de ces enfans.

Mais en examinant quels sont les droits, par qui et comment ils peuvent être réclamés, j'aurai nécessairement à examiner aussi plusieurs questions relatives à l'état, puisque c'est toujours de l'état légalement constaté que dépendent les droits.

3. L'art. 756 n'accorde aux enfans naturels des droits sur les biens de leurs père et mère décédés, que lorsqu'ils ont été

reconnus.

Ainsi les enfans naturels non reconnus, ne peuvent rien réclamer sur les successions de leurs père et mère, parce qu'à défaut de reconnaissance, leurs père et mère sont incertains et inconnus aux yeux de la loi.

Telle est la règle générale.

Cependant il y a deux exceptions:

Enfin la reconnaissance, lors même qu'elle est valable, ne fait pas entrer l'enfant naturel dans la famille civile; elle n'établit de rapports, en faveur de cet enfant, qu'avec ses père et mère qui l'ont reconnu, mais non pas avec les autres membres de la famille, à l'égard des- 1o L'art. 340 du Code civil, après avoir quels il est toujours considéré comme un dit que la recherche de la paternité est inétranger. terdite, ajoute que, dans le cas d'enlève3o Il existe aussi une très-grande diffé-ment, lors que l'époque de cet enlèvement rence entre les droits des enfans légitimes et les droits des enfans naturels.

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se rapporte à celle de la conception, le ravisseur pourra être, sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l'enfant.

Or, quel doit être l'effet de cette déclaration de paternité, lorsqu'elle a été prononcée par le juge? ne donnera-t-elle aucun droit à l'enfant sur les biens du père? Pourra-t-on opposer à l'enfant que la disposition de l'art. 756 du Code

ne lui est pas applicable, puisqu'il ne se trouve pas librement reconnu par le père? Dans ce cas la seconde disposition de l'art. 340 serait absolument inutile; le bien fait qu'a voulu accorder le législateur par cette disposition, deviendrait illusoire. Dira-t-on que l'enfant ne doit avoir que de simples alimens? Mais ce serait le confondre avec les enfans adultérins ou incestueux, quoiqu'on le suppose issu de personnes libres, et ni l'équité, ni la loi n'autorisent une semblable confusion.

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Il me paraît donc incontestable que jugement, qui a déclaré que le ravisseur est père de l'enfant issu de la personne ravie, doit produire en faveur de cet enfant, les mêmes effets que la reconnaissance et lui assure les mêmes droits.

2o Les mêmes motifs doivent s'appli quer au cas où l'enfant naturel a recherché et établi la maternité, de la manière prescrite par l'art. 341.

Inutilement, le législateur aurait accordé à l'enfant naturel la faculté de rechercher la maternité, si, après que li maternité aurait été déclarée avec toutes les précautions indiquées par l'art. 341, l'enfant ne pouvait exercer aucun droit sur les biens de sa mère décédée. Comme on ne peut le confondre avec les enfans adultérins ou incestueux, puisque la faculté de rechercher la maternité n'est accordée qu'aux enfans naturels issus de sonnes libres, la disposition de l'art. 756 doit lui être appliquée. Ainsi l'a jugé la cour royale de Paris, en audience solennelle, le 27 juin 1812, en faveur de la fille naturelle Bourgeois.

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4. Pour qu'un enfant naturel puisse réclamer les droits conférés par l'art. 756, il ne suffit pas qu'il ait été reconnu; il faut encore qu'il ait été reconnu légalement, c'est-à-dire, que la reconnaissance ait été faite, ainsi que le prescrit l'article 334, par un acte authentique, lorsqu'elle ne l'a pas été dans l'acte même de naissance de l'enfant.

Ainsi un enfant naturel, qui n'a été reconnu que par un acte sous seing-privé, ne peut réclamer les droits conférés par l'art. 756.

Le motif qui a déterminé le législateur à ordonner que la reconnaissance fût faite

par un acte authentique, et non par un acte privé, est bien évident ; c'est qu'un acte sous seing-privé ne pourrait pas donner une garantie suffisante d'un consentement libre et réfléchi de la part de l'individu qui souscrirait la reconnaissance, parce qu'il serait en effet trop facile d'arracher où de surprendre, par séduction, par menaces, par violence ou par dol, une reconnaissance privée. Le législateur a voulu que la présence de deux notaires, ou d'un notaire et de deux témoins, constatât, d'une manière plus certaine, le consentement libre et la reconnaissance volontaire.

5. La reconnaissance sous seing-privé ne serait-elle pas suffisante, si l'écriture et la signature de celui qui l'a souscrite étaient tenues pour reconnues en justice, soit lorsqu'elles ne seraient contestées, ni par l'auteur de la reconnaissance, ni par ses héritiers, soit lorsqu'elles auraient été vérifiées par des experts?

Pour l'affirmative, on dit d'abord que l'art. 334 n'exige pas, à peine de nullité que la reconnaissance soit faite par acte authentique, et que d'ailleurs sa disposition n'est pas prohibitive.

Mais la disposition n'est-elle pas rédigée en termes impératifs? « La reconnaissance d'un enfant naturel, dit l'article, sera faite par un acte authentique, lorsqu'elle ne l'aura pas été dans son acte de naissance. » Le législateur aurait-il ainsi prescrit la forme de la reconnaissance, s'il eût voulu qu'elle pût être faite par un acte sous seing-privé, comme par un acte authentique? Ne résulte-t-il pas, au contraire, évidemment des termes dont il s'est servi, qu'il a voulu que la reconnaissance ne pût être faite que par l'acte de naissance de l'enfant naturel, ou par un autre acte authentique?

D'ailleurs l'objection irait beaucoup trop loin, même dans le sens de ceux qui la proposent, puisqu'il faudrait en conclure, si elle était fondée, que toute reconnaissance, sous seing privé serait suffisante, lors même qu'elle n'aurait pas été reconnue en justice.

On objecte en second lieu, que, suivant l'article 1320, l'acte, soit authentique, soit privé, fait également foi entre les parties, et que l'art. 1322 ajoute que l'acte

sous seing-privé, reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et leurs héritiers, la mém foi que l'acte authentique.

Mais, quoique cet acte privé ait la même foi qu'un acte authentique, toujours est-il certain qu'il n'est pas un acte authentique, et cela résulte nécessairement, soit des derniers termes de l'art. 1322, soit des termes de l'art. 1317 qui ne reconnaît, pour acte authentique, que celui qui a été reçu par officiers publics: or l'article 334 exige formellement que la reconnaissance soit faite par un acte authentique, et non pas seulement par un acte privé qui puisse acquérir, par la suite, la même foi que l'acte authentique.

Et d'ailleurs, à compter de quelle époque l'acte privé, légalement tenu pour reconnu, acquiert-il la même foi qu'un acte authentique? Ce n'est qu'à compter du jugement qui le tient pour reconnu ; il n'avait done pas, antérieurement à ce jugement, il n'avait donc pas, au moment où il a été fait, la même foi qu'un acte athentique, et cela suffit pour qu'il ne puisse pas valoir comme reconnaissance d'enfant naturel, soit dans les termes, soit dans l'esprit de l'art. 334. Car, nous l'avons déjà dit, si le législateur a exigé une reconnaissance par acte authentique, s'il ne s'est pas contenté d'une reconnaissance par acte sous seing-privé, c'est qu'il a voulu qu'il y eût une garantie, par la présence de deux notaires, ou d'un notaire et deux témoins, que la reconnaissance a été libre et volontaire or, cette garantie peut-elle résulter de ce que l'écriture et la signature de l'individu qui a souscrit la reconnaissance privée, ne sont contestées, ni par lui, ni par ses héritiers, ou sont légale ment tenues pour reconnues? De ce qu'il a signé ou même entièrement écrit la reconnaissance, peut-on conclure qu'il l'a faite librement, volontairement, et qu'elle ne lui a pas été arrachée par surprise, par séduction, par violence, ou par dol?

L'intérêt social exige qu'on tienne fortement à la garantie qu'a voulue le législateur, et il ne faut pas chercher à l'affaiblir.

Cependant, si une personne qui aurait

fait une reconnaissance par acte privé, avouait elle-même cet acte en justice, sans en demander la nullité, la reconnaissance deviendrait suffisante, parce qu'en ce cas elle ne se trouverait plus seulement dans un acte privé, mais qu'elle aurait été confirmée devant la justice, et que la déclaration faite devant des magistrats est authentique, et présente d'ailleurs la même garantie du consentement libre et volontaire, que si la reconnaissance avait été faite devant notaires.

La décision devrait être la même, si l'auteur de la reconnaissance sous seingprivé la déposait lui-même chez un notaire, et faisait faire en son nom l'acte de dépôt ; cet acte de dépôt serait une confirmation, un renouvellement de la reconnaissance.

6. Tout ce qui a été dit dans les deux numéros précédens, s'applique à la reconnaissance faite par la mère, comme à celle faite par le père. L'art. 334 dispose d'une manière générale; il ne distingue pas entre la reconnaissance à faire par la mère, et celle à faire par le père; il dit, sans exception, que la reconnaissance doit être faite par un acte authentique,

Cependant la reconnaissance faite, sous seing privé, par une fille ou une veuve, produit un effet que ne peut jamais produire la reconnaissance faite par un homme. Elle est un commencement de preuve par écrit, qui, d'après les termes de l'art. 341, peut faire admettre l'enfant naturel, en faveur de qui elle a eu lieu, à la recherche et à la preuve de la maternité; mais il faut, aux termes du même article, que l'enfant naturel prouve qu'il est identiquement le même que l'enfant dont est accouchée la femme qui a fait la reconnaissance. Sans cette preuve, la reconnaissance sous seing-privé ne suffirait pas pour faire déclarer la maternité,

et

ne pourrait d'ailleurs suppléer la reconnaissance par acte authentique, qu'exige l'art. 334.

La femme elle-même qui aurait souscrit la reconnaissance sous seing privé, ne serait pas obligée légalement. Elle pourrait révoquer la reconnaissance.

Elle pourrait encore, si elle était assignée en déclaration de maternité, opposer

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