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tification ou à la mettre dans un plus grand jour.

La calomnie de l'accusation n'intéresse que la partie publique, qui doit déployer la sévérité de son ministère, et requérir une peine, suivant que les faits sur lesquels porte cette calomnie, sont plus ou moins graves.

L'accusé, pour obtenir cette Réparation, doit dissiper tous les nuages qui couvrent son innocence; il doit détruire l'ensemble de la preuve; tant que cette preuve laisse un doute, il ne peut prétendre à cette satisfaction.

L'accusateur, en ce cas, en est également

privé.

L'innocence et le crime doivent être dans un même degré d'évidence.

Mais il faut observer que le défaut de preuve opere, de droit, la justification de l'accusé, et que l'accusateur est condamnable par cela même qu'il manque de preuve.

Ces principes, dictés par la raison, ont été adoptes par nos lois. L'art. 7 du tit. 3 de l'ordonnance de 1670 en contient la disposition précise; d'après cet article, il suffit que l'accusateur ou le dénonciateur soit mal fondé, pour que l'un ou l'autre soit condamné aux dépens, dommages et intérêts des accusés, et à plus grande peine, s'il y échet.

Ici, Jousse est en opposition avec le texte qu'il commente il semble vouloir obliger l'accusé à faire preuve de la calomnie de l'accusation; et rien n'est plus opposé à l'esprit et à la lettre de l'ordonnance, comme rien n'est plus contraire à la tranquillité des citoyens et à l'ordre public.

Ce commentateur prive de toute Réparation l'accusé qui fait tomber l'accusation par ses reproches contre les témoins. Si ces reproches sont fondes, et que, les dispositions une fois écartées, il ne reste plus aucune preuve, la Réparation est due. C'est à l'accusateur ou au dénonciateur à s'assurer des faits qu'il dépose dans le sein de la justice, ainsi que de la confiance que méritent les témoins qu'il entend lui administrer.

L'ordonnance n'astreint l'accusé à faire preuve de la calomnie que contre l'accusa. teur ou le dénonciateur qui s'est désisté; et cette distinction qu'elle introduit, n'est que pour les dépens et les dommages-intérêts que pourrait prétendre l'accusé, à raison du préjudice qu'il aurait souffert, et des frais qu'il aurait faits depuis ce désistement; mais non pas les dommages intérêts résultant du préjudice qu'il reçoit de la plainte ou de la dénonciation par elle-même.

Le titre de l'accusé est la plainte ou la dé-
TOME XXVIII.

nonciation : il lui est dû des dommages-intérêts, qui sont plus ou moins considérables, suivant que l'accusateur ou le dénonciateur s'est désisté ou qu'il a persévéré.

Telle est l'expression même de l'art. 5 du tit. 3 de l'ordonnance de 1670. L'art. 7 établit une distinction: si l'accusateur qui s'est désiste, est de bonne foi, il ne doit de Réparations que relativement au tort qu'il a occasionné par le fait de sa plainte; si,au contraire, cette plainte est calomnieuse, il doit cette Reparation pour le préjudice que l'accusé a souffert dans tout le cours de l'instruction. Et rien de plus équitable ni de plus juste dans l'esprit de l'ordonnance. D'un côté, il fallait rassurer les citoyens contre la légéreté ou l'inconséquence des dénonciateurs, en leur infligeant une peine; de l'autre,il semblait mettre un frein à la méchanceté, en augmentant cette même peine contre eux; et puisque l'ordonnance n'accorde aucun recours à l'accusé contre le ministre public,soit pour la Réparation, soit pour les dépens, il était juste de lui accorder cette Réparation et ces dépens contre le calomniateur convaincu d'avoir armé ce même ministère.

[Enfin ce qui paraît achever de démontrer que, hors le cas de désistement dans les vingtquatre heures, il est dans l'esprit de l'ordonnance de 1670 d'assujétir aux dommages-intérêts de l'accusé injustement poursuivi,même l'accusateur et le dénonciateur de bonne foi, c'est l'exception'qu'apporte à cette règle l'art. 4 de l'édit du mois de juillet 1682, que l'on trouvera sous le mot Poison, no 2. ]

[[ Mais V. ci-après, no 3 bis. ]]

Quoique l'ordonnance ne fasse mention que des accusateurs et des dénonciateurs, expressions qui ne conviennent qu'à des particuliers qui ont fait un acte judiciaire, cependant tous ceux qui peuvent être convaincus d'avoir instigué une accusation ou d'y avoir participe, peuvent être recherchés et poursuivis en Réparation.

La signature sur le registre, à laquelle le dénonciateur est oblige par l'art. 6 du tit. 3 de l'ordonnance, est une précaution qu'elle prend pour dispenser l'accusé d'une recherche difficile; et cette précaution d'ailleurs inspire de la confiance au juge, qui ne doit pas présumer qu'un homme veuille le tromper, lorsqu'il s'offre pour garant de la certitude du crime qu'il lui denonce.

L'omission de cette précaution ne doit donc pas être regardée comme une fin de nonrecevoir en faveur de l'instigateur d'une accusation contre un accusé.

De même, rien ne sert à un accusateur de rendre plainte contre des particuliers sans les

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nommer, en les désignant, par exemple, par la dénomination de quidams : si ces particu liers viennent à être décrétés, et qu'il leur fasse signifier le décret, il est tenu des Réparations civiles, si ces particuliers parviennent à se justifier.

Nous n'avons pos é aucun principe dans ce paragraphe, qui ne soit puise, soit dans l'esprit, soit dans la lettre de l'ordonnance, et que nous ne puissions appuyer d'une multitude d'arrêts; nous choisirons parmi ces arrêts, les plus célèbres et les plus récens.

» Le sieur de Mazières, fermier général, est menacé de perdre la vie s'il ne fait porter 300 louis à tel arbre du Cours-la-Reine, qui lui est indiqué. Il en fait part au lieutenant de police, et lui demande de faire veiller à sa sûreté; ce magistrat lui dit de faire porter la somme à l'endroit indiqué.

Ce conseil est suivi; l'argent est porté, et des hommes de la police sont postés en embuscade.

Des la pointe du jour, le nommé Garnier se présente vers l'endroit,sur les six heures du matin, dans l'hiver, et dans un temps de pluie; il paraît se baisser pour prendre la somme; les hommes de la police accourent aussitôt vers lui pour l'arrêter : il veut fuir, il tombe entre leurs mains. Garnier,ainsi arrêté, est constitué prisonnier, et le procès s'instruit le sieur de Mazières ne fait aucun acte; il s'en tient au dépôt de la lettre qui contenait la menace.

:

Garnier interrogé sur le motif qui le conduit dans un lieu si éloigné, à une pareille heure, dans l'hiver et dans un temps pluvieux, interrogé sur ce qu'il s'était baissé vers l'endroit, il satisfait ses juges sur ces deux points. On ne prouve pas que la lettre soit de son fait, ni qu'il y ait participé; il prend des conclusions contre le sieur de Mazières, demande à prouver qu'il a sollicité contre lui, pour qu'il fût retenu en prison, et que même il avait fait des démarches pour obtenir contre lui une lettre de cachet. Le parlement de Paris l'admet à la preuve de ces deux faits ; et cette preuve faite, Garnier obtient, en 1777, six mille livres de dommages-intérêts par forme de Réparations, et les dépens (1)

Cet arrêt juge ».

1o Qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait un accusateur ou un dénonciateur formel, pour que la Réparation soit adjugée;

avait cru ses jours en danger, jamais il n'avait connu Garnier: il rapportait une preuve matérielle de la menace qui lui avait été faite.

[[ S'il était vrai, comme on le prétend ici, qu'il est jugé par cet arrêt que l'accusé n'est point astreint, pour obtenir des dommagesintérêts contre son dénonciateur non partie civile, à faire preuve de la calomnie, sa décision serait directement contraire à l'art. 7 du tit. 3 de l'ordonnance de 1670.

Mais il est visible que ce n'est point là ce l que juge cet arrêt. Ce n'est pas pour avoir dénonce le délit commis à son préjudice, que le sieur de Mazières a été condamné à des dom

mages-intérêts envers le sieur Garnier : il ne l'a été que sur la preuve des deux faits articulés par celui-ci, savoir, que sans se porter partie civile, il avait agi clandestinement comme telle, et qu'il avait employé des voies illicites pour vexer un innocent. ]]

En août 1779, un particulier, déterminé par différens motifs, rend plainte contre des quidams qui ont formé un complot pour lui faire perdre la vie : il administre pour témoins ses domestiques, sa concubine et d'autres gens notes.

Deux des accusés, qui sont informés de sa plainte et de décrets dont elle a été suivie, le somment de les leur signifier; il obeit, et declare qu'il y satisfait comme sommé.

Appel de ces décrets et de la procédure. Intimé sur cet appel, le plaignant demande que la procédure soit continuée et renvoyée en conséquence devant le premier juge, c'est-àdire devant le lieutenant criminel du châtelet.

Cependant l'accusation est démontrée fausse; l'accusateur est condamné à 44,000 livres de dommages-intérêts par forme de Réparation civile ; et comme les accusés avaient articulé, dans leurs plaidoyers, des faits qui tendaient à prouver que l'accusation était calomnieuse, M. l'avocat général en rendit plainte sur-le-champ, et requit que ces faits fussent rédigés par écrit et déposés au greffe, pour être préalablement informé sur ces faits; mais la cour joignit le tout à la cause, pour être fait droit en jugeant ; et ce fut alors que, par arrêt du 13 août 1781, l'accusateur fut decrété d'ajournement personnel.

L'auteur de cet article eut la principale part dans cette affaire, l'une des plus célèbres et des plus intéressantes qui se soient jamais présentées au palais : elle fut plaidée

20 Que l'accusé n'est point astreint à faire pendant dix-neuf audiences,les grand'chambre preuve de la calomnie.

Le sieur de Mazières était de bonne foi; il

(1) V. l'article Faits justificatifs, §. 2.

et tournelle assemblées.

Cet arrêt décide deux points importans: Le premier, que les Réparations civiles s'accordent même en matière grave, sans qu'il

soit nécessaire de subir les formalités de l'ins truction, lorsque l'accusé arrête cette instruction par un fait péremptoire qui prouve son innocence;

Le second, que l'accusation, comme calomnieuse, n'interesse que le ministère public.

La calomnie et la fausseté de l'accusation sont clairement distinguées par cet arrêt. L'absolution des accusés, les Réparations civiles qu'ils obtiennent, leur sont accordées contre l'accusateur, parceque cette accusation est démontrée être nulle et mal fondée; cet accusateur est décrété d'ajournement personnel, parceque l'accusation est suspecte de calomnie. On avait cependant soutenu dans cette affaire, que les accuses ne pourraient obtenir de reparations qu'après que la calomnie serait prouvée.

« On a donc pu prétendre (disait à cette occasion l'auteur de cet article) que vous n'avez pas le droit de nous absoudre et de nous venger....

» Vous pouvez, messieurs, vous pouvez nous absoudre, vous pouvez nous venger, vous le devez, et les argumens qu'on vous a faits, supposent l'ignorance, ou des principes, ou de l'état de la cause; ils supposent que vous n'avez pas d'oreilles pour entendre les inconséquences qui échappent au désespoir de l'accusateur et à sa mauvaise foi.

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L'appel que nous avons interjeté devant vous du fond des décrets, est purement dévolutif: vous êtes à la place du juge ; nous soutenons que ce jnge a erré; nous soutenons qu'il y a nullité et récrimination dans la plainte...., et tout moyen de nullité, en matière criminelle, est proposable en tout etat de cause; et, en général, il ne peut être objecté trop tôt. Nous soutenons que, soit qu'il y ait nullité, soit qu'il n'y en ait pas, l'accusateur doit être décrété sur sa propre information. Il doit l'être, puisqu'il est convaincu d'avoir supposé un crime auquel appartient la peine de mort; il a supposé qu'on est entré furtive. ment chez lui, et qu'on lui a enlevé des papiers de conséquence ; et il reconnaît, la vérité lui arrache l'aveu, que ces papiers avaient été confiés par lui-même à son avocat ».

Suit l'énumération de plusieurs faits qui constataient la calomnie, et dont l'avocat de l'accusateur prétendait se servir pour mettre les accusés dans la nécessité de faire preuve de cette calomnie: il y avait même une plainte en subornation rendue par l'auteur de cet article, qui semblait favoriser ce moyen qui lui était opposé; voici quelle fut sa réponse :

« En vain opposerait-on que la plainte en subornation que j'ai rendue, est une excep

tion qui ne se peut décider qu'avec le fond du procès contre l'accusateur et contre ses té- · moins. Je réponds que cette plainte en subornation n'a point eu son cours; l'ordonnance m'accorde un délai pour y renoncer; et celui qui propose l'exception, est toujours le maître de l'abandonner. J'ai rendu cette plainte dans l'incertitude où j'étais de parvenir autrement à justifier mon innocence; je l'ai rendue, lorsque la procédure de mon adversaire m'était inconnue; mais aujourd'hui que le secret en a percé de toute part, et que je suis justifié et au-delà, ce secours me devient superflu.

» D'ailleurs, la subornation en elle-même n'est point une action vulgaire ; la poursuite en appartient au ministère public, et il n'est pas de citoyens que sa vigilance ne rassure : la partie civile ne l'emploie ordinairement que comme moyen. A Rome même, on était le maître, en poursuivant une action néc d'un delit, d'opter entre la voie civile et la criminelle; c'est l'expression de plusieurs lois. On n'était jamais obligé de souscrire une accusation, nide la poursuivre après l'avoir souscrite. Aussi voyons nous que, dans tous les procès criminels qui se portent devant vous, les appelans ne manquent jamais d'alléguer le faux témoignage; et lorsque ces accusations paraissent fondées, M. le procureur général s'en rend plaignant de son chef, et vous n'en déchargez pas moins l'innocent ».

On peut voir, d'après cet extrait, dans quel qui étaient contenus dans la plainte en suprincipe fut rendu cet arrêt célèbre : les faits bornation, s'étant trouvés faire partie de ceux qui étaient contenus dans les plaidoyers dont le ministère public avait rendu plainte à l'audience, et se trouvant même primés par d'autres faits plus graves, l'arrêt mit hors de cour sur cette plainte, conformément au désistement qui en avait été fait à l'audience.

Cet arrêt et celui de Garnier contre le sieur de Mazières, sont deux monumens précieux de notre jurisprudence criminelle. L'un dégage l'innocence des piéges que le calomnia. teur pourrait lui tendre dans le cours d'une tion, qui elle même est, en quelque sorte, instruction, et des longueurs de cette instruc un supplice; l'autre rassure contre les dénonciateurs; il punit le sieur de Mazières, rendaient excusables. pour des démarches que les circonstances

[[ Les lois nouvelles ne distinguent pas plus que les anciennes, entre le cas où l'accusateur privé, c'est-à-dire, la partie civile, a été dirigé par un esprit de calomnie, et celui où

il a intenté sans juste fondement, une accusation qui a échoué; et de là il suit que, dans un cas comme dans l'autre, l'accusateur privé qui succombe, doit être condamné aux dommages-intérêts envers l'accusé qu'il est jugé avoir injustement poursuivi.

Les lois nouvelles n'exigent pas non plus que l'on se soit rendu partie civile au procès pour être passible des dommages-intérêts de l'accusé absous; et elles donnent également à celui-ci une action contre ceux qui n'ont rempli, à son égard, que le rôle de dénonciateurs.

Mais 10 est-il bien vrai que les lois ancien nes obligeaient le simple dénonciateur à indemniser, même hors le cas de calomnie, l'accusé absous?

2o Est-il vrai qu'elles asssujétissaient à cette indemnité la partie civile qui n'avait mis dans son accusation ni témérité ni imprudence?

30 Quel est, sur ces deux points, le vœu des lois nouvelles ?

Sur ces questions, V. ci-après, no 3 bis.

Dans tous les cas, devant quel juge l'accusé absous doit-il porter son action en domma. ges-intérêts ?

V. ci-après, §. 7.

III. L'héritier qui, en poursuivant la vengeance du meurtre de celui auquel il a succédé, a rempli le devoir que la loi lui imposait, doit-il être condamné à des dommages-intérêts envers celui qu'il a par erreur et de bonne foi, désigné à la justice comme coupable de ce meurtre ? ]}

Cette question fut agitée à l'occasion du meurtre de la dame Mazel, entre les héritiers de cette veuve, les sieurs de Savonnieres, et la femme et les enfans du malheureux Lebrun, qui mourut dans les prisons, à la suite des tourmens de la torture, et dont l'innocence fut reconnue après sa mort. Voici l'espèce de

cet arrêt:

Le 27 novembre 1689, les filles de Lebrun vont voir la dame Mazel, dont il était valet de chambre, après son dîner; elle leur fait accueil, et les invite à revenir à une heure plus commode; elle allait à vêpres : Lebrun la conduit aux Prémontrés de la rue Haute-Feuille, et va lui-même aux Jacobins de la rue SaintJacques le soir, il retourne la chercher, suivant les ordres qu'il en avait reçus, chez une dame de ses amies; après quoi, il va souper chez le nommé Lague, serrurier.

:

A onze heures du soir, Lebrun retourne chez la dame Mazel, qui vient de se mettre au lit; il monte par un escalier dérobé, et fait du bruit à l'une des portes de l'appartement qui donne sur cet escalier : la dame

Mazel demande à ses filles de chambre, qui n'étaient point encore retirées, qui ce peut être; elles répondent : c'est M. Lebrun. II fait le tour par le grand escalier : elle lui fait un mot de reproche d'avoir attendu si tard à venir prendre ses ordres, et les lui donne pour le lendemain, qui était un jour d'assemblée chez elle.

Le lendemain, après avoir pris quelques soins domestiques, Lebrun s'étonne, ainsi que les autres gens de la maison, de ce que la dame Mazel n'était point encore éveillée; il était huit heures et plus; elle se levait ordinairement à sept.

Lebrun va chez sa femme, qui demeurait dans le quartier, lui témoigne de l'inquiétude pour sa maîtresse ; il lui donne sept louis et quelque argent, qu'il lui dit de serrer : il retourne au cabaret en face du logis de la dame Mazel, demande à un laquais qui paraît à la fenêtre, si elle est éveillée; le laquais répond qu'elle ne l'est point encore. Il rentre ; son inquiétude et celle de tous les domestiques se changent en alarmes: on frappe aux portes, on l'appelle par son nom; point de ré ponse. On craignait qu'elle ne fût en apoplexie, ou qu'elle ne fût morte d'une hémorrhagie à laquelle elle était sujette. Lebrun est le seul qui tourne son esprit vers l'événement qu'il redoute et qui n'est que trop certain. Il faut, dit-il aux autres domestiques, que ce soit pis, je suis fort inquiet d'avoir vu la nuit la porte de la rue ouverte.

On va avertir le sieur de Savonnières, son fils, qui envoie chercher le serrurier, et dit à Lebrun: Qu'est-ce que cela, monsieur Lebrun? Il faut que ce soit une apoplexie. Quelqu'un propose d'envoyer chercher un chirurgien : Il n'est pas question de cela, répond Lebrun, c'est bien pis, il faut qu'il y ait de la malfaçon ; j'ai bien de la peine de la porte que j'ai vu ouverte cette nuit.

Le serrurier ouvre la porte : Lebrun court vers le lit de la dame Mazel, l'appelle par son non; il reitere ; il tire le rideau : Ah! s'é crie-t-il, madame est assassinée. Il donne aussitôt du jour à l'appartement, et soulève le coffre fort, qui se trouve fermé; juge, par le poids, qu'elle n'est point volée, et dit : Qu'est-ce que cela ?

Le lieutenant criminel est appelé ; il reçoit la plainte que lui fait le sieur de Savonnières, tant en son nom qu'en celui de ses frères. Le corps de la dame Mazel est visité; on la trouve percée de cinquante coups de couteau; et dans son lit, un morceau de cravate ensan. glantée, une serviette tournée en forme de bonnet de nuit, marquée à sa marque, et

L

également ensanglantée. Il y avait dans ses mains quelques cheveux. Les cordons des sonnettes étaient tournés à plusieurs tours autour de la tringle de son lit, et à une telle ■ hauteur, qu'il était impossible d'y atteindre. On trouve dans les cendres, un couteau dont le manche d'écaille était presque entièrement consumé, mais sans aucune trace de sang. L'état du cadavre etant dressé, et le procèsverbal des lieux fait, on interroge les filles de chambre, et Lebrun, qui dit, « qu'étant » sorti de la chambre de la dame Mazel,il causa » sur la montée avec les filles; qu'après les » avoir quittées, il fut au bas, posa son cha» peau sur la table de la cuisine, fut prendre » la clef de la porte de la rue pour la fermer, » la mit sur la table, et se chauffa; qu'il s'en» dormit insensiblement, et que, s'étant ré. » veillé, il fut pour fermer la porte de la rue, et >> la trouva ouverte ; qu'il compta une heure en » se réveillant, ne sait s'il y en avait plus d'une » de sonnée ; qu'il ferma la porte de la rue, et > emporta la clef dans sa chambre; ce qu'il n'a>vait coutume de faire que fort rarement ».

On trouve sur lui la clef de l'office et le passe-partout, dont les ouvertures étaient fort larges. Ce passe-partout se trouve ouvrir la porte de la dame Mazel, et être différent de celui de la cuisinière ; outre la différence des ouvertures qui étaient plus larges, on y remarquait un morceau rapporté et nouvellement limé. Ce passe-partout ouvrait toutes les portes ; celui de la cuisinière n'ouvrait que la porte de la rue.

Les cheveux qui se trouvèrent dans une main de la dame Mazel, n'étaient point assez considerables pour asseoir un rapport de leur ressemblance ou de leur différence avec ceux de Lebrun.

On trouva, dans la perquisition faite chez lui, un couteau de la même fabrique que celui qui avait été trouvé dans les cendres; et dans l'endroit où il couchait chez la dame Mazel, on trouva, parmi de vieux fers, un crochet et une lime: on y trouva de plus une serviette 1 marquée à la même marque que celle qui s'était trouvée dans le lit à l'instant où l'on s'en était approché, c'est-à-dire, à la marque de la maison.

On se saisit de son linge, pour en faire la comparaison avec une chemise ensanglantée qu'on trouva dans le grenier de la dame Mazel, sous quelques liens de paille, et sur le côté de laquelle on trouva des impressions de doigts sanglans. Le linge de l'accusé ne se trouva ressembler en rien à cette chemise.

Une échelle de corde laissée au bas du petit escalier, se trouva n'être point de même es

pèce que d'autres cordes qui avaient été trouvées parmi les effets appartenant à Lebrun. Le morceau de cravate ne se trouva avoir aucune ressemblance avec son linge ; et les filles de chambre déposèrent en avoir blanchi une pareille autrefois pour le nommé Berri,laquais, que la dame Mazel avait chassé pour vol, il y avait quatre mois. La serviette nouée en forme de bonnet, ne se trouva pas être juste à sa tête. Le procès instruit, le 18 janvier 1690, sentence intervient, « qui déclare Lebrun atteint »et convaincu d'avoir eu part au meurtre de la >> dame Mazel; pour Réparation de quoi, le con»damne à faire amende honorable,à être rompu » vif et expirer sur la roue, préalablement ap»>pliqué à la question ordinaire et extraordinai. » re, pour avoir révélation des complices ; tous >> ses biens confisqués au roi, ou à qui il appar» tiendra, sur iceux préalablement pris la » somme de 500 livres d'amende, au cas que >> confiscation n'ait pas lieu au profit du roi, »8,000 livres de Réparation civile,dommages» intérêts envers les sieurs de Savonnières, » 100 livres pour faire prier Dieu pour l'ame » de la dame Mazel; déclaré indigne des dispo» sitions et legs faits à son profit par le testa» ment de ladite dame Mazel, et condamné à » tous les dépens ».

"

Appel de cette sentence. L'innocence de Lebrun ou son crime devient un problème sur lequel chacun s'exerce on cite, d'un côté, le droit romain; on invoque ces lois barbares, dictées par l'orgueil en faveur des maîtres contre les esclaves; de l'autre, on oppose et les règles de la justice et la voix de l'humanité, à ce Code qui met en quelque sorte plus de distance entre ces deux classes d'hommes, que la divinité n'en souffre entre elle-même et la creature. On se livre à des discussions où la sagesse se confond et se perd. Les magistrats se partagent: le plus grand nombre s'arrête au parti de faire appliquer l'accusé à la question ordinaire et extraordinaire. Lebrun subit cette épreuve qui met l'innocence aux prises avec la douleur: sa fermeté le soutient, la torture ne lui arrache rien de contraire à la vérité. Un des juges qui avait opiné à la mort avant la question, est d'avis de le condamner aux galėres à perpétuité, pro modo probationum. Mais de l'avis de tous les autres, il intervient, le 27 février 1690, arrêt qui infirme la sentence du châtelet et ordonne un plus amplement infor. me, pendant un an, contre Lebrun et contre sa femme; accorde la liberté à celle-ci, la caution juratoire de se représenter lors. qu'elle en sera requise; réserve néanmoins de faire droit sur la demande à ce que Lebrun soit déclaré indigne des legs à lui faits par la

sous

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