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d'origine; que sa demeure hors de France ne lui faisait point perdre le droit de cité, et ne lui était point la capacité de succéder; et qu'il avait toujours eu la volonté de retourner et de demeurer en France.

» Le bailli de Rouen lui avait adjugé la succession; ce qui fut confirmé par ariet (du 22 avril 1656), à la charge que les deniers provenans des meubles, seraient constitués en rente ou employés en héritage pour en jouir par l'intimé, sans pouvoir vendre ni aliéner les biens de la succession.

» Isaac Basire, né en Normandie, se retira, fort jeune encore, en Angleterre où il fit ses études, et devint chapelain du roi Charles Ier. Il obtint même de ce prince des lettres de dénization, qui, d'après les lois du pays, le rendaient, sans le naturaliser, habile à posseder des bénéfices, comme s'il eût été anglais. 11 fit plus: il épousa une anglaise, et en eut plu sieurs enfans.

» En 1667 (c'est encore Basnage qui parle), le malheur du roi d'Angleterre, et le désor dre de sa fortune, l'obligèrent à venir demander la succession de son père (mort en 1637), que jusqu'alors il avait négligée.

» Sur l'action qu'il avait intentée devant les premiers juges, il appela d'un incident en la cour, où le principal ayant été évoqué, Aubout, son avocat, disait pour lui que sa demande était fondée sur un titre extrêmement favorable: se dire fils de celui dont il demandait la succession, n'avoir que des sœurs pour parties, et protester que son silence et son séjour en une terre étrangère, n'avaient jamais altéré cette affection qu'il devait au lieu de sa naissance, sont des raisons assez puissantes pour ne le dépouiller pas d'un droit qui lui appartient si légitimement: s'il est vrai que les droits du sang sont inaltérables, et que nos volontés et nos actions ne puissent rompre cette étroite liaison par laquelle la nature nous unit ensemble, il n'est pas moins difficile de renoncer à son lieu natal, et de perdre les avantages de son origine; comme l'amour de la patrie doit tenir le premier rang dans nos affections, elle doit aussi nous ouvrir son sein, et nous tendre les bras, quelque longue que soit l'absence qui nous en a séparés, et de quelque climat que le souvenir d'icelle nous y ramène. Ces changemens de pays n'ont le plus souvent pour leur cause, que l'intérêt, la curiosité, ou quelque force majeure ; mais tout cela n'est point capable d'étouffer ces secrètes inclinations que nous inspirent les lieux qui nous ont vus naitre ; leur souvenir nous y rappelle toujours; et l'on ne peut, sans blesser l'humanité, nous en interdire l'entrée, surtout

l'orsqu'on n'a point fait paraître de volonté ni de dessein d'y renoncer pour jamais; et l'on ne peut donner cette explication à ces lettres qu'il a obtenues, qui sont très-différentes de celles où l'on renonce à sa patrie pour s'engager ailleurs ; car elles n'ont eu d'autre fin que de le rendre capable de posséder des bénéfices....

» Cette cause ayant été appointée au conseil, elle fut depuis jugée en la chambre de l'édit, au rapport de M. Buquet, le 8 août 1647; et par l'arrêt, la succession fut adjugée au sieur Basire, à condition qu'il serait tenu de demeurer en France, et qu'il ne pourrait la vendre ni engager. On trouva ces letque tres de dénization n'étaient pas de véritables lettres de naturalité, parcequ'elles n'avaient pas été passées au parlement d'Angleterre, sans laquelle formalité on ne peut devenir naturel anglais.

» Peu de temps avant ce dernier arrêt, le parlement de Paris en avait rendu un semblable. Ecoutons Soefve, tome 1, sect. 2, chap. 4:

» Le lundi 25 février 1647, à l'ouverture du rôle de Paris.fut plaidée une cause en laquelle il s'agissait de savoir si un particulier nommé Denis Pierre, qui était sorti de Paris à l'áge de treize ou quatorze ans, pendant les troubles, à la suite d'un capitaine espagnol, s'était retiré dans les pays étrangers, et qui avait établi son domicile à Bruxelles où il avait pris femme, et eu d'elle des enfans, était recevable, après une absence de soixante ans et plus, à demander une succession qui lui était nouvellement échue en France; au sujet de quoi furent traitées deux questions, l'une de fait et l'autre de droit.

»A l'égard de la question de droit,qui était de savoir si un homme, après une si longue absence,n'est pas censé avoir renoncé à son pays, pour être exclu des successions qui lui peuvent échoir,la partie qui lui contestait la succession contentieuse,ne s'y arréta pas beaucoup,PARCE. QUE LES ARRÊTS ONT TOUJOURS JUGÉ POUR L'AFFIR. MATIVE,lors particulièrement que l'on ne justifie point que les absens aient expressément renoncé à leur patrie, ou pris des lettres de naturalité dans les pays étrangers où ils se sont établis, ou porté les armes contre leur roi.

» L'on insista seulement sur la question de fait, en laquelle on soutenait que celui qui se présentait pour recueillir ladite succession, n'était point le véritable Denis Pierre qui était sorti de Paris pendant les troubles, mais un imposteur qui avait été vraisemblablement suscité par quelque personne ennemie pour envahir la succession dont il s'agissait.......

» Sur quoi, le prévôt de Paris, pardevant lequel la contestation avait été formée, ayant

rendu sa sentence, et par icelle adjugé la succession dont était question,au prétendu Denis Pierre pour moitié, il y eut appel interjeté de ladite sentence par celui qui se prétendait seul héritier, et qui était cousin germain de ce Denis Pierre ; et par arrêt donné sur les conclusions de M. l'avocat-général Bignon, ladite sentence fut confirmée.

» Il est vrai que, depuis cet arrêt, est intervenu l'édit du mois d'août 1669, par lequel, entre autres dispositions, il a été déclaré que les français qui, retirés en pays étranger, s'y établiraient par mariage, seraient censés avoir abdiqué tout esprit de retour et réputés étran gers.

» Mais tout le monde sait que cet édit, quoi. que général, n'avait en vue que les protestans qui, dès-lors, sourdement persécutés et prévoyant la trop prochaine révocation de l'édit de Nantes, cherchaient hors de leur patrie, la liberté de conscience qu'ils ne pouvaient plus trouver dans son sein. Aussi les cours supérieures ne l'ont-elles jamais appliqué aux français qui, attirés en pays étranger par d'autres motifs que la religion, s'y étaient ma

riés.

» Témoin, entre autres, l'arrêt qu'a rendu le conseil souverain d'Alsace, le 3 juillet 1762, sur l'opposition formée par David Knoderer à un précédent arrêt de la même cour, qui, parcequ'il s'était marié en pays étranger, sans la permission du roi, avait déclaré ses biens confisqués au profit de l'État. David Knoderer exposait qu'à la vérité, il s'était établi en 1742, à Lohr, dépendant du marquisat de BadenDourlach, pour y exercer la profession de tanneur, et qu'il s'y était marié en 1747; mais qu'il n'avait jamais eu dessein d'y demeurer pour toujours; qu'il avait au contraire tellement conservé l'esprit de retour et le sentiment de sujet du roi, qu'il n'avait vendu ni aliéné aucun des biens qui lui étaient avenus des successions de ses père et mère ; qu'il s'était même fait recevoir bourgeois de la ville de Strasbourg, le 18 janvier 1759; et qu'il y avait en conséquence acquitté le premier quartier de sa capitation. Par l'arrêt cité, il a été ordonné que David Knoderer, quoiqu'il demeurât encore dans lieu où il s'était marié, et qu'il ne fût que bourgeois forain de Strasbourg, continuerait de jouir de ses biens, « à la charge » de donner pour cette jouissance, une bonne >> et suffisante caution (1) ».

» Vous remarquez, sans doute, messieurs, l'analogie qu'il y a entre cette espèce et la position dans laquelle, abstraction faite de sa qua

(1) Recueil des ordonnances d'Alsace, tome 2, page 523.

lité de protestant réfugié, Philippe-Jean Gaugain se trouvait en Angleterre à l'époque de son décès. Comme David Knoderer, PhilippeJean Gaugain s'était établi et marié en pays étranger, sans la permission du roi; mais comme lui, il avait conservé en France les biens qui lui étaient échus, en 1791, de la succession de la dame Hemery; il avait même été inscrit, à raison de ces biens, sur le rôle de la contribution foncière; et comme lui, il avait manifesté son esprit de retour, non pas, à la vérité, en se faisant recevoir bourgeois d'une ville de France, mais en prenant dans un acte public, dans une procuration notariée, du 6 août 1788, la qualité de natif et bourgeois de la ville de Caen.

» Disons donc que Philippe-Jean Gaugain devrait, en these generale, et si l'on fermait les yeux sur les lois concernant les Religionnaires fugitifs, être considéré comme mort à Londres, en 1796, avec la qualité de français.

» Mais les lois concernant les Religionnaires fugitifs,ne lui avaient-elles pas fait perdre cette qualité, ne l'avaient-elles pas frappe de mort civile dés l'instant où il était passé en Angle

terre?

>>Nous sommes forcés de le dire à la honte de notre ancienne législation : l'affirmative n'est pas douteuse; et elle résulte trop évidemment de l'art. 2 de la déclaration du 27 octobre 1725: Entendons que nos sujets qui se sont retirés du royaume pour cause de religion et qui y reviendront à l'avenir, puissent être admis aux successions LCHUES DEPUIS LEUR RETOUR, et après leur serment de fidélité et leur abjuration, OU QUI LEUR ÉCHOIRONT PAR LA SUITE, sans étre obligés d'obtenir des lettres de naturalité; déclarant qu'ils n'en ont pas besoin, attendu que nous les regardons comme nos fidèles sujets, du moment qu'ils auront satisfait à nos intentions. Disposer ainsi pour les successions qui échoiront après le retour des Religionnaires fugitifs, c'est assurément faire entendre, c'est proclamer bien clairement que les Religionnaires fugitifs ont perdu, par le seul fait de leur fuite, tout droit aux successions dont l'ouverture précédera leur retour.

» Si ces lois étaient encore en vigueur à l'époque du décès de Philippe Jean Gaugain, il faut le dire, Philippe-Jean Gaugain est mort étranger à la France, il est mort incapable de succeder dans sa patrie; et ce serait une grande question que celle de savoir si son incapacité cut été effacée, avec effet rétroactif, par l'abolition postérieure de ces lois (1).

» Mais ces lois n'étaient-elles pas abolics à cette époque?

(1) V.le no suivant.

"

» Oui, elles l'étaient ; et c'est une vérité qu'il mot d'où l'on puisse inférer qu'elles attachent est impossible de méconnaître.

» L'abolition en avait été préparée par la loi du 23 décembre 1789, qui, regardant la liberté des cultes comme suffisamment rétablie en France par l'art. 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, décrété le 23 août précédent, s'était bornée à déclarer les non-catholiques capables de tous les emplois civils et militaires, comme les autres citoyens.

au grand acte de justice qu'elles font en faveur des Religionnaires fugitifs, la condition de rentrer en France dans un délai quelconque ; elles ne parlent même pas de leur rentrée en France; et dès-là, elles se référent nécessairement, en ce qui les concerne, au principe général qui, alors comme aujourd'hui, réputait habile à succéder en France, tout français domicilié en pays étranger qui n'avait pas perdu l'esprit de retour.

» Qu'importe que, par l'art. 22 de la loi du 9 décembre de cette année, les enfans nés en pays étranger de français expatriés pour cause de religion, ne soient admis parmi nous à la jouissance des droits attachés à la qualité de français, qu'autant qu'ils rentreront en France, qu'ils y fixeront leur domicile et qu'ils prêteront le serment civique?

» C'est précisément parceque cette condition est imposée aux enfans des français expatriés pour cause de religion, que nous sommes fondés à soutenir qu'elle ne l'est pas à ceux-ci. Qui de uno dicit, de altero negat.

» Et elle avait été consommée par les dispositions des lois des 10 juillet et 9 décembre 1790, qui avaient ordonné que les biens confisqués sur les Religionnaires fugitifs, seraient rendus, soit à eux-mêmes, soit à leurs héritiers, successeurs ou ayant droit; car les édits de 1669 et de 1685, la déclaration du 29 décembre 1698 et celle du 27 octobre 1725 faisaient marcher de front la confiscation des biens et l'incapacité de succéder, ou plutôt ne prononçaient celle-ci que comme une suite né cessaire de celle-là ; et il est évident que les lois de 1790 n'ont pas pu abolir l'une, sans abolir en même temps l'autre. C'est d'ailleurs ce qu'etablit nettement l'arrêt de la cour du 30 avril » Qu'importe encore que la loi du 22 août 1806, qui maintient,au rapport de M.Lasauda. 1793 ait été plus loin et ait dit, sans distinde,un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux,renguer entre les français expatriés pour cause du en faveur des sieurs Vigneau : Considérant (y est-il dit) que les lois... relatives aux personnes et aux biens des Religionnaires fugi tifs, et qui ont prononcé contre eux LA MORT CIVILE, la confiscation de leurs biens et la remise d'iceux à leurs plus proches parens, à des conditions de rigueur et sous des forma. lités préalables, ONT ÉTÉ ABROGÉES PAR LES LOIS DE 1790, qui restituèrent purement et simple. ment aux Religionnaires fugitifs et à leurs héritiers, les biens sur eux confisqués, à la charge seulement par eux d'établir, p , par titres et pièces, qu'ils sont héritiers de celui qu'ils prétendent représenter, et que les biens par eux réclamés proviennent de son chef; considérant que la tache de mort civile, empreinte sur les Religionnaires fugitifs et sur leurs biens par les lois anciennes, a été ENTIÈREMENT EFFACÉE PAR LES LOIS DE 1790; que

les biens par eux délaissés, doivent être considérés comme n'ayant jamais cessé d'étre transmissibles dans leurs familles, d'après les règles communes, et selon les dates effectives de l'ouverture des successions....

» Et inutilement vient-on vous dire que les lois de 1790 n'ont pu avoir aucun effet à l'égard de Philippe-Jean Gaugain, parcequ'il n'a pas profité de la faculté qu'elles lui accordaient de rentrer en France et qu'il est mort en pays étranger.

» Les lois de 1790 ne contiennent pas un

de religion et leurs enfans nés en pays étran ger: Néanmoins les dispositions de la loi du 9 décembre 1790 n'auront lieu qu'en faveur de ceux qui seront domiciliés en France ?

» Cette loi, fruit momentané de l'exaltation dans laquelle des circonstances orageuses avaient placé les esprits contre tout ce qui avait l'apparence d'émigré, a été abrogée dans un temps plus calme : un décret du 24 messidor an 3 l'a rapportée purement et simple.

ment.

» Plus inutilement dirait-on que l'art. 15 de la constitution du 5 fructidoran 3, déclarait étranger tout citoyen qui aurait résidé sept années consécutives hors du territoire de la république,sans mission ou autorisation donnée au nom de la nation.

Cet article ne pouvant pas avoir d'effet rétroactif, n'aurait pu s'appliquer à PhilippeJean Gaugain que dans le cas où celui-ci aurait, depuis le 5 fructidor an 3, correspondant au 26 août 1795, continué de résider en pays étranger pendant sept années consecutives; et c'est ce que Philippe-Jean Gaugain n'a ni fait ni pu faire, puisqu'il est mort en 1796.

» Il y a plus cette disposition n'a jamais pu s'appliquer à personne, et la raison en est simple c'est qu'elle a été abrogée, avec l'acte constitutionnel dont elle faisait partie,

par celui du 22 frimaire an 8, avant qu'il se fût écoulé, non-seulement sept, mais même cinq ans.

» Tout se réunit donc pour justifier l'arrêt attaqué, en tant qu'il juge que Philippe-Jean Gaugain avait encore, au moment de son décés, la qualité et les droits de français.

» Mais de là même ne résulte-t-il pas que notre deuxième question doit être résolue dans le même sens ? De là même ne résulte-t-il pas que l'arrêt attaqué a dû, comme il l'a fait, déclarer que les enfans de Philippe-Jean Gaugain n'avaient jamais cessé d'être français, et que, jouissant des droits attachés à cette qualité au moment où était décédé Charles-Salomon Fumée, leur parent, ils avaient été habiles à recueillir sa succession?

» Telle est en effet la conséquence qui sort naturellement de l'art. 10 du Code civil: tout enfant né d'un français en pays étranger, porte cet article, est français. JeanThomas et Pierre-Jean Gaugain sont nés en Angleterre, de Philippe-Jean Gaugain qui, d'après les lois de 1790, est réputé n'avoir ja mais cessé d'être français. Îls sont donc français comme leur père; ils sont donc, comme leur père, habiles à succéder en France.

» Sans doute, si Philippe-Jean Gaugain, leur père, était mort sans avoir recouvré, avec effet rétroactif, sa qualité et ses droits de français, ils n'auraient pu, d'après le même article du Code civil, recouvrer cette qualité et ces droits, qu'en remplissant les formalités prescrites par l'art. 9, c'est-à-dire, en déclarant que leur intention était de fixer leur domicile en France et en s'y fixant en effet.

» Sans doute, alors, ils ne pourraient, conformément à l'art. 20, se prévaloir de leur qualité de français que pour l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis cette époque; et par conséquent ils demeureraient incapables de succeder à Charles-Salomon Fumée.

» Mais cette hypothèse est étrangère à la cause: encore une fois, le père de Jean-Thomas et de Pierre-Jean Gaugain est réputé, par les lois de 1790, avoir toujours été francais; ils sont donc eux-mêmes français comme leur père; et comme leur père, ils n'ont ja

mais cessé de l'être.

» Qu'opposent les demandeurs à une assertion qui porte aussi visiblement le caractère de la vérité ?

» Ils opposent l'art. 22 de la loi du 9 décembre 1790, que nous avons déjà cité, et qui est ainsi conçu : Toutes personnes qui, nées en pays étranger, descendent, en quel

que degré que ce soit, d'un français ou d'une française expatriés pour cause de religion, sont déclares naturels français, et jouiront des droits attachés à cette qualité, s'ils reviennent en France, y fixent leur domicile, et prétent le serment civique.

» La cour d'appel de Caen a prévu l'objec tion; mais, qu'y a-t-elle répondu? Qu'il est impossible de supposer que la loi du 9 décembre 1790 ait imposé aux individus qui n'avaient jamais perdu la qualité de français, la nécessité de rentrer en France et d'y prêter le serment civique, pour y jouir

des droits civils.

» Cette réponse est satisfaisante quant à Philippe-Jean Gaugain, qui, né en France, et expatrié pour cause de religion, n'était évidemment pas compris dans la disposition de l'art. 22 de la loi du 9 décembre 1790.

» Mais elle ne l'est pas, à beaucoup près, relativement aux enfans que Philippe-Jean Gaugain avait eus en Angleterre. L'art. 22 de la loi du 9 décembre 1790 les atteignait directement; et on ne peut se dissimuler qu'il ne les admettait à la jouissance des droits civils, que sous la condition de rentrer en France, d'y fixer leur domicile, et d'y prêter le serment civique.

>> Prétendre, comme le faisaient devant la cour d'appel de Caen, les enfans de PhilippeJean Gaugain, que la disposition de cet article doit etre restreinte à la jouissance des droits politiques, c'est une pure illusion.

» Cet article parle indistinctement des droits attachés à la qualité de naturel francais; il les embrasse donc tous dans sa disposition. Il n'est donc pas permis de restreindre sa disposition aux droits politiques. Les enfans de Philippe-Jean Gaugain n'auraient donc pu, d'après cet article, succéder en France, sans, au préalable, y avoir fixé leur domicile et prête le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi.

» Mais est-ce bien d'après cet article qu'a dû être réglée la capacité ou l'incapacité des enfans de Philippe-Jean Gaugain, de succéder à Charles-Salomon Fumée?

>> Charles Salomon Fumée est mort en 1808. Or, à cette époque, quelle était la loi qui déterminait l'etat des enfans nés de français en pays étranger?

» Ce n'était plus l'art. 22 de la loi du 9 dé. cembre 1790, c'était l'art. 10 du Code civil; et nous venons de voir que, par cet article, les enfans nés de français en pays étranger, sont déclarés français comme leurs pères ; qu'ils le sont purement et simplement; qu'ils le sont par conséquent sans la condition de

rentrer en France et d'y prêter aucun ser

ment.

» Dira-t-on que les enfans nés en pays étranger, de Religionnaires fugitifs, une fois assujetis par la loi du 9 décembre 1790, à rentrer en France et y prêter le serment civique, pour être admis à l'exercice des droits civils, n'ont pas pu être dégagés de cet assu jétissement par le Code civil? Dira-t-on que, pour juger s'ils sont capables ou incapables de recueillir en France une succession ouverte sous le Code civil, il faut se reporter à la loi du 9 décembre 1790 ?

» Mais ce serait oublier, ce serait fouler aux pieds l'un des principes les plus élémentaires, et pour ainsi dire, les plus triviaux. Dans tous les temps et dans tous les lieux, il a été reconnu que, sur la question de savoir si telle personne est capable ou incapable d'exercer un droit, on ne doit consulter que la loi du moment où ce droit s'ouvre.

» C'est ainsi que, bien qu'une femme soit née et ait été mariée avant le Code civil, dans l'une des parties de la France qui reconnaissaient encore le sénatus - consulte velleien, elle ne laisse pas aujourd'hui d'être capable de cautionner, parceque l'art. 1123 du Code civil déclare généralement habiles à s'obliger, par toutes sortes de contrats, tous ceux que la loi n'en déclare pas expressément incapables; et c'est ce que la cour a jugé solennellement deux fois: la première, en cassant,le 27 août 1810, sur nos conclusions, et au rapport de M. Liger de Verdigny, un arrêt de la cour d'appel de Rouen, rendu en faveur de la dame Lejeune; la seconde, en maintenant, le 5 mars 1811, au rapport de M. Pajon, un arrêt de la même cour, attaqué par la dame Leducq (1).

» Par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu de rejeter la requête des demandeurs, et de les condamner à l'amende de 150 francs ».

Arrêt du 13 juin 1811, au rapport de M. Lombard-Quincieux, par lequel,

que

« Attendu les lois anciennes qui portaient la peine de mort civile contre les Religionnaires fugitifs, ont été abrogées par les lois des 10 juillet et 9 décembre 1790; que Philippe-Jean Gaugain, mort en 1796, était né en France, ainsi que sa femme, de parens français ; qu'aux termes de l'art. 10 du Code civil, Jean-Thomas et Pierre-Jean Gaugain, fils de Philippe-Jean, quoique nés en pays étranger, sont français, parcequ'ils sont nés

(1) V. l'article Puissance maritale, sect. 2, §. 2,

art. 2, no 19.

d'un français; que Philippe-Jean Gaugain et ses deux fils n'ont pas perdu leur qualité de français, puisqu'ils n'ont point acquis la naturalisation en pays étranger ni accepté de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger, ni par des établissemens de commerce faits en pays étranger, sans esprit de retour; que de là il suit Jeanque Thomas et Pierre-Jean Gaugain sont français, et par conséquent habiles à succéder, soit ab intestat, soit par testament, à un français ;

» Par ces motifs, la cour rejette le pourvoi.... ".

VII. Qu'aurait-on dû décider dans l'espèce précédente, s'il se fût agi d'une succesion ouverte avant la loi du 9 décembre 1790? En d'autres termes, l'art. 22 de cette loi, en déclarant naturels français les enfans nés en pays étranger, de français ou de française expatriés pour cause de religion, a-t-il entendu retroagir en leur faveur sur le passé?

Cette question que j'avais prévue, sans la résoudre, dans les conclusions rapportées au no précédent, s'est présentée depuis dans une espece où je l'ai traitée à fond.

En 1684, Florent Girard, calviniste; quitte la France et va s'etablir à Genève.

Le 3 novembre de la même année, il épouse, en cette ville, une genevoise, nommée Esther Daval.

Le 30 octobre 1712, Marie Girard, issue de ce mariage, épouse Richard Nicoud, génevois.

De ce mariage naissent trois enfans, Etienne, Jacques et Jean-François Nicoud.

Etienne Nicoud épouse Jeanne-Marie Mendric, et en a cinq enfans, parmi lesquels figure Guillaume-Francois Nicoud.

Le 14 septembre 1778, le sieur Préau de Marconnay, petit-neveu maternel de Florent Girard, meurt à Châtellerault, sans postérité et sans testament. Sa succession est partagée entre ses parens regnicoles.

Quelque temps après la publication de la loi du 9 décembre 1790, Guillaume-François

Nicoud rentre en France.

Le 28 germinal an 13, il fait assigner, devant le tribunal de première instance de Châ tellerault, tous les possesseurs de l'hérédité du sieur Préau de Marconnay, pour se voir condamner à lui en délaisser la portion à laquelle son père avait droit, en 1778, comme plus proche parent maternel du défunt.

Ceux-ci lui opposent qu'en 1778, son père et lui étaient étrangers et incapables de succéder en France.

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