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le droit public; que le contrat de mariage des époux Michaut, le 25 frimaire an 9, a été fait sous l'empire de la loi du 4 germinal an 8;

» 20 Que la disposition restrictive de l'art. 3 de cette loi a nécessairement disparu avec la loi du 13 floréal an 11 et le Code civil qui l'ont remplace;

30 Qu'il est de principe que les clauses prohibitives de la nature de celle insérée au contrat de mariage des époux Michaut, ne peuvent être étendues des cas prévus et exprimés, aux cas non prévus par la loi lors existante au bénéfice de laquelle il a été renoncé, à la loi non prevue et postérieure qui a étendu les droits et facultés des contrac

tans;

» 4° Que, par le testament dont il s'agit, la fille Thiercelin n'a point disposé de la propriété de la totalité de ses biens, comme l'y autorisait le Code civil, mais seulement de la moitié de ses susdits biens; de manière que l'appelant retrouve dans sa succession l'autre moitié que la loi du 4 germinal an 8 lui avait réservée ».

Le sicur Thiercelin se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

« Un seul moyen de cassation (ai je dit à l'audience de la section civile, le 31 juillet 1809) vous est proposé par le demandeur; et il consiste à dire que la cour d'appel d'Amiens a violé une convention matrimoniale qui n'était condamnée par aucune loi, et qui par conséquent devait être respectée.

»Nous aurions peut être beaucoup de choses à dire sur ce moyen, si nous devions le considérer tel qu'il vous est présenté, ou, en d'autres termes, si l'on pouvait imputer à l'arrêt attaqué la violation de ce que le demandeur appelle la loi du contrat.

» Mais la vérité est que la cour d'appel d'Amiens n'a pas fait, dans l'espèce qui vous occupe en ce moment, ce que l'on a souvent reproché aux tribunaux; qu'elle n'a ni donné ni cherché à donner, par une interprétation quelconque, à la convention dont il s'agit, un sens opposé à celui qui resultait des termes employés par les parties; et qu'elle a seule ment jugé que cette convention était nulle.

et

» Or, juger qu'une convention est nulle, juger qu'une convention doit être entendue dans un sens que ne comportent pas les termes qui l'expriment, ce sont deux choses très différentes. Dans le second cas, on ne juge le plus souvent et l'on ne peut guères juger qu'une question de fait; dans le premier, on juge ne cessairement une question de droit. Et autant il est difficile que, dans l'un, il y ait contraTOME XXVIII.

vention à une loi faite pour l'objet contesté, autant il est sensible que, dans l'autre, si une loi expresse reconnaît telle convention pour valable, on ne peut jamais déclarer cette convention nulle, sans se mettre en opposition avec la volonté de cette loi.

» L'arrêt qui vous est dénoncé, serait donc passible de cassation, s'il avait annulé unc convention que la loi eût reconnue pour valable; et de là naît pour nous l'obligation d'examiner si le sieur Michaut et Marie-Magdelaine Thiercelin ont pu, par leur contrat de mariage du 25 frimaire an 9, stipuler valablement une Renonciation mutuelle à la faculté qu'ils tenaient de la loi, de s'avantager l'un l'autre.

"Cette question nous parait devoir être envisagée sous trois aspects :

» 10 Avant la loi du 17 nivôse an 2, une pareille Renonciation était-elle valable? » 2o Était-elle valable sous la loi du 17 nivôse an 2?

» 30 Serait-elle valable sous le Code civil? » Avant la loi du 17 nivôse an 2, on tenait, comme aujourd'hui, pour principe, que les contrats de mariage étaient susceptibles de toutes les conventions, de toutes les clauses, qui ne blessaient, ni le droit public, ni les bonnes mœurs, ni les lois prohibitives.

» Mais ce principe n'était écrit dans aucune loi générale; il ne l'était que dans quelques coutumes, et parmi ces coutumes, n'était pas celle de Vitry, sous l'empire de laquelle s'est mariée la dame Michaut. La contravention à ce principe n'aurait donc pas pu, avant le Code civil, former une ouverture de cassation contre un arrêt.

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Il y a plus avant le Code civil, il n'était rien moins que constant que ce principe fût applicable à la clause d'un contrat de mariage par laquelle de futurs époux renonçaient à la faculté que certaines coutumes leur accordaient de se faire respectivement des avantages; et il régnait, sur ce point, une grande diversité dans les opinions.

» D'un côté, Rodemburg, dans son traité de jure quod oritur ex statutorum diversitate, tit. 3, chap. 4, no 10, dit que des époux qui, en se mariant sous la loi d'Utrecht, où il est permis aux époux de se donner l'usufruit de leurs biens, ont renoncé, par leur contrat de mariage, à l'exercice de cette faculté, ne sont pas liés par cette Renonciation, et qu'il l'a ainsi décidé lui-même avec plusieurs autres jurisconsultes, dans une espèce qui leur avait été soumise: respondimus jurisconsulti complusculi donationem valere, quòd non impingeret in nostratium leges usufructu tenùs donationum conjugalium haud prohibitorias.

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» Abraham de Wesel, de pactis dotalibus, tit. 2, no 113, dit également irritum esse pectum quo cautum ne unquàm futuris conjugibus liceret sibi invicem bonorum usumfructum constituere. Etenim, continue-t-il, cùm per leges nostrates conjugibus liceat sibi mutuo usufructu gratificari, certè fieri nequit ut pacto caveatur validè ne leges in suo testamento vel ususfructus datione locum habeant. L. 55, D. de legatis 1o Non enim ex solemni jure, privatorum conventione, quidquam immutari potest. L. 27, D. de regulis juris.

» Voët, sur le Digeste, titre de pactis dota libus, no 20, enseigne la même doctrine. Il rappelle d'abord la maxime, que des époux ne peuvent pas se réserver, par leurs conven. tions matrimoniales, le droit de se faire, pendant le mariage, des donations prohibées par la loi; puis il ajoute : Idemque dicendum de pactis illis quibus tollitur aut coarctatur inter conjuges licentia gratificandi quæ per leges aut consuetudines loci cujusque permissa invenitur : veluti ne conjux conjugi usumfructum Ultrajecti aut in Hollandid proprietatem leget, ut potè quod repugnat libertati testandi.

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» Et remarquez, messieurs, que ces trois anteurs écrivaient, les deux premiers dans la province d'Utrecht, le troisième dans celle de Hollande, où, comme en France, les contrats de mariage ne sont susceptibles d'aucun changement après la cérémonie nuptiale où, comme en France, ces contrats admettent tous les genres de stipulations qui ne sont contraires, ni aux lois prohibitives, ni à l'ordre public, ni aux bonnes mœurs; et qu'ils en font expressément l'observation aux endroits cités de leurs ouvrages.

» D'un autre côté, Boullenois, dans son traité des statuts personnels et réels, en forme de commentaire sur le premier de ces trois auteurs, tome 2, page 412, soutient que la Renonciation à la faculté de s'avantager, est valable dans les contrats de mariage: Nous n'adopterions pas, dit-il, cette décision (celle de Rodemburg); les contrats de mariage sont sacrés parmi nous. C'est ordinairement le concert de deux familles ; et c'est, du moins, un contrat qui fait une règle et est une loi irrévocable pour les conjoints et pour leurs parens; en sorte qu'encore que les conjoints, pleinement majeurs, eussent arrété entre eux seuls leurs conventions matrimoniales, ils n'y pourraient encore déroger depuis leur mariage. Il importe trop à la tranquillité générale des mariages, que ce qui a été une fois arrêté par des conjoints, entre eux seuls

ou avec leurs parens, soit stable et permanent.... Mais, à cette raison générale, il en faut ajouter une autre particulière, qui est, qu'il n'y a pas d'inconvénient que des conjoints renoncent à un bénéfice que leur offre la loi....

» Le recueil de Bardet nous offre, tome 2, livre 9, chap. 5, un arrêt du parlement de Paris, qui a jugé conformément à cette opinion; voici les termes de l'auteur :

» Philippe Texier ayant légué, par son testament, tous ses meubles et acquét's immeubles à Yolande Massenot, sa femme (suivant la faculté que lui en laissait la coutume d'Anjou ), par sentence de Saumur, ayant été déboutée de la demande par elle faite pour la délivrance de ce legs, elle en interjeta appel. » Pour elle, Me Hilaire dit que les juges se sont fondés sur une clause apposée au contrat de mariage de l'appelante, et conçue en ces termes : ne pourront les futurs époux se faire donation ni à autres personnes en leur faveur. Cette clause, comme exorbitante du droit commun, doit étre restreinte aux donations entre-vifs. La prohibition de donner ne s'étend jamais aux testamens ni aux dispositions à cause de mort. Verba contraxerunt, gesserunt, ad jus testandi non pertinent. L'appelante n'a pu déroger au droit public : sa cause est d'autant plus favorable qu'elle conteste pour avoir la délivrance des legs, qu'elle a mérités par les services rendus à son mari.

» Me Bataille, pour les héritiers du mari, intimés, dit que la clause dont il s'agit, est d'autant plus favorable, qu'elle se trouve apposée dans un contrat de mariage. Bien loin que cette clause soit exorbitante et contraire au droit commun, elle y est conforme, comme aussi à la disposition de la coutume de Paris, qui doit servir de règle aux autres. Le mot donation, indéfiniment proféré, comprend toutes sortes de dispositions, tant entre-vifs que par testament. Loi alienatum, §. donationis, D. de verborum significatione. En droit, legatum est donatio. Parmi nous, ce mot donner s'entend de toutes sortes de donations tant entre-vifs qu'à cause de mort; et même, les donations entre-vifs sont beaucoup plus favorables et plus facilement permises, que les donations à cause de mort. Donc, si celles-là se trouvent prohibées, à plus forte raison celles-ci. Il est permis de déroger aux coutumes, en tant qu'elles regardent les personnes, non en tant qu'elles sont réelles. L'appelante ayant l'usufruit de tous les biens, doit s'en contenter.

» M. l'avocat-général Talon dit qu'il est

permis de déroger aux coutumes, quand elles sont conçues en termes affirmatifs et potestatifs, par exemple, en ce qui concerne la reprise ou la communauté; mais non quand elles sont conçues en termes négatifs, comme nul ne peut. Donc la clause dont il s'agit, est bonne et valable: Mari quod omnibus est commune, servitus imponi non potest; tamen legem contractûs servari oportet, dit la loi. L'intention des parties a été de s'interdire et de se rendre incapables: or, quant à la personne, s'il se rencontre quelqu'incapacité, Le mot donation s'explique largement, et s'entend de toutes sortes de donations entrevifs et à cause de mort. Il y eût eu plus de difficulté, si la donation avait été mutuelle et réciproque; mais étant simple et au profit de l'appelante seule, certat de lucro captando, non de damno vitando. Par la coutume d'Anjou, les donations entre-vifs sont prohibées entre le mari et la femme; donc la prohibition apposée au contrat, doit s'étendre plus avant et opérer quelque chose,

» La cour mit l'appellation au néant ; ordonna que ce dont est appel sortirait son plein et entier effet, et condamna l'appelante aux dépens, le mardi 19 juin 1640.

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» Il y a un autre arrêt de la même cour, du 7 septembre 1711, qui a jugé que, dans une coutume où les donations entre époux n'étaient permises que pour les meubles et acquêts, une femme n'avait pas pu donner à son mari une somme d'argent qu'elle s'était stipulée propre de disposition par son contrat de mariage. On convenait assez, dans cette espèce, que les effets mobiliers demeuraient disponibles au profit d'étrangers, nonobstant la stipulation de propres de disposi tion dont le contrat de mariage les avait frap. pés. Mais on soutenait qu'il en devait être au. trement entre les époux eux-mêmes, parce. qu'à leur égard, rien n'empêchait qu'ils ne s'interdissent la faculté de disposer au profit l'un de l'autre : et l'arrét cité l'a jugé ainsi.

>> Cet arrêt est rapporté par Serieux, dans ses notes sur le Traité des propres de Renusson, chap. 6, sect. 2, no 6, d'après le Traité des contrats de mariage. Mais il est à remar quer que le même auteur, dans les notes qu'il a depuis données sur ce dernier traité, tome 1, page 300, paraît en désapprouver la décision. Si cette clause (de propre de disposition) se trouvait, dit-il, dans un contrat de mariage passé entre conjoints de Poitou, ou d'autres coutumes qui permettent aux mari et femme de s'avantager.on pourrait dire que ce serait, de la part du conjoint contre qui elle serait faite, une Renonciation à pouvoir disposer

des objets stipulés propres, autrement qu'on ne pourrait le faire de propres réels: mais elle ne le serait pas sans difficulté, même à l'égard du conjoint.

» Ce que dit cet auteur de l'arrêt du 7 septembre 1711, s'applique de soi-même à l'arrêt du 19 juin 1640. Ainsi, selon cet auteur, le parti adopté par l'un et l'autre arrêt, n'est pas sans difficulté.

>> Pothier qui, dans son Traité des donations entre mari et femme, no 27, ne cite que l'arrêt du 19 juin 1640, pense, au contraire, que, vu l'époque où il a été rendu, sa décision ne pouvait souffrir aucune difficulté; et la raison qu'il en donne est également applicable à l'arrêt du 7 septembre 1711: c'est, dit-il, qu'alors on regardait les conventions des contrats de mariage, comme des conventions qui étaient censées intervenir, non-seulement entre les deux futurs conjoints, mais encore entre leurs familles respectives, lesquelles avaient intérêt de faire cette convention ( que les futurs époux ne pourraient s'avantager), pour empêcher que les biens d'une famille ne passassent à l'autre.

>> Mais vous le sentez, Messieurs, cette raison a perdu toute sa force, depuis que, par le célèbre arrêt de réglement du parlement de Paris, du 17 mai 1762, il a été juge, dans la succession du mineur Bellenger d'Essenlis, que la somme de deniers stipulée propre à un époux prédécédé, aux siens et à ceux de son coté et ligne, peut bien, dans la succession de l'enfant de cet époux, être considérée comme propre conventionnel au préjudice de la personne de l'époux survivant avec qui la stipulation a été faite, et de ceux qui sont à ses droits; mais qu'elle ne peut pas être réputee telle contre les autres personnes de la famille de ce même époux survivant, qui viennent de leur propre chef à la succession de l'enfant (1).

» Et en effet, Pothier remarque que cet arrêt ayant établi pour principe, que les conventions matrimoniales ne doivent plus étre regardées que comme des conventions entre les seules parties contractantes, la question (de savoir si l'on peut renoncer mutuellement par contrat de mariage à la faculté de s'avantager) peut souffrir plus de difficulté qu'elle n'en offrait en 1640. Car (ajoute-t-il) on peut opposer contre cette convention, que les futurs conjoints ne paraissent pas pouvoir avoir intérêt de s'interdire la liberté natu relle que la loi leur laisse de disposer de leurs biens à leur gré, et de s'en avantager l'un l'autre, si bon leur semble; ils paraissent au

(1) V. l'article Réalisation, S. 3.

contraire avoir plutôt intérêt de se la conser ver: or, c'est un principe que NEMO UTILITER STIPULARI POTEST QUOD SUA NON INTEREST.

» Cependant Pothier n'abandonne pas pour cela le parti adopté par l'arrêt de 1640 : On peut répondre (dit-il) que l'intérêt d'affection qu'a chacun des futurs conjoints de conserver son bien à sa famille, peut servir de fon dement suffisant aux conventions matrimoniales : la convention par laquelle l'un des conjoints stipule que sonmobilier sera propre à ceux de son côté et ligne, à l'effet d'empécher l'autre conjoint survivant d'y succéder à teurs enfans communs, et de le conserver à la famille de celui qui a fait la stipulation, n'a pas d'autre fondement ; et cependant c'est une convention très-usitée, et dont la validité n'a jamais été révoquée en doute. Cette raison se rencontre dans la convention par laquelle ils s'interdisent la liberté naturelle que la loi leur laissait de s'avantager l'un l'autre ; leur motif est d'éviter, par là, de se trouver dans la facheuse alternative, ou de priver leur famille de leurs biens contre leur inclination, par les donations que l'un d'eux ferait à l'autre, ou d'altérer la concorde conjugale par le refus qu'il ferait de faire à l'autre conjoint les donations qu'il le solliciterait de lui faire.

» Cette opinion, au reste, n'avait pas seule. ment été adoptée par les arrêts des 19 juin 1640 et 7 septembre 1711, elle l'avait encore été par la plupart des coutumes locales de Flandre et d'Artois, qui autorisaient le ravestissement par lettres, espèce de don mutuel entre le mari et la femme. Ravestissement par lettres (disait la coutume de Lille, tit. 5, art. 16) a lieu nonobstant devise ou condition de mariage, s'il n'y est spécialement dérogé; ce qui fait bien clairement entendre que l'on pouvait, par une clause spéciale, déroger, dans un contrat de mariage, à la disposition de la coutume qui permettait le ravestissement par lettres entre le mari et la femme. C'est ce que portaient aussi les coutumes de Seclin, art. 2; de Commines, art. 20; d'Arras, art. 7; de la cité d'Arras, art. 5; du bailliage de Bapaume, art. 9, et du pays de Lallou, art. 21.

»De tous ces détails, il résulte qu'avant la loi du 17 nivóse an 2, la question de savoir si l'on pouvait déroger, par contrat de mariage, à la faculté que certaines coutumes laissaient aux époux de s'avantager, était assez problématique; et que, si deux arrêts du parlement de Paris l'avaient décidée pour l'affirmative,du moins, et surtout dans les coutumes où il n'était pas littéralement exprimé que les contrats de mariage admettaient toutes les stipulations

qui n'offensaient, ni l'ordre public, ni les bonnes mœurs, ni les lois prohibitives, jamais la cassation n'aurait pu atteindre un arrêt qui l'aurait jugée dans le sens contraire.

» La loi du 17 nivóse an 2 a-t-elle change quelque chose à cette incertitude? A-t elle établi, sur cette question, des principes plus fixes?

» Elle ne l'a pas fait expressément ; mais en méditant ses dispositions sur les avantages entre époux, dispositions qui ont été expressement maintenues par la loi du 4 germinal an 8, sous l'empire de laquelle a été contracté le mariage dont il s'agit dans cette affaire, il est facile de se convaincre qu'il etait loin de son intention que les époux pussent renoncer valablement, par leur contrat de mariage, à la liberté indefinie qu'elle leur accordait de se faire, lorsqu'ils n'avaient pas d'enfans, telles donations qu'ils jugeaient à propos.

» Quels pouvaient être les fondemens du systême qui, avant la loi du 17 nivòse an 2, tendait à valider la Renonciation des futurs époux à la faculté que certaines coutumes leur accordaient de s'avantager?

» Ce système ne pouvait pas être justifié par la seule considération de la faveur justement due au contrat de mariage : car, quelque favorable que le contrat de mariage fût alors, comme il l'est encore aujourd'hui, il ne pouvait pourtant pas valider la clause par laquelle un futur époux se serait interdit, soit la faculté de vendre son propre bien, soit celle d'en disposer au profit de toute personne capable, autre que son futur époux.

» Et pourquoi ne le pouvait-il pas ? Parceque, comme le dit la loi 61, D. de pactis, personne ne peut, par une convention faite avec un tiers qui n'y a point d'intérêt, se priver soimême de la libre disposition de son propre bien : Nemo paciscendo efficere potest ne, vicino invito, prædium alienet; parceque, dit Serieux, dans ses notes déjà citées sur Renusson, si la jurisprudence des arréts n'approuve pas qu'un conjoint qui se marie de suo, se fasse des propres de communauté qui aillent à faire retourner ce propre fictif à sa propre famille, à plus forte raison ne permettraitelle pas qu'il allat jusqu'à en faire un propre réel (un propre de disposition). Ce serait le cas où on pourrait presser ce principe de la loi 38, D. de pactis, au Digeste : JUS PUBLICUM

PRIVATORUM PACTIS MUTARI NON POTEST.

» L'opinion adoptée par les deux arrêts de 1640 et 1711, ne pouvait donc être justifiée que par ces deux considérations : l'une, qu'en renonçant à la faculté de s'avantager, les futurs époux ne faisaient, avant la loi du 17 nivóse

an 2, que se replacer dans les termes du droit commun qui prohibait les donations entre le mari et la femme, et que le retour au droit commun est toujours facile, facilis est reditus ad jus commune; l'autre, que l'on devait regarder d'un œil favorable la précaution par laquelle de futurs époux, en renonçant à la faculté de se faire aucun avantage singulier ou réciproque, se prémunissaient à l'avance contre les séductions ou les violences qu'ils auraient pu, dans la suite, exercer l'un envers l'autre pour dépouiller leurs héritiers presomptifs.

» Mais ces deux considérations ont été com

plétement neutralisées par la loi du 17 nivose

an 2.

» D'une part, en effet, la loi du 17 nivòse an 2, a érigé en droit commun, relativement à la faculté de s'avantager entre époux, ce qui n'était précédemment qu'une exception particulière à quelques coutumes; et par là, elle a fait tomber la première raison que l'on pouvait alléguer à l'appui des arrêts de 1640 et de 1711.

» De l'autre, en laissant aux époux une liberté indéfinie de s'avantager, elle a hautement condamné les motifs qui avaient porté les législateurs romains à priver les époux de cette liberté.

:

» Ces motifs, vous le savez, étaient de deux sortes la crainte qu'entraînés par un amour irréfléchi, les époux ne se dépouillassent mutuellement: Ne mutuo amore invicem spoliarentur, dit la loi 1re, D. de donationibus inter virum et uxorem; la crainte que le refus de l'un des époux de donner à l'autre, ne troublát leur union, et que, par ce moyen, la tranquillité n'en fût en quelque sorte vénale; quia sæpè futurum esset ut discuterentur ma. trimonia, si non donaret is qui posset; atque eá ratione venalitia essent matrimonia: ce sont les termes de la loi 2 du même titre.

» Assurément rien n'était plus moral que ces. deux motifs ; mais la foi du 17 nivóse an 2 les a rejetés; et qu'a-t-elle fait en les rejetant ? Elle a décidé elle-même qu'ils n'avaient à ses yeux aucun fondement; elle a décidé elle même qu'il n'est à craindre, ni que les époux se dépouillent l'un l'autre par l'impulsion de leur amour mutuel, ni que la tranquillité du mariage puisse être compromise par le refus que l'un pourrait faire à l'autre de l'avantager; elle a décidé elle-même, par une présomption juris et de jure, qu'il est impossible que des avantages entre époux soient l'effet, ou d'une passion aveugle, ou d'une violence plus ou moins caractérisée. Eh! comment, après cela, admettre l'homme et la femme qui se maricnt,

à prévoir que la fortune de l'un pourra un jour, sans sa volonté parfaitement libre, passer dans les mains de l'autre ? Comment les admettre à faire de cette prévoyance qui accuserait la loi, la base d'une convention matrimoniale? Comment les admettre à dire : la loi nous laisse une liberté nuisible; plus sages que la loi, nous renonçons d'avance à cette liberté?

» Ce que nous disons de la loi du 17 nivóse an 2, nous devons le dire, et à fortiori, du Code civil.

» A la vérité, l'art. 1387 du Code civil permet aux époux de faire, en se mariant, telles conventions qu'ils jugent à propos, pourvu qu'elle ne soient pas contraires aux bonnes

mœurs.

» Mais l'art. 1388 met à cette liberté une autre restriction: Les époux (porte-t-il) ne peuvent déroger aux dispositions prohibitives du présent Code.

»Or, il est aisé de reconnaître qu'il est dans l'esprit du Code civil de prohiber les conventions par lesquelles les époux renon. ceraient, en se mariant, à la faculté de s'avantager.

» D'abord, le Code civil admet, comme les lois romaines, le principe que nemo potest utiliter stipulari quod sua non interest: cela résulte de l'art. 1119, où il est dit qu'on ne peut, en général, s'engager ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même. Ainsi, sous le Code civil, comme sous les lois ro maines, il ne peut pas exister de stipulation, là où il n'existe point d'intérêt de la part de celui qui stipule. Or, quel intérêt pourraient avoir des époux à s'enchaîner d'avance par la Renonciation à une faculté aussi naturelle que l'est celle de s'avantager l'un l'autre ? Il est évident qu'ils n'en ont aucun, puisqu'aux termes de l'art. 1096, l'époux donateur demeure toujours le maître de révoquer les donations qu'il a faites à son époux.

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» En second lieu, l'art. 1130 porte qu'on ne peut faire aucune stipulation sur une succession non ouverte même avec le consentement de celui de la succession duquel il s'agit; et en combinant cette disposition avec l'art. 1082, il en résulte clairement qu'on peut bien, par contrat de mariage, disposer d'une succession future en faveur des époux qui se marient, mais que les époux eux-mêmes ne peuvent pas, en se mariant, disposer de leur succession à venir en faveur de personnes tier. ces. Or, que fait un époux, lorsqu'en se mariant, il renonce à la faculté d'avantager son époux, et d'être avantagé par lui ? Nous venons de voir que, par-là, il ne fait rien pour son propre intérêt; il n'a donc, il ne peut

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