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répugnance pour la noblesse, c'était un homme incapable d'une grande contention de tête, il était naturellement loyal et bon vivant. La nature ne

l'avait pas fait pour les premiers rôles: s'il eût

fait un autre mariage il eût été maréchal, duc; eût fait les campagnes de la grande armée, eût acquis une nouvelle gloire, et si sa destinée était de tomber sur le champ de bataille, il eût été frappé par un boulet russe, prussien ou autrichien; il ne devait pas mourir par un boulet français.

Au mois d'octobre 1813, lorsque plusieurs corps de l'armée française descendirent de Dresde vis-à-vis Wittemberg et passèrent l'Elbe, un courrier du quartier-général de l'armée de Bohême, se rendant en Angleterre fut intercepté, et tous les papiers de Moreau furent pris. Le général Rapatel, son aide-de-camp et son conpatriote, renvoyait à madame Moreau ses papiers; elle était très-bourboniste : elle lui reprochait dans toutes ses lettres son éloignement pour les Bourbons, son laisser-aller, ses préjugés révolutionnaires, son défaut d'intrigues, et lui donnait des conseils sur la manière dont il devait se faire valoir à la cour de Russie et d'Autriche. Moreau répondait à toutes: Vous-étes folle avec vos Bourbons.....- Au surplus vous

connaissez mes sentiments; quant à moi, je ne demande pas mieux de les aider, mais au fond de mon cœur, je vous assure que je crois cet ordre de choses fini à jamais, etc.

La première pensée de l'empereur fut de faire imprimer cette correspondance; mais il se reprochait d'avoir laissé exister des phrases dans un bulletin relatif à la mort de ce général: il lui semblait que des mots de regret qu'il avait prononcés en apprenant cette nouvelle, eussent dû être recueillis de préférence; il jugea inconvenant de troubler sa cendre en dévoilant des sentiments secrets écrits d'abandon à sa femme, et dans une correspondance confidentielle.

Moreau avait rendu des services, et avait de belles pages dans l'histoire de la guerre de la révolution: ses opinions politiques avaient toujours été fort sages, et quelquefois Napoléon a laissé percer des regrets de sa fin déplorable...« Ces femmes l'ont perdu! »

Note extraite de mémoires inédits. (Voy. pag. 46. )

Le premier consul avait tenu, dans le cabinet des grands appartement des Tuileries, le conseil des ministres qui étaient tous présents. Ce conseil venait de finir. L'huissier annouce le général Moreau qui paraît en chapeau rond, en rédingotte bleue, et une badine à la main. Le premier consul va an-devant de lui, l'embrasse, le félicite en peu de mots, et saisissant avec heaucoup de grace un à propos heureux, lui présente une paire de pistolets très-riches. Le général Moreau reste quelques instants en suspens, puis reçoit les pistolets avec une indifférence marquée et sans dire une parole. Son visage exprimait l'hésitation, l'embarras et une sorte de dédain qui n'échappa point à quelques-unes des personnes qui étaient présentes.

LETTRE

DE MOREAU A BARTHÉLEMI.

Le général en chef de l'armée de Rhin et Moselle, au citoyen Barthélemy, membre du directoire exécutif de la république française.

Au quartier-général, à Strasbourg, le 19 fructidor an V (5 septembre 1797).

CITOYEN DIRecteur,

Vous vous rappelez sûrement qu'à mon dernier voyage à Bâle, je vous instruisis qu'au passage du Rhin nous avions pris un fourgon au général Klinglin, contenant deux ou trois cents lettres de sa correspondance; celles de Wittersbach en faisaient partie, mais c'étaient les moins importantes. Beaucoup de lettres sont en chiffres; mais nous en avons trouvé la clef: on s'occupe à tout déchiffrer, ce qui est très-long. Personne n'y porte son vrai nom, de sorte que beaucoup de Français qui correspondent avec Klinglin, Condé, Wickam, d'Enghien et autres, sont difficiles à découvrir. Cependant nous avons de telles indications que plusieurs sont déja connus. J'étais décidé à ne donner aucune publicité

à cette correspondance; puisque la paix était présumable, il n'y avait plus de dangers pour la république, d'autant que cela ne ferait preuve que contre peu de monde, puisque personne n'est nommé. Mais voyant à la tête des partis, qui font maintenant tant de mal à notre pays, et jouissant d'une place éminente de la plus grande confiance, un homme très-compromis dans cette correspondance, et destiné à jouer un grand rôle dans le rappel du prétendant qu'elle avait pour but, j'ai cru devoir vous en instruire, pour que vous ne soyez pas dupe de son feint républicanisme, que vous puissiez faire éclairer ses démarches, et vous opposer aux coups funestes qu'il peut porter à notre pays, puisque la guerre civile ne peut qu'être le but de ses projets. Je vous avoue, citoyen directeur, qu'il m'en coûte beaucoup de vous instruire d'une telle trahison, d'autant plus que celui que je vous fais connaître a été mon ami, et le serait sûrement encore s'il ne m'était connu. Je veux parler du représentant du peuple Pichegru: il a été assez prudent pour ne rien écrire; il ne communiquait que verbalement avec ceux qui étaient chargés de la correspondance, qui faisaient part de ses projets, et recevaient ses réponses. Il est désigné sous plusieurs noms, en

tre autres celui de Baptiste. Un chef de brigade, nommé Badouville, lui était attaché et désigné sous le nom de Coco. Il était un des courriers dont il se servait ainsi que les autres correspondants: vous devez l'avoir vu assez fréquemment à Bâle. Leur grand mouvement devait s'opérer au commencement de la campagne de l'an IV: on comptait sur des revers à mon arrivée à l'armée, qui, mécontente d'être battue, devait redemander son ancien chef, qui, alors aurait agi d'après les circonstances et les avis qu'il aurait reçus. Il a dû recevoir neuf cents louis pour le voyage qu'il fit à Paris à l'époque de sa démission; de là vient naturellement son refus de l'ambassade de Suède. Je soupçonne la famille..... d'être dans cette intrigue. Il n'y a que la confiance que j'ai en votre patriotisme et votre sagesse qui m'a déterminé à vous donner cet avis; les preuves en sont plus claires que le jour, mais je doute qu'elles puissent être judiciaires. Je vous prie, citoyen directeur, de vouloir bien m'éclairer de vos avis sur une affaire aussi épineuse; vous me connaissez assez pour croire combien a dû me coûter cette confidence; il n'en a pas moins fallu que les dangers que court mon pays pour vous la faire. Ce secret est entre cinq personnes : les généraux Desaix, Reynier,

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