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de Lorraine et de Bar fit part de son avénement à toutes les cours. L'année suivante Montecuculli désigna pour le remplacer dans le commandement général de l'armée impériale ce jeune duc de Lorraine : celui-ci justifia le choix fait par Montecuculli, et reprit en 1676 Philisbourg, malgré la brave défense de Dufay, et en présence de l'armée française commandée par le duc de Luxembourg. La Lorraine, en ce temps, fut accablée de contributions, de passages de troupes: on confisqua les biens et on démolit les maisons de ceux dont les fils ou les maris étaient dans l'armée du duc de Lorraine.

En 1677 le duc Charles V s'empara du château de Dilling, de Sarrebruck et autres postes. Le maréchal de Créqui s'avança sur la Seille et y resta jusqu'au 8 juin. Le duc Charles était le 7 sur la côte de Delme, le 8,il passa la Seille vis-à-vis de Clémery. Ces deux généraux employèrent tout ce que l'art de la guerre peut fournir de ressources, Charles pour engager le combat, Créqui pour l'éviter, et tous deux pressés d'aller ailleurs: le maréchal échappa avec beaucoup d'habileté, et le duc rentra dans le pays de Trèves. Louis XIV était encore venu en Lorraine en 1678 avec la reine et toute la cour.

Le duc avait épousé à Neustad, dès le 6 février 1678, Eléonore-Marie-Josèphe d'Autriche, reine douairière de Pologne, fille de l'empereur Ferdinand III. La paix se fit à Nimègue, le 5 février 1679. Le roi de France avait offert de rendre la Lorraine à Charles, aux conditions du traité des Pyrénées et à l'exception de Nancy. Le duc Charles fit déclarer qu'il ne s'obligeait point à ces articles, ni n'entendait cependant être ennemi de la France, et moins encore du roi. Il réforma les régiments lorrains dont la réputation guerrière était si appréciée, et permit à ses officiers et aux gentilshommes de retourner dans leur pays, pour éviter la confiscation de leurs biens et le rasement de leurs maisons, moyens que Louis XIV employait pour détacher les Lorrains de la cause de leurs princes.

Le duc et la duchesse de Lorraine firent leur demeure à Inspruck où il leur naquit le 11 septembre 1679 un fils appelé Léopold-Joseph qui a régné en Lorraine.

Sur une requête présentée au conseil d'état par les évêques de Metz, Toul et Verdun, le roi, par arrêt du

30 octobre même année ordonna l'établissement d'une chambre composée d'officiers du parlement de Metz, pour prendre connaissance des usurpations et des aliénations des biens de ces trois églises. Le tribunal rendit en peu de temps beaucoup d'arrêts de réunion de villes, terres et seigneuries en Lorraine, soit au domaine royal, soit au temporel des trois évêchés.

Une déclaration du roi du 17 octobre 1680 ordonna que toutes les villes, communautés et vassaux médiats ou immédiats, ecclésiastiques et séculiers des trois évêchés, seraient tenus de faire les reprises, foi et hommage de ce qu'ils en tiennent, dans le délai de deux mois à peine de commise: et que le droit de parcours jusqu'aux écarts des clochers, aura lieu dans l'étendue desdits évéchés. Et à l'égard des seigneurs et autres qui prétendent avoir droit de vain pâturage et troupeau à part, qu'ils pourront jouir dudit droit, sans qu'ils puissent prétendre au delà du quart dudit vain pâturage, ni qu'il leur soit permis d'en abuser au préjudice et dommage des habitants des seigneuries où ils feront leur résidence.

On vit au commencement de décembre 1680 une comète d'une grandeur énorme. Elle fut aperçue pendant quatre mois entiers dans le ciel, et parcourut près de neuf signes en longitude; sa queue n'avait guère le 20 décembre que 20 degrés de longueur; en peu de temps elle s'accrut jusqu'à 60 degrés.

Louis XIV donna au mois de juillet 1680 des lettrespatentes en faveur des habitants de Hombourg et de Bitche qui les exemptaient des anciennes redevances seigneuriales, et qui permit de défricher les terres incultes : il établit des foires et des marchés dans ces deux villes.

La ville de Vaudreyange ou Valderfange qui avait été pendant longtemps comme la capitale de la Lorraine allemande fut détruite en 1680,et Louis XIV fit construire en sa place la ville de Sarrelouis dont la première pierre fut posée le 5 août de la même année.

François Guinet, célèbre avocat et homme de bien, né à Nancy y mourut en septembre 1681. Cet homme ilJustre fut vivement regretté. Vers ce temps là François de Raigecourt, grand voyer de Lorraine et Barrois, étant mort, le roi supprima son emploi.

La nuit du 11 au 12 mai 1682, à deux heures et demie après minuit, on ressentit dans toute la Lorraine un des plus grands tremblements de terre dont on eût mémoire jusqu'alors il se fit sentir principalement dans les montagnes des Vosges, et en particulier dans la ville de Remiremont. Les secousses continuèrent pendant plusieurs jours. Le roi donna le 31 juillet de la même année une déclaration contre les vagabonds appelés Bohémiens, leurs femmes et ceux qui leur donnaient retraite.

Le duc de Lorraine était alors en Hongrie où les rebelles avaient appelé les Tures. Le grand visir KaraMustapha avec une armée de plus de deux cent mille hommes assiégea la ville de Vienne. Le duc Charles se tint avec environ quarante mille hommes toujours trèsprès de l'armée ottomane, à laquelle il livra plusieurs combats qui retardaient les opérations du siége, et qui donnèrent le temps à Sobieski de venir avec les troupes polonaises. Ils firent ensemble lever le siége de Vienne le 12 septembre 1683, battirent encore les Turcs le 9 octobre, et emportèrent le fort de Barcan: Strigonie se rendit le 27 octobre. Le duc de Lorraine commanda seul en Hongrie les deux campagnes suivantes, et eut les succès qui lui acquirent une grande réputation militaire. Le pape et tous les princes de la chrétienté s'empressèrent de le féliciter d'avoir triomphé de la grandeur ottomane qui jusqu'alors avait menacé d'envahir l'Europe.

Louis XIV, par son édit de février 1685, supprima les bailliages établis par le duc de Lorraine, et par un autre édit en reconstitua un à Epinal. Ce fut en cette année que le roi révoqua l'édit de Nantes qui assurait en France l'état civil des protestants.

Le siége de Bude fut fait par le duc Charles et l'électeur de Bavière. Cette ville fut prise d'assaut le 2 septembre 1686, en présence de l'armée ottomane. L'aga des Janissaires échappé à la mort malgré lui dans ces combats sanglants, fut amené au duc de Lorraine et après s'être prosterné, il lui dit : « Grand et victorieux » capitaine, étant conduit par tes ordres en présence de » ta grandeur, trouve bon que je te dise, que te voyant > aujourd'hui plus heureux que tant d'empereurs, de rois et > de princes, à qui Dieu a refusé cette place pour la réserver

> à toi seul, tu dois être content de la grâce qu'il t'a faite, > et satisfait de toi-même. C'est pourquoi je crois que » tu n'abuseras pas du pouvoir qu'il t'a donné sur moi > et sur les autres esclaves qui sont ses créatures comme > toi. Je te demande de nous ôter plutôt la vie par le droit » que tu en as, que de nous rendre l'opprobre de tes gens.»

Les actes arbitraires de la fameuse chambre Royale de Metz avait réveillé tous les ennemis de la France: une déclaration du roi du 28 novembre 1686 la supprima. Les peuples goûtaient les fruits de la paix dont ils avaient si grand besoin; mais elle dura peu et la guerre ayant recommencé entre les mêmes puissances, le duc de Lorraine vint commander sur le Rhin. On fit les siéges des places de Mayence et de Bonn: la première capitula le 8 septembre 1689 et la seconde se rendit le 12 octobre. Ces deux siéges fameux tant par la défense que par l'attaque furent les derniers exploits du duc de Lorraine. La mort l'arrêta au moment où il venait demander compte à Louis XIV de ses états héréditaires, et des maux affreux faits aux peuples de la Lorraine. L'empereur l'ayant prié d'aller à Vienne, il partit d'Inspruck et fut arrêté le 17 avril 1690 par une indisposition à Velz, petite ville au midi de Lintz; il y mourut le lendemain, après avoir écrit deux lettres fort courtes, l'une à la reineduchesse, son épouse, où il lui donnait les dernières marques de sa tendresse, lui recommandait leurs enfants et les domestiques, et l'autre à l'empereur pour lui recommander la duchesse et ses enfants à qui il ne laissait que son épée et des sujets opprimés. Son corps fut porté à Inspruck d'où on le transféra à Nancy au tombeau de ses pères, le 19 avril 1700.

Les victoires de Charles V en Hongrie l'ont immortalisé les médailles, l'histoire, la peinture, les belles estampes gravées par Sébastien-le-Clerc sur les dessins de Chassel, les transmettront à la postérité. Le prince était appelé dans tous les conseils de l'empereur où il a toujours montré un esprit sage et profond: à l'armée il s'était montré chef prévoyant, actif, capable des plus habiles conceptions: dans la vie privée, prince modeste, vertueux, humain, il était l'objet du respect et de la vénération des peuples qui l'approchaient. Ce prince était bien

fait de corps, et sa physionomie était noble et majestueuse. Lorsque Louis XIV apprit sa mort, il rendit hommage à sa mémoire en disant ces simples mots : « Je viens de > perdre le plus sage et le plus généreux de mes ennemis.>> Ce prince estimait beaucoup la bravoure des militaires lorrains, ses compatriotes. A l'armée voici le jugement. qu'il en portait. « Il ne faut jamais mêler des étrangers > parmi les Lorrains, s'ils ne le demandent eux-mêmes, > cette nation étant jalouse de sa bravoure et préséance tant > à attaquer qu'à se défendre. »

Le prince Charles eut de son mariage avec Éléonore-Marie d'Autriche, reine de Pologne, plusieurs enfants dont l'aîné, le prince Léopold, fut Duc de Lorraine et de Bar.

Les gentilshommes du pays de Lorraine, les ministres du prince, les principaux magistrats étaient restés avec Charles V et suivaient sa fortune. Des Lorrains se distinguèrent pendant les quinze années qu'il eut le titre de Duc de Lorraine, entre autres: François Riguet, Gabrielle > Roze de Mitry; Charles Herbel, Nicolas Renard, > Mathieu Petit-Didier, Jean-Joseph Petit-Didier, Nicolas > de Bar dit le Nicolet. >

La maison de Sublet s'établit en ce temps en Lorraine et s'allia à la maison de Lesnoncourt.

Le 17° siècle, dont une partie fut si désastreuse pour la Lorraine, offre cependant sur la fin, quelques circonstances dignes de remarque, touchant le démembrement toujours croissant de la grande propriété, l'agriculture et le commerce du pays.

A l'occasion des guerres, les seigneurs aliénèrent beaucoup de leurs biens, ou furent contraints de les donner à cens ou à rentes. Pour repeupler des villages abandonnés, des étrangers furent appelés, et il leur fut concédé, outre la terre, diverses immunités et exemptions temporaires de tailles: cependant les droits seigneuriaux étaient réservés aux propriétaires directs. On abandonna aussi aux gens de guerre, titrés ou non titrés de vastes domaines à charge de les rétablir et de les faire valoir. C'est ainsi que le domaine de la roture allait se fortifiant de jour en jour : nous le verrons dans le siècle suivant arriver au pair avec celui seigneurial, mais tendre toujours à se morceler et, se subdiviser par l'égalité des partages et les ventes successives.

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