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78 hectares de prairies naturelles. Les 92 chevaux, 10 bœufs et 50 vaches laitières que cette commune possède, ne peuvent produire que 528 voitures de fumier, quantité suffisante pour engraisser seulement 35 hectares sur les 170 qu'elle ensemence annuellement en froment. Le fumier des 50 porcs qu'elle élève ne suffit pas non plus pour les petites cultures exceptionnelles. Hablainville a évidemment trop de terres en culture, et insuffisance marquée de prairies. Pour parer à ce déficit, cette commune a été une des premières, depuis 1791, a s'emparer de la ressource des fourrages artificiels, comme trèfles, lupuline, vesces; mais tout le monde sait aujourd'hui que trop souvent cette ressource manque, soit par les froids de l'hiver, soit par les sécheresses de l'été. Elle a attribué à la surexcitation qu'à produite sur son sol, le plâtrage des prairies artificielles, le déficit qu'elle éprouve dans la production du froment; mais la véritable raison est l'insuffisance marquée de ses engrais. Cette commune est arrivée par l'expérience à comprendre que dans les terrains argilo-calcaires, les trèfles ou minettes doivent être défrichés après la première coupe, pour ne pas nuire aux labours préparatoires, ni aux semailles d'au

tomne.

Voici maintenant un exemple de ce que peut produire en engrais le gros bétail, élevé dans des conditions plus favorables. Jolivet, près Lunéville, dans la zôné des marnes irisées, a 137 feux, 358 hectares de terres arables sur lesquelles il existe une assez grande quantité de luzernes et sainfoins; 136 hectares de prairies, outre des pâtis, et 21 hectares de vignes. Cette commune a 15 charrues desservies par 78 chevaux et 12 bœufs; elle nourrit 130 vaches laitières, en raison de l'avantage qu'elle a de placer le lait à Lunéville. Ces 220 têtes d'animaux, nourris aux pâturages une partie de l'année, ne peuvent produire au plus que 880 voitures de fumier, quantité qui n'atteint même pas celle nécessaire pour engraisser la moitié des 180 hectares que les cultivateurs emblavent annuellement; et cependant on estime que, quelle que soit la fertilité naturelle des argiles marneuses, pour l'entretenir, il faudrait au moins arriver annuellement à cette proportion. Cette commune nourrit aussi beaucoup de porcs, mais elle a

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beaucoup de petites cultures exceptionnelles qui en absorbent les fumiers.

Pour dernier point de comparaison, nous prendrons Haussonville, canton de Bayon, situé également dans les marnes irisées. Cette commune se trouve placée dans les mêmes conditions que la plupart des communes des terrains du lias et du grand plateau des terrains jurassiques qui terminent le pays à l'occident. La commune de Haussonville a 115 feux; elle cultive 689 hectares de terres avec 15 charrues et ne possède que 71 hectares de prairies, auxquelles il faut ajouter des pâtis. Toutefois cette excessive quantité de terres est diminuée d'une quantité assez considérable de prairies artificielles permanentes, comme luzernes et sainfoins. Les 93 chevaux, 12 bœufs et 68 vaches laitières que cette commune nourrit, ne produisent tout au plus que 692 voitures de fumier, qui à peine peuvent engraisser 50 hectares sur les 200 qui sont emblavés annuellement; encore une partie de ces engrais est soustraite aux grandes cultures pour être placée dans les vignobles étendus de cette commune.

Cette disproportion entre la quantité d'engrais fournis par les animaux de trait et le gros bétail, et celle qui serait nécessaire pour entretenir la fertilité du sol argilo-calcaire qui forme plus des trois quarts de celui cultivé en Lorraine, est trop évidente pour être démontrée par d'autres calculs. La religion de l'administration a donc été trompée par la promesse qu'inconsidérément l'école théorique lui a faite, que dans tous les cas et sur tous les sols, de quelque nature qu'ils soient, le développement de l'élève du gros bétail viendrait combler le déficit amené par la ruine totale du régime pastoral. Nous répèterons de nouveau que cette disproportion ne peut disparaître et l'équilibre se rétablir que par le repeuplement des bergeries. Ce sont les bergeries et non les marcaireries, qui peuvent exister avec avantage sur le sol sec et peu abondant en pâturages des plateaux argilo-calcaires, et qui seules peuvent fournir les engrais nécessaires pour assurer la production des froments. C'est une vérité qu'a démontrée l'expérience de Roville, et dont nos cultivateurs sentent la justesse également. Aujourd'hui, ils témoignent le regret, que dans le bouleversement de l'ancienne économie du sol, on n'ait

plus laissé de place pour la bête ovine qui, dans la ferme des plateaux, se contente de peu et produit beaucoup. Nos fermes les mieux tenues et les plus prospères sont encore celles qui peuvent entretenir des troupeaux particuliers.

Si la présence des troupeaux de bêtes ovines, sur les grandes cultures des plateaux, est une nécessité impérieuse, il est urgent de les reformer et de remettre en vigueur les lois qui ont pourvu à leur entretien, autant néanmoins que l'état actuel de la propriété communale et celle privée peut le permettre. Nous allons résumer les lois et principes anciens et modernes sur les pâtures, et établir les bases du règlement que l'autorité municipale a le pouvoir de formuler, pour en régler l'exercice. Principes pour l'établissement des règlements de pátures.

1o La loi consacre que tout propriétaire ou exploitant est libre d'avoir chez lui telle quantité et telle espèce de troupeaux qu'il croit utiles à la culture et à l'exploitation des terres et de les y faire pâturer exclusivement, sauf l'effet des réserves relativement à la servitude du parcours et de la vaine pâture.

2o L'édit des clôtures de 1767, donné à la Lorraine, le code rural de 1791, le code civil et les conseils de tous les bons agronomes avaient convié les populations agricoles de nos pays à réunir leurs héritages et à les enclore, pour arriver à l'application du principe ci-dessus posé; que chacun ne doit faire pâturer le bétail que sur son propre terrain; mais, depuis 1791, un principe contraire a prévalu, celui du morcellement et de la division des propriétés. Il y a donc nécessité aujourd'hui, peut-être plus que par le passé, de souffrir l'exercice du droit du parcours et de la vaine pâture. Ce droit serait supprimé, qu'il se rétablirait par le fait, et à titre de tolérance, comme dans les pays de droit écrit, à travers nos propriétés ouvertes, divisées, enchevêtrées, et serfs les unes des autres, tant pour l'ordre des cultures que pour le pâturage. Inutilement aussi, on avait espéré que les populations renonceraient à la ressource des pâtures pour l'alimentation des troupeaux. Comme par le passé, elles ont foi à ce mode économique, et lorsqu'il arrive, comme aujourd'hui, que les cultures excessives et les défrichements ne laissent plus de pâturages, les troupeaux disparaissent, et il n'est plus

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entretenu à l'étable que les animaux domestiques absolument indispensables aux cultures.

3o La servitude du parcours des troupeaux, à l'écart de clocher à clocher, c'est-à-dire dans l'espace compris entre deux communes limitrophes, reconnue par les coutu→ mes de Lorraine, a été maintenue provisoirement par la loi de 1791; et quoique mal comprise aujourd'hui, néanmoins elle ne peut être supprimée dans nos pays. On ne peut refuser à un propriétaire ou exploitant de conduire son troupeau sur les propriétés qu'il possède sur le territoire immédiatement voisin à celui qu'il habite ; d'ailleurs la loi l'y autorise formellement. Nos lois anciennes défendent aux troupeaux de transfiner. On ne comprend pas assez la valeur de ce mot aujourd'hui : un troupeau ne transfine pas en pâturant sur le territoire qui joint celui de son gîte; mais il transfine en sautant sur le territoire au delà. Ainsi, le troupeau de Jolivet transfinerait, s'il sautait de la pointe nord du territoire de Lunéville sur celui de Deuxville.

4° La servitude de vaine pâture, accompagnée ou non du droit de parcours, ne peut exister que dans les pays où elle est fondée sur les lois et usages anciens, mais à charge qu'elle ne sera exercée que conformément aux règles et usages locaux qui ne contrarient pas le droit de leve clore, ni celui d'ensemencer son terrain, soit de prairies artificielles, ou toute autre récolte. Le droit de vaine pâture, qui n'est autre que celui de pâturer sur le terrain d'autrui après la première ou seconde récolte, est, dans nos pays, une servitude légale, consacrée par les anciennes lois de la communauté de paroisse, et qui résulte d'ailleurs, comme nous l'avons observé, de la constitution particulière de la propriété privée sur la frontière est de la France. L'exercice de ce droit n'a jamais été de rigueur dans les petites cultures de la région montagneuse, ni des vallées, où, depuis plus de 150 ans, les versaines étaient chargées de plantes légumineuses. Il ne s'exerçait guère que sur les communaux, sur les prairies, après la première ou seconde faux, et sur les chaumes. Dans les pays de petites cultures, aujourd'hui, la vaine pâture n'a plus lieu que sur les chaumes, et les temps seraient arrivés d'en clore définitivement l'exercice, si l'enchevêtrement et la

división des propriétés n'y apportaient obstacle. Les choses ne sont pas changées à ce point dans les grandes cultares des plateaux argilo-calcaires : ici l'ordre ancien des cultures est encore marqué, et les prairies artificielles ne peuvent y être tellement multipliées, qu'avec quelques précautions, les pâtures ne puissent être utilisées au profit des troupeaux. D'après les lois, règles et usages de nos pays, auxquels la loi de 1791 n'a pas entendu déroger, les troupeaux exercent le droit de vaine pâture sur les terres, après les récoltes; sur celles où il n'y a aucune semence ni fruits; sur les prairies, après la première ou seconde faux, et au plus tard depuis les regains jusqu'au 25 mars ; sur les terres friches, les chemins, les haies et les buissons, et généralement sur toutes les propriétés ouvertes qui n'ont ni fossés, haies ou murailles, ni apparence de clôture ou défense. D'après les lois anciennes, dont le bénéfice n'a pas été rapporté par le code forestier, les troupeaux de gros bétail, réunis sous la garde d'un berger, ont droit de pâturer dans les bois communaux, reconnus défensables, ainsi que dans les bois du Domaine, grevés de droits d'usage non contestés ; cette ressource est précieuse et doit être invoquée dans les années de disette de fourrages.

5o D'après les lois et usages de notre pays, les troupeaux de gros et petit bétail ont le droit exclusif à la dépaissance des pâquis et autres communaux. Si ce bénéfice ne résulte pas de la lettre des coutumes, il ressort de l'expresse ordonnance des princes. C'était la ressource indispensable pour l'entretien des troupeaux, aux différentes époques de l'année où les pâtures sur la propriété privée manquent. Les communaux en Lorraine avaient la destination qu'ont encore aujourd'hui les herbages étendus que l'esprit de prévoyance a conservés intacts dans l'ouest et dans le nord de la France, et généralement dans tous les pays où l'on se souvient de cet axiôme vrai : Que sans pâturages il n'y a point de troupeaux, et que sans troupeaux il n'y a point de bonne agriculture. Au XVIe siècle, époque déjà de défrichements inconsidérés et de cultures hors de proportion avec le bétail qui se trouvait dans le pays, un instant les communautés de paroisses s'étaient licenciées d'enlever les communaux aux troupeaux

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