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les domestiques attachés à la maison du prince, les bourgeois des villes, bourgs, ou maisons privilégiées ou affranchies, ou enfin qui avaient obtenu expresse immunité. Les non francs étaient ceux qui étaient restés sujets et attenus envers leurs seigneurs aux charges, prestations et servitudes accoutumées, tant réelles que personnelles, selon l'ancienne condition de leurs personnes, nature et qualité des biens par eux tenus et possédés, lieux de leur naissance ou demeurance. A l'égard des non francs telle était encore la rigueur du texte de la coutume; mais depuis longtemps la religion en avait adouci l'application : la maxime qu'il n'y a pas de serfs en la chrétienté, nisi ratione bonorum, qu'en raison des biens, était religieusement observée par les seigneurs. En sorte que l'homme non franc devenait libre en renonçant aux biens et à la demeurance du lieu serf.

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Au XVIe siècle, beaucoup de biens étaient sortis du domaine primitif des seigneurs, qui avaient engagé ou aliéné beaucoup de propriétés, pour satisfaire à leurs devoirs envers le prince. Il existait beaucoup de gagnages francs, et au village presque tous les habitants tenaient de petites propriétés à charge de cens, rentes, ou par emphytéose. C'est à cette même époque que la concession du domaine utile se faisait par empbytéose, à charge de bâtir et de défricher.

On reconnaissait en Lorraine, au xvI° siècle : les fiefs seigneuriaux, devant foi et hommage et des services honnêtes au prince; les seigneuries de franc-alloud exemptes de foi, hommage et des aides généraux ; les gagnages des maisons affranchies, espèces de fiefs, obligés plus tard de satisfaire aux aides généraux et de répondre à la justice des seigneurs du lieu de leur situation; les biens de l'Eglise, ou de main-morte, déjà les plus considérables à cette époque; les bois, pâquis, et autres usages abandonnés aux communautés de paroisse; enfin, les petits biens des particuliers.

Avant la réformation définitive des coutumes en 1599, le prince avait été obligé, par diverses ordonnances des années 1560, 1569, 1571, 1576, 1577, 1597 et 1599, de pourvoir à la bonne administration et conservation des

biens et usages des églises et des communautés. Celle du 28 juillet 1560. jette un grand jour sur le mode de conversion des droits usagers concédés primitivement aux communautés, en ceux de pleine propriété et jouissance. Cette ordonnance règle l'étendue de bois que doit avoir chaque communauté du ressort de la gruerie de Châtelsur-Moselle. Voici comment le prince s'exprime dans les motifs de cette ordonnance :

Comme nous ayons advisé, donner et mettre ordre ès bois et forêts de la grurie de la terre et seigneurie dudit Chatel, lesquels par trop grande licence et liberté et le mauvais ménage de ceux qui se disaient avoir droit d'usage et affouage et vain paturage ès dits bois, sont tellement en ruine, que nous aujourd'hui propriétaires d'iceux, ne pourraient tirer aucuns profits de la propriété ni vente d'iceux, et à ce moyen ayant conclud pour la conservation desdits bois, d'accommoder les usagiers de quelques portions d'iceux, pour en user comme bons pères de famille, et pour ce faire, les avons fait appeller, pour entendre sur ce leur vouloir et intention; lesquels, après avoir reconnu par ci-devant qu'ils avaient mésusés ès dits bois, ont volontairement et pour ci-après faire et tirer profit d'iceux, condescendu et accordé de prendre les parts et portions que ci-après sont déclarées, pourvu toutefois que nous leur en ferions abonnement, etc.

Vient ensuite l'ordre du prince aux gruyers de faire délivrer à vingt-trois communes, 2,177 arpents de bois. On voit aussi dans cette ordonnance, une autre origine des bois communaux. Le prince rappelle que le village de Saint-Boing a droit à cent jours qu'il lui a donnés par ascensement, à raison de trois gros le jour.

Par l'ordonnance de 1569, donnée à la postulation des états-généraux, le prince défend aux communautés de ses pays, terres et seigneuries, de vendre, aliéner, engager, ni aucunement hypothéquer aucuns bois, pâquis, usages et biens communaux, sous peine de réunion d'iceux à son domaine.

Enfin, les lois rurales de la Lorraine, à la postulation des états, furent définitivement fixées et réglées en 1599. Il est essentiel que nous les revoyions, parce que plusieurs dispositions de ces coutumes, notamment celles

qui concernent les pàtures, sont encore en vigueur aujourd'hui.

Au titre des bois, forêts, rivières, pâturages, pâquis et autres usages communaux, etc., les coutumes de 1599 établissent en droit que,

D'usage commun, les habitans, en divers villages, desquels les bans et finages sont joignans, peuvent par droit de parcours, régulièrement envoyer les troupeaux de leurs bêtes pâturer et champoyer ès lieux de vaine pâture,à l'écart de clocher à clocher. Mais ne peuvent aller ou envoyer en lieu, où pour aller ou envoyer il soit de nécessité au bétail de passer du lieu de sa gîte sur un ban ou finage moyen au leur, et à celui auquel ils prétendent passer, que l'on dit en terme commun transfiner. Vaine pâture s'entend en chemins, prairies dépouillées après la première ou seconde faulx; terres en friches, bois, et autres héritages non ensemencez et ouverts, excepté en tems que par coutume et usage des lieux, ils sont en défense; et que en quel tems et saison que ce soit, on ne doit faire vain pàturer les porcs ès dites prairies ny ès lieux où il n'y a vaine pàture d'ancienneté. En vignes, indistinctement, n'y a et n'échet usage de pâture,ainsi en tout tems sont toutes bètes y reprises. Les prés sont en défense, depuis la Notre-Dame en mars, jusques après la faulx. Le tems de paisson et de grainer ès fonts, bois de haute futaye et taillis, dure depuis la fête de Notre-Dame de septembre jusqu'au jour de saint André, et le recours, depuis la saint André jusqu'à la saint George. Le bois taillis est en défense jusqu'à ce que le rejet sort de cinq feuilles. On ne peut mettre ban aux fruits des arbres assis en lieu ou champs ouverts; mais le ban rompa, les fruits sauvages sont communs à tous les habitans du ban indifféremment. En quelle saison que ce soit, on ne doit charroyer par prez, à peine, etc. Usagers ayant droit de prendre bois de marronage pour leurs bâtimens, ou bois pour leurs affouages ou fournages, doivent user de ce droit en bons pères de famille, et le prendre par assignal, selon le règlement qui leur en sera donné par le seigneur haut justicier entre ses sujets, ou le seigneur foncier entre ceux qui tiennent bois en usage de lui par ascensement, redevance ou reconnaissance suffisante. Et sera le règlement tel que l'usager usera de bois mort, ou mort bois, avant tous autres. Communautez ayant bois, pâquis, terres, et autres choses communiales, à eux appartenantes, ne peuvent les vendre, donner, échanger, ou autrement aliéner, ny changer leur nature, sans l'aveu et le consentement du seigneur haut justicier, à peine de nullité de telles aliénations et de confiscations des choses aliénées ou changées. Les communautés ny les particuliers d'icelles ne peuvent vendre ou louer

leurs embannies, ny autrement en user, que pour leur propre usage à la nourriture de leur bétail, et de celui qu'ils tiennent à laix, communément dit à hôte. Ceux qui ont droit de tenir troupeau part, ne peuvent vendre leur vain pâturage, pour y mettre autre troupeau que le leur propre. Le seigneur, ayant droit de tenir troupeau à part, le peut admodier avec la terre; mais ils ne peuvent vendre le vain pâturage, pour y mettre autre troupeau que le sien propre, ou celui de son admodiateur. Arbres sauvages fruitiers, en ban et lieu non fermé, ne peuvent être coupés sans la permission du seigneur haut justicier.

Telles sont les dispositions des anciennes lois rurales qu'il nous est indispensable de connaître, si nous voulons apprécier l'économie de l'ancien système des pâtures. Il nous reste maintenant à vous faire connaître les cultures et le mode d'exploitation dans lequel étaient retenus les admodiateurs et laboureurs de cette époque. Il est facile de recomposer le ban ou finage de la communauté au XVIe siècle, puisque dans beaucoup de lieux la division en est encore aujourd'hui la même. Sur la terre de Lorraine, trop souvent le champ de bataille obligé des querelles de la France et de l'empire, jamais les habitations des laboureurs n'ont pu s'établir au centre des cultures, excepté néanmoins dans quelques lieux écartés de de la montagne, toujours elles se sont élevées et serrées autour et sous la protection des églises et des châteaux forts, centre d'un ban considérable. Les petites propriétés, comme les meix, jardins fruitiers, chènevières, attachées aux habitations, seules pouvaient et devaient être closes : dans les petites propriétés la dime était insolite. Au dehors du village des terres de l'admodiation du seigneur, les mêmes qui avaient composé l'exploitation de la villa des Romains, s'étendaient en grandes pièces, dites corvées en mémoire des temps du servage, et à la suite de celles-ci venaient les terres d'ascensement ou d'essarts des autres propriétaires, divisées en parcelles, et tendant déjà à cette époque à s'enchevêtrer les unes dans les autres : c'était la suite nécessaire des partages et des aliénations. Toutes les terres arables, et on ne cultivait que les meilleures en ce temps-là, étaient divisées et maintenues en trois saisons réglées, sans pouvoir en désaisonner, tant pour faciliter la

perception des dimes, que pour ne pas entraver le parcours des troupeaux des communautés après la levée des récoltes. Le cours des moissons était triennal et invariable, et avait pour objet la production des blés hivernaux et des marsages: c'était sur les grains que le prélèvement des dîmes avait lieu, alors que les terres y étaient sujettes. Le fond des vallons et tous les lieux humides étaient maintenus en pâturages et prairies naturelles : ces prairies naturelles étaient considérables alors, car à un gagnage de trente paires, on attachait soixante fauchées de prés. On remarque dans ce temps là les mêmes abus que nous avons eus sous les yeux, de nos jours des gens avides admodiaient près des communautés des pâquis et autres communaux, qu'ils déchiraient et ruinaient bientôt par des récoltes successives. Le grand duc Charles, dans la vue de la conservation du bétail si nécessaire aux peuples de ses pays et à l'agriculture, ordonna, à différentes reprises, que ces biens, seraient remis dans leur premier état : il attribuait la prospérité des cultures à l'abondance du bétail et des troupeaux, et il avait raison. Les terrains incultes du ban que les communautés avaient conquis par l'usage sur le domaine seigneurial étaient également laissés en pâturages. On remarquait en ce temps épars dans la campagne de nombreux bouquets d'arbres à fruit, noyers, poiriers et autres qui abritaient les troupeaux dans les temps de chaleur, ou en cas d'orage. Les forêts couronnaient toutes les sommités des plateaux, protégeaient et abritaient les terrains en pentes : cependant les grands défrichements opérés dans ce siècle et que le prince vainement a voulu arrêter ont déjà tendu dès ce moment à déranger cette économie. Les forêts encore si considérables en Lorraine, à cette époque appartenaient, soit au prince, soit aux seigneurs civils ou ecclésiastiques, et aux communautés de paroisse : les simples particuliers n'en possédaient pas encore.

Nous avons vu que de toute antiquité, la vigne avait été plantée au pays de Lorraine sur les côtes bien exposées, mais seulement là où la charrue ne pouvait passer : reléguée dans des lieux abruptes, cette culture était un véritable bienfait, comme au pays de France, puisqu'elle

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