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Examinons les diverses combinaisons que la pratique a pu suggérer, et qui ont trouvé place dans le droit conventionnel.

Lorsqu'on étudie successivement, à ce point de vue spécial, les diverses conventions conclues par la France, on est bientôt conduit à les diviser en trois groupes, et à distinguer, dans leur histoire, trois époques, que sépare un mouvement caractéristique de la doctrine.

L'une de ces périodes s'étend de 1828 à 1854; l'autre, partant de 1851, s'arrête à 1868; la troisième a commencé en 1868, et se poursuit à l'heure où ce livre paraît.

Dans chacune des deux premières périodes, se remarque un certain nombre de traités, dans lesquels ne figure aucune mention relative à l'arrestation provisoire. Faut-il conclure du silence des textes que, sous l'empire de ces conventions, un prévenu n'aura jamais été mis en état de détention provisoire, avant que son extradition eût été réclamée? Non, sans doute. L'arrestation provisoire est, dans bien des cas, comme on l'a vu, une condition essentielle de l'efficacité des traités d'extradition. Aussi les Puissances intéressées ont-elles dû suppléer, dans la pratique, aux lacunes des conventions. Bien qu'aucune preuve ne puisse être apportée, la nature des choses permet d'affirmer que, dans des cas graves et urgents, les autorités respectives auront, sous leur propre responsabilité, donné suite à des requêtes d'arrestation. Mais, en l'absence de stipulations expresses, la mesure a dû conserver un caractère exceptionnel et facultatif.

Dans cet état de choses, l'attention doit se porter uniquement sur les conventions qui ont cherché, par une clause spéciale, à régler cette question délicate.

Sur 29 traités, négociés de 1828 à 1854, onze seulement contiennent une disposition relative à l'arrestation provisoire. En voici la liste, par ordre chronologique : ce sont les traités conclus avec la Belgique (1834), le Mecklembourg-Schwérin (1847), le Mecklembourg-Strélitz (1847), l'Oldenbourg (1847), Brême (1847), Hambourg (1848), la Saxe-Royale (1850), la Hesse-Electorale (1852), le Wurtemberg (1853), Francfort (1853), le landgraviat de Hesse (1853).

Dans les conventions qui viennent d'être citées, à l'exception de trois, sur lesquelles nous reviendrons, l'arrestation provisoire est réglée d'une manière identique, et présente deux caractères essentiels: 1o elle est obligatoire, c'est-à-dire que le gouvernement

requis est tenu de l'ordonner, lorsque les diverses conditions de fond et de forme se trouvent remplies; 2° elle n'est accordée que sur le vu d'unmandat d'arrêt, produit par le gouvernement requérant.

Voici la formule le plus ordinairement employée pour énoncer ces prescriptions:

« Chacun des deux gouvernements contractants pourra, sur l'exhibition d'un mandat d'arrêt décerné par l'autorité compétente, demander à l'autre l'arrestation provisoire du prévenu ou du condamné dont il réclamera l'extradition. Cette arrestation ne sera accordée et n'aura lieu que suivant les règles prescrites par la législation du pays auquel elle sera demandée. L'étranger ainsi arrêté provisoirement sera remis en liberté, si, dans les trois mois, la production des pièces mentionnées dans l'article n'a pas eu lieu de la part du gouvernement qui réclame l'extradition. »

.....

Un instant de réflexion suffit pour montrer que cette clause est loin d'être satisfaisante.

Obligatoire, l'arrestation provisoire ne présente plus, sans doute, les inconvénients que la théorie pure y reconnaît, lorsqu'elle est abandonnée à la décision arbitraire d'une autorité judiciaire ou administrative; mais, d'un autre côté, elle ne peut être accordée que sur l'exhibition d'un mandat d'arrêt produit par voie diplomatique.

Le texte dit, en effet: » Chacun des deux gouvernements pourra, sur l'exhibition... etc. »; c'est donc le gouvernement qui doit présenter la requête, et non un simple magistrat: or, le gou vernement, n'a, pour une telle démarche, qu'une voie naturelle et officielle, la voie diplomatique.

La demande d'arrestation se trouve, dès lors, soumise à ces transmissions successives, que nous avons eu déjà l'occasion d'énumérer, et, par suite, à des causes de retard, qui, dans les cas urgents, en font disparaître l'efficacité.

On se demande même quel avantage réel peut offrir l'insertion d'une semblable clause? L'étude attentive des traités, dans lesquels felle figure, et le rapprochement de ceux qui ne la renferment pas, donnent la réponse à cette question. Cette clause n'aurait, en effet, qu'une utilité bien minime, si, aux termes des traités qui la contiennent, l'extradition pouvait être obtenue sur la simple production d'un mandat d'arrêt; il arriverait alors rarement qu'un gouvernement s'attardât à réclamer

l'arrestation provisoire d'un prévenu, puisqu'il serait en mesure de requérir l'extradition mème, sans plus de formalités. Mais, d'après ces conventions, le mandat d'arrêt ne suffit pas pour obtenir l'extradition; il faut un arrêt de condamnation ou un arrêt de mise en accusation. Dès lors, l'utilité de la clause en question devient évidente. Au moment où la présence d'un prévenu est signalée dans un pays voisin, l'instruction est, le plus souvent, à peine commencée; plusieurs semaines s'écouleront peut-être, avant qu'un arrêt de mise en accusation puisse être rendu. Il y a donc intérêt à décerner un mandat d'arrêt, et à obtenir immédiatement l'arrestation provisoire du fugitif, qui sera ainsi forcé d'attendre, sous les verroux, l'accomplissement des formalités nécessaires pour la demande régulière d'extradition. L'avantage de la disposition est relatif, et tient aux conditions, plus rigoureuses, imposées à l'ex tradition par les traités qui renferment cette clause.

Il convient, cependant, pour être exact, de noter que trois de ces conventions permettent d'obtenir l'extradition, sur la production du mandat d'arrêt : ce sont les traités conclus avec la Saxe, le Wurtemberg et le landgraviat de Hesse.

On voit plus difficilement l'intérêt que peut présenter, sous l'empire de ces dernières conventions, une clause qui soumet l'arrestation provisoire aux mêmes conditions que l'extradition elle-même. Remarquons pourtant qu'elle donne à la justice du pays, où le crime a été commis, le temps d'achever l'instruction, et au gouvernement de ce pays le temps de décider, sans craindre la fuite du prévenu, si les faits sont assez graves, si l'intérêt social est assez grand pour justifier une requête d'extradition. Toutefois, on ne saurait se dissimuler que cette raison laisse prise à la critique, attendu qu'un mandat d'arrêt n'est pas décerné sans de fortes présomptions et comme mesure conservatoire. Il faut donc avouer que l'arrestation provisoire, soumise à la production d'un mandat d'arrêt, ne présente une incontestable utilité que dans les conventions qui exigent, pour l'extradition, la production d'un arrêt de condamnation ou de mise en accusation.

Les dix-huit autres conventions d'extradition, conclues de 1828 à 1854, ne contiennent aucune mention relative à l'arrestation provisoire. Toutes, d'ailleurs, permettent d'obtenir l'extradition sur l'exhibition du mandat d'arrêt, ce qui suffirait, jusqu'à un certain point, pour expliquer l'abstention des plénipotentiaires.

En 1854, le droit conventionnel fait un pas nouveau. Une convention d'extradition, conclue, le 11 avril de cette année, entre la France et la principauté de Lippe, pose en principe, que l'arrestation provisoire d'un prévenu peut être demandée avant la production de toute pièce judiciaire. Il y a lieu de remarquer immédiatement, que, d'après cette convention, l'exhibition d'un mandat d'arrêt suffit pour obtenir l'extradition. Aussi ne sera-t-on pas étonné du caractère nouveau que présente l'arrestation provisoire: elle est facultative, c'est-à-dire, que le gouvernement requis n'est pas tenu de l'ordonner sur la demande du gouvernement requérant.

Voici la teneur de la clause:

<< Chacun des deux gouvernements pourra, dès avant la production du mandat d'arrêt, demander l'arrestation immédiate et provisoire de l'accusé ou du condamné, laquelle demeurera néanmoins facultative pour l'autre gouvernement.

« Lorsque l'arrestation provisoire aura été accordée, le mandat d'arrêt devra être transmis dans le délai de deux mois. >>

Cette disposition marque un progrès réel sur le droit antérieur. La demande d'arrestation pourra passer plus rapidement, du magistrat chargé de la poursuite, au gouvernement du pays où le prévenu est réfugié. Elle devra, sans doute, être transmise par la voie diplomatique; car le texte dit encore: « Chacun des deux gouvernements pourra demander..., etc. » Mais, n'étant plus nécessairement accompagnée de la pièce judiciaire qui retardait sa marche, elle franchira, au besoin par voie télégraphique, les diverses étapes qui marquent sa route, pour arriver à destination dans un délai très-court. Les conditions de célérité, qui ne se rencontraient pas précédemment, se trouvent ainsi réalisées.

Demandons-nous, cependant, si ce résultat n'est pas atteint aux dépens de l'efficacité même de la mesure. L'arrestation, en effet, demeure facultative pour le gouvernement auquel elle est demandée, et l'on ne pouvait songer à la rendre obligatoire, en l'absence du mandat d'arrêt. La requête n'est-elle pas exposée à être souvent rejetée? Après une traversée plus rapide, ne va-t-elle pas trouver le naufrage au port? Ces appréhensions perdent de leur gravité, pour qui se rend un compte exact de la situation. La décision n'est pas à la merci d'un magistrat, effrayé par une lourde responsabilité. La demande est présentée par un gouvernement à

un autre gouvernement, qui va se trouver, en partie, couvert par le caractère officiel qu'elle emprunte à la voie diplomatique. Il y a donc là un assez grave motif de penser que, en l'absence de circonstances exceptionnelles, la Puissance requise se refusera rarerement à donner suite à l'affaire.

La clause, dont nous venons d'indiquer la portée et les avantages, figure dans le plus grand nombre des traités d'extradition conclus par la France de 1834 à 1868. Durant cette période, neuf conventions nouvelles ont été signées. (Dans ce nombre, nous comprenons la convention avec la principauté de Monaco, relative à l'union douanière, qui décide que l'extradition aura lieu entre les deux pays, conformément aux dispositions du traité de 1838 entre la France et la Sardaigne.) Voici la liste de celles qui reproduisent, dans sa teneur même ou dans son essence, la clause qui vient d'être étudiée: traités avec Lippe (1854), Waldeck et Pyrmont (1854), le Hanovre (1855), Parme (1856), les États pontificaux (1859) et le Chili (1860).

D'après toutes ces conventions, la production du mandat d'arrêt suffit pour obtenir l'extradition.

Il faut ajouter que, la disposition nouvelle se trouve consacrée par un acte additionnel à la convention de 1844, conclu, le 2 août 1860, entre la France et les Pays-Bas. Il y a seulement une différence de détail, relative au délai fixé pour la détention provisoire.

Notons, enfin, que, dans la convention conclue avec le Chili, la durée de la détention provisoire a été portée à six mois. La distance qui sépare les deux pays explique suffisamment la longueur exceptionnelle de ce délai.

La solution de 1854 ne devait pas être le dernier mot sur la question. On vient de reconnaitre, en effet, qu'elle ne défie pas la critique. Si, d'une part, le caractère facultatif imposé à l'arrestation provisoire laisse à l'une des parties une latitude nécessaire, d'une autre part, il présente cet inconvénient d'exposer l'issue des poursuites à des éventualités regrettables. L'accueil réservé à la demande dépend entièrement du gouvernement requis. En fait, la décision sera, le plus souvent, favorable. Mais, par exception, elle peut être influencée par la position ou par la nationalité du prévenu, par l'état des relations politiques entre les deux pays, par une appréciation erronée de la nature des poursuites, par cent autres circonstances qu'il est inutile de spécifier. Il y

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