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tempestive, peut-être, et que nous ne partageons pas tous: ce n'était ni convenable, ni adroit, ni utile à ton parti. Tout ce que nous pouvons, c'est de demander qu'une poignée d'hommes ne se mette pas au lieu et place de la nation, d'exiger qu'on consulte le vœu national légalement émis. Il me donna en même temps l'article qui parut sous ce titre dans le numéro du 2 août, et que je vais transcrire :

«DU VOEU NATIONAL LÉGALEMENT ÉMIS.>>

« Je crois connaître les sentimens de tous nos «< confrères de la Tribune. Ils ont prouvé qu'ils comptaient la vie pour rien, dès qu'il s'agissait « d'humanité et de patrie. Toutefois, avec les mêmes « SENTIMENS, on peut différer dans les vues. Je n'impose les miennes à personne; mais l'hon«neur, mais le devoir exige que je les expose « comme miennes.

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«Dans les graves questions qui s'agitent, que « faut-il ? Remonter d'abord aux principes. En prin«cipe, d'où vient le pouvoir de quatre cent trente Français élus? Des quatre-vingt mille Français « qui les élisent. Et le pouvoir, je veux dire la force «et le droit de ces quatre-vingt-mille électeurs, << quelle est sa source, non exprimée, mais réelle? « C'est la force, c'est le droit de trente-deux mil«lions de citoyens, ce sont les droits de la nation

«et c'est la force nationale. On trouve donc que, «dans la forme donnée à notre gouvernement en « 1814, comme dans toutes les autres, il est du <«moins supposé, par la fiction représentative, <«que, suivant la maxime universelle, l'axiome de « tous les publicistes accrédités : La Loi doit étre «<l'expression de la volonté générale.

«Si la volonté générale doit se reconnaître dans <<< la Loi, combien ne faut-il pas plus encore qu'elle << se trouve et se montre, dans tout ce qui tient « à la constitution, loi des lois?—Un grand nom«<bre de nos députés, ou, si l'on veut, de nos « élus, ont signé, il y a quinze ans, une déclara<«tion qui porte: «Le gouvernement de la France «doit réunir le vœu de la majorité légalement « émis.... » Ce qu'ils déclaraient alors, n'est-ce pas « ce qu'ils peuvent faire de plus juste, de plus «sage, et de seul légitime?

<<< Les circonstances l'exigent comme les princi«pes, et l'extérieur comme l'intérieur. D'un côté, pour qu'on craigne et respecte une nation, il «faut qu'on la voie susceptible de tout hasarder « pour un gouvernement qu'elle peut être appelée «à défendre et n'a-t-on pas vu l'enthousiasme « des peuples environner, au jour du danger, toute << forme de gouvernement qu'ils ont pu croire s'être <<< donnée ?

«Ce qu'on aurait dû faire toujours, importe

« surtout aujourd'hui, que l'héroïsme et le sang « du peuple ont tout conquis pour tout sauver. Il << vient d'arracher à une proscription imminente la plupart des anciens et des nouveaux élus : vou«draient-ils fermer l'oreille à la voix de leurs libé<< rateurs? Voudraient-ils se montrer sourds au cri « de ce sang qui les sauve ou les délivre? Non; ce << monstrueux pouvoir constituant que les citoyens «ont brisé dans la main royale, ne peut passer «dans aucune autre main. S'il était offert à la «Chambre des députés, dont les pouvoirs ne << sont pas encore vérifiés, elle le repousserait, «n'en doutons pas, avec une noble et généreuse << terreur. Il faudra donc en revenir au vœu na«tional légalement émis. C'est le seul cri de salut « et d'honneur, après les grandes mais terribles «journées du 27, du 28 et du 29 juillet. Ceux qui «ne le croiront pas peuvent me combattre avec «bonne foi, sans cesser d'être à mes yeux de bons citoyens; mais je leur demande franchement la «même permission que je leur accorde. »

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Cet avis, si sage, si conciliant, le seul évidem ment utile, évidemment juste, fut repoussé. Le 5 août nous disions dans la Tribune: «Le peuple "de Paris a tout fait, et cependant il ne prétend «s'arroger aucun droit; il demande seulement que la France entière soit consultée. Quelques «députés, quelques pairs, qui n'ont rien fait,

<< viennent imposer silence aux vainqueurs, re«pousser le noble appel que la victoire faisait à la « volonté nationale, et nommés, les uns par quatre-vingt mille privilégiés, les autres par les agens « du roi vaincu, ils nous disent: Nous sommes la « France. »

qua

Certes, il y avait dans cette conduite de quoi nous exaspérer. Que fìmes-nous cependant alors? La Tribune déclara-t-elle une guerre à mort au nouveau gouvernement? Se répandit-elle en injures contre celui qu'on en avait fait le chef? Loin de là, elle rendit hommage à toutes les lités que les amis de ce chef lui attribuaient; elle donna le plus loyalement du monde les conseils les plus capables d'affermir ce nouveau gouvernement. Seulement les principaux rédacteurs se promirent bien de n'y prendre aucune part. Lorsqu'un des trois personnages les plus puissans alors me demanda, le gou le 10 août, de voir parmi les places et de choisir ce que je voudrais, et que je répondis par le monosyllabe rien, Victorin approuva cette réponse, et fit la même pour lui. Il était peut-être plus indigné que moi de la servilité de cette Opposition tant vantée, envers laquelle on m'avait accusé d'être injuste, et qui se montrait encore plus déplorable que je n'aurais pu le croire mais son âme était trop grande pour ne contenir que l'indignation

qui remplissait la mienne; il y avait toujours place pour cette justice calme et bienveillante qui. scrute les motifs et discerne avec soin l'entraînement de la perfidie. Presque tous les jours j'allais chez lui avant de me rendre à mon journal. Au lieu de lui parler de sa santé, je ne l'entretenais que de politique, et je me livrais, sans craindre de le fatiguer, à toute mon exaspération. Presque toujours j'en sortais plus calme; et bien des gens qui ont eu envers lui des torts odieux ne sauront jamais toutes les obligations qu'ils lui ont, car il ne s'agissait pas toujours d'articles; les hommes de juillet ont eu, au moins pendant deux mois, d'autres armes que la plume.

On a dit de lui: «Si jamais homme ne porta « plus loin l'attachement invariable à la liberté << et l'amour des sacrifices qu'elle impose, jamais «homme ne fut aussi scrupuleux sur les moyens «de l'établir, ne poussa plus loin le culte de « l'humanité, le respect religieux de tous les « droits (1). » Cette remarque est si parfaitement juste, qu'elle a dû être faite par tous ceux qui l'ont connu. Ses immenses méditations politiques n'avaient fait que confirmer, que fortifier en lui cet instinct de bonté, de générosité, de franchise, qui formait la base de son caractère.

(1) Voyez la France littéraire, livraison d'avril 1832.

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