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nous faire des lois. Chaque année ces deux législatures s'attaquent à notre Code civil et en changent les dispositions. Si on n'y prend garde, et si on continue ainsi tous les ans à déchirer les feuilles de ce livre, il ne restera bientôt plus grand'chose du volume où les savants codificateurs avaient fort heureusement résumé le corps de notre droit. Tous les hommes sérieux regrettent cet état de choses; mais il sera inévitable avec notre système de gouvernement, tant que la législature n'aura pas elle-même mis le Code à l'abri des fantaisies législatives et hors de l'atteinte des députés curieux d'améliorer le droit romain ou de perfectionner les doctrines de Pothier.

J'avais signalé ce danger dès 1865, alors que les rapports des codificateurs, livrés au public, provoquaient certaines discussions.* Je n'aurais jamais cru que les faits seraient venus si tôt me donner raison.

Voici ce que je disais dans un article de la Revue Canadienne, dans lequel je parlais précisément du danger qu'il y a de voir notre Code civil devenir la proie des amendements intempestifs :

"Les codificateurs ont eu soin de faire dans le dernier cahier de leur projet quelques suggestions importantes destinées à remédier, s'il est possible, à cet état de choses. Nous craignons que leur proposition, sans du reste obtenir le but qu'ils ont en vue, ne tende à modifier considérablement le cadre des opérations de notre législature. Voici ce qu'ils disent :

"Néanmoins...... il est à désirer qu'après que ce Code aura obtenu force de loi, la législature se garde soigneusement et soit circonspecte à l'égard de toute innovation qu'elle serait appelée à y faire. Le Code a pour objet de répondre en termes exprès ou par implication légale à toutes les questions qui tombent dans la vaste étendue des sujets dont il traite. Il compose un système dont toutes les parties sont rattachées les unes aux autres avec soin, et toute législation par pièce, faite dans la vue de quelque changement particulier, peut affecter sérieusement d'autres parties de l'ouvrage que l'on ne voulait pas toucher, et conduire à un désordre et à une confusion considérable et imprévue.

"Pour exprimer plus correctement leurs vues relativement au mode de procéder en matière d'amendements et d'additions qui pourraient être faits plus tard, qu'il soit permis aux commissaires de soumettre les observations qui suivent:

"Les imperfections du Code doivent résulter soit d'omissions out de l'insertion de règles de droit incommodes ou nuisibles, soit de fausse interprétation de la loi, ou de son expression incertaine. Ces imperfections ressortiront principalement de la difficulté qu'on éprouvera dans l'interprétation judiciaire et dans l'application de

Voir la Revue Canadienne, t. II, p. 34.

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la loi; les tribunaux supérieurs devraient donc être astreints à faire au gouvernement des rapports spéciaux de toutes les causes dans lesquelles telle difficulté manifeste existe, et l'autorité compétente sera par là mise en état de juger si la loi est véritablement imparfaite ou susceptible d'objection au point de requérir l'action de la législature sur le sujet.

"Lorsque des amendements sont jugés nécessaires, ils ne doivent pas être faits en détail, mais au moyen d'une révision périodique et par un seul statut préparé sous le contrôle du gouvernement, et ils doivent, comme règle générale, être restreints aux sujets contenus dans les rapports spéciaux, considérant que la législation basée sur l'expérience est plus sûre et plus durable que lorsqu'elle ne se fonde que sur des idées spéculatives.

"En adoptant ce mode ou quelque autre équivalent, le Code deviendra graduellement et sûrement de plus en plus complet, et ainsi les inconvénients résultant de décisions judiciaires en contradiction les unes avec les autres, et l'interprétation divergente des commentateurs, qu'on ne pourra éviter entièrement, seront considérablement diminuées." *

Assurément les vœux et les conseils des honorables codificateurs ont été bien peu respectés. Ils ne l'ont pas été du tout. C'est un grand malheur que j'ai entendu déplorer par nos hommes de loi les plus distingués, et que j'ai tenu à signaler au commencement de ce livre.

Je n'ai pas la prétention d'espérer que ma faible voix atteindra ceux qui peuvent arrêter cet abus; mais je n'ai pas voulu laisser passer, sans en profiter, l'occasion de rappeler à mes concitoyens et aux hommes politiques les sages conseils que nous donnaient, il y a quinze ans, trois hommes aussi éminents que les Hon. MM. Caron, Day et Morin.

Quoi qu'il en soit, telle est la situation; et comme l'ignorance de la loi n'excuse pas, c'est peut-être travailler au bien du pays que de faciliter l'étude d'une législation déjà un peu confuse, et en condenser les dispositions variées dans un cadre étroit. Tel a été mon but. L'ai-je complètement atteint? Non, sans doute. Cependant ce livre est un premier pas dans cette voie, et cela suffit pour me donner le droit de solliciter pour ce travail le sympathique encouragement du public.

Montréal, 4 octobre 1879.

E. LEF. DE BELLEFEUILLE.

* Septième Rapport, p. 51.

PRÉFACE.

M. de Bellefeuille a été le premier, lors de la promulgation du Code civil du Bas-Canada, à en publier une édition utile et surtout excessivement commode pour l'usage habituel des hommes de profession.

Cette première édition était précédée d'un résumé des changements les plus importants que le Code avait fait subir à la loi antérieure.

Le texte en était accompagné de renvois aux sources qui ont servi de base au travail des Commissaires chargés de préparer le Code, telles qu'ils les ont indiquées dans les différents rapports qui ont été soumis à la législature.

La rapidité avec laquelle cette première édition a été épuisée témoigne de l'utilité de l'ouvrage.

Treize années se sont écoulées depuis que cette première édition a été livrée au public.

Le Code venait alors de recevoir la sanction de la législature.

Les Commissaires avaient dû, dans une très courte période de temps, coordonner toutes les règles découlant des diverses sources qui formaient le corps du droit en force au pays et indiquer les changements qu'ils croyaient nécessaires pour satisfaire les besoins nouveaux de notre état social. Leur travail a été adopté, à peu d'exceptions près, à la suite d'une

discussion rapide et assez superficielle dans un des bureaux de l'Assemblée Législative d'alors.

Il n'est pas étonnant que ce Code, qui apportait des changements notables à toutes les principales parties du droit en force jusqu'alors, ait donné prise à la critique; ni que l'on ait éprouvé certaines difficultés dans l'application de ses règles à l'immense variété d'affaires contentieuses qui affectent l'état et la condition des personnes, dans leurs rapports entr'elles ou avec la propriété.

Je n'ai pas ici à me prononcer sur le résultat de cette épreuve. Qu'il me suffise de dire que, nonobstant des lacunes assez graves, mais que l'on doit considérer comme inévitables lorsque l'on songe à la tâche difficile que les Commissaires avaient à remplir, le Code avec ses imperfections a été d'un avantage immense en donnant des règles certaines sur un grand nombre de questions dont la solution était douteuse, sinon impossible, et en faisant disparaître de nos lois un grand nombre de dispositions qui n'étaient plus en harmonie avec les idées maintenant reçues.

Pendant ces treize dernières années, les tribunaux ont été appelés à faire l'application de la plupart des règles consignées dans le Code, et à interpréter et déterminer le sens et la portée d'un grand nombre de ses articles.

La législature a aussi, pendant cette période, fait plusieurs changements importants.

L'on ne peut pas dire que la jurisprudence soit encore fixée sur la plupart des dispositions du Code, ni

que la législature ait dit son dernier mot sur les changements à y faire; mais déjà il y a un commencement de jurisprudence. D'un autre côté, les modifications que le Code a subies sont assez nombreuses.

Il est important de pouvoir les connaître sans être obligé de recourir aux recueils d'arrêts et aux nombreux statuts dans lesquels cette jurisprudence et ces changements sont consignés.

C'est sous ces circonstances qu'a été commencée la publication d'une seconde édition du Code.

Cette fois-ci l'auteur ne s'est pas contenté d'en donner le texte et d'indiquer les sources d'où il découle. Mais, suivant en cela la méthode adoptée par Gilbert et d'autres annotateurs du Code Napoléon, il a voulu ajouter les modifications qui y ont été faites, ainsi que les décisions des tribunaux qui se rattachent à chaque article.

Pour rendre cette publication encore plus complète, l'auteur a compulsé non seulement les décisions rendues depuis le Code, mais encore toutes celles qui avaient été recueillies avant. Il en a même rappelé un bon nombre que l'on chercherait en vain dans les différents recueils de décisions judiciaires publiés dans le pays.

Ce procédé a l'avantage de faire comprendre sans recherches quels sont les changements que le Code et les lois qui l'ont modifié ont fait subir aux lois antérieures, et de faire connaître et le texte de la loi et la manière dont les tribunaux l'ont interprété.

L'utilité d'un pareil travail est depuis longtemps reconnu en France où les codes annotés de Sirey, de Rogron, de Teulet, d'Auvilliers, jouissent d'une vogue méritée.

Le travail que M. de Bellefeuille livre aujourd'hui au public n'a besoin que d'être connu pour être favorablement apprécié

J'ai eu l'avantage, grâce à l'obligeance des éditeurs, d'en suivre les progrès et de voir chacune de ses parties

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