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damnait un fidèle à une peine soit afflictive, soit pécuniaire. La condamnation à des dommages-intérêts par un supérieur ecclésiastique contre un prêtre subordonné, tout aussi bien que la condamnation à une peine, constituerait aussi une usurpation sur les tribunaux de droit commun.

Des plaintes d'abus ont été dirigées, par des libraireséditeurs, contre les décisions d'évêques qui avaient refusé de laisser mettre la mention de la permission épiscopale, sur toute autre édition du livre de prières que celle qui était faite par l'éditeur de l'évêché. Les plaignants alléguaient qu'ils avaient offert de faire surveiller l'édition par un prêtre, au choix de l'évêque, et que cette circonstance faisait du refus un procédé purement arbitraire. Dans quelques-unes de ces affaires, il était prouvé que l'évêque avait cédé l'approbation épiscopale moyennant une somme d'argent et s'était engagé, par une clause formelle du traité, à refuser son approbation à tout autre éditeur. Ainsi, disaient les plaignants, l'évêque a converti abusivement un droit de haute censure épiscopale en une véritable propriété littéraire. Mais ces recours devaient être rejetés; car le décret du 7 germinal an XIII confère aux évêques un pouvoir d'approbation discrétionnaire qui, par sa nature même, exclut la discussion et le recours pour abus. Est-ce à dire pour cela que les éditeurs ne peuvent pas imprimer et que le décret de l'an XIII a créé une espèce de propriété littéraire au profit des évêques? Nullement; les éditeurs pourront publier les heures et livres de prières du diocèse, mentionner même que leur édition est conforme à celle qui a été publiée par

l'éditeur de l'évêché; mais ce qu'ils ne pourront pas usurper, ce sont les mots : «Vu et permis d'imprimer par Mgr l'évêque de..... » Cette mention serait punie des peines de la contrefaçon, si elle était inscrite sans l'autorisation de l'évêque. Comme le défaut de permission n'empêche pas l'impression, les éditeurs se plaignaient donc à tort, et le Conseil d'État a toujours avec raison repoussé leurs réclamations; car les demandeurs ne pouvaient pas invoquer un droit violé, mais seulement l'absence d'un avantage plus grand.

2° La contravention aux lois et règlements. Tout excès de pouvoir est une contravention aux lois et rè glements; mais la réciproque n'est pas exacte, une contravention aux lois pouvant être commise dans l'exercice normal d'une fonction. Ainsi lorsqu'un tribunal, en jugeant un procès, fait une mauvaise application de la loi, il commet une contravention à la loi quoiqu'il n'excède pas ses pouvoirs.

Comme exemple de contravention aux règlements dans la matière qui nous occupe, nous citerons le fait de conduire une procession dans les rues contrairement à un arrêté prohibitif du pouvoir municipal, ou encore d'exiger des droits supérieurs au chiffre du tarif arrêté par l'évêque, pour l'administration des sacrements.

La contravention aux lois pourrait être ou un délit prévu par la loi pénale, ou simplement une atteinte répressible par voie disciplinaire. Dans le dernier cas, le Conseil d'État se borne à déclarer qu'il y a eu abus, c'est-à-dire à blâmer le fait qui lui est déféré; dans le premier, il peut ou faire simplement la déclaration

d'abus ou renvoyer devant les tribunaux criminels, en autorisant la poursuite. S'il permet de poursuivre, le Conseil d'État doit s'abstenir de déclarer l'abus, pour ne pas établir dans l'affaire un préjugé qui pourrait gêner la défense de l'accusé.

Le plaignant pourrait-il porter son action directement devant les tribunaux sans s'adresser au Conseil d'État, ou bien l'appel comme d'abus est-il un préalable administratif pour les faits prévus par la loi pénale? On est d'accord pour reconnaître que l'article 75 de la constitution du 22 frimaire an VIII n'est pas applicable aux ministres du culte, parce que les ecclésiastiques ne sont pas des agents du Gouvernement et que la garantie de l'art. 75 ne couvre que les agents du Gouvernement, c'est-à-dire les fonctionnaires qui sont dépositaires d'une partie de la puissance publique. Cet article écarté, la question est de savoir si l'art. 8 de la loi organique du 18 germinal an X a créé un préalable administratif analogue à celui qui résulte de la constitution consulaire et si, par conséquent, la poursuite contre les ministres des cultes doit nécessairement être précédée d'un recours pour abus. Jusqu'à ces derniers temps la jurisprudence du Conseil d'État et celle de la Cour de cassation avaient été d'accord pour reconnaître que le ministre du culte ne pouvait être poursuivi que sur le renvoi ordonné par les juges de l'appel comme d'abus. Aucune distinction n'était d'ailleurs faite par cette jurisprudence entre l'action du ministère public et celle des particuliers. Un arrêt récent de la Cour de cassation a, au contraire, décidé qu'il y avait lieu de dis

tinguer entre l'action du ministère public et celle des particuliers. D'après cette nouvelle doctrine, le procureur impérial aurait le droit de citer directement les ministres du culte devant les tribunaux ordinaires, tandis que les particuliers ne pourraient les poursuivre qu'en vertu du renvoi ordonné par le Conseil d'État. La raison qui a fait établir la distinction tient à ce que les actions téméraires ne sont pas à redouter de la part du ministère public, tandis qu'on pourrait craindre les haines et les poursuites vexatoires des particuliers1.

A notre avis, la jurisprudence a dépassé l'interprétation de la loi et empiété sur les attributions du législateur. Aucun texte ne donne au recours pour abus le caractère de préalable administratif, et cependant, pour créer un privilége aussi considérable, une disposition formelle aurait été nécessaire. L'art. 8 de la la loi du 18 germinal an X dit, à la vérité, que le Conseil d'État termine l'affaire administrativement par une déclaration d'abus ou qu'il renvoie devant les tribunaux ordinaires. Cela s'explique aisément; l'article suppose que le Conseil d'État est saisi, et qu'après avoir examiné, il opte entre les deux partis. Mais si la disposition implique que le Conseil a été saisi, elle n'exige pas formellement qu'on le saisisse. Supposer ou rappeler n'est pas disposer. Sans examiner la question d'opportunité et de convenance, nous nous nous bornons à dire que la loi n'exige pas la condition créée

1 Arrêt de la Cour de cassation du 5 juillet 1861, aff. Lhémeaux.- La jurisprudence du Conseil d'Etat est toujours ce qu'elle était antérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation; elle exige l'autorisation dans tous les cas, que l'action soit intentée par le ministère public ou par la partie civile. (V. entre plusieurs ordonnances celle du 27 août 1839.)

par la jurisprudence. Surtout nous repoussons comme arbitraire la distinction admise par le dernier arrêt de la Cour de cassation; à cette doctrine mixte manque même le fragile argument tiré du texte de l'art. 8 de la loi organique.

Pour que la contravention aux lois constitue un fait d'abus, il faut non-seulement qu'il ait été commis dans l'exercice des fonctions ecclésiastiques, mais encore qu'il soit inséparable de la fonction elle-même. Ainsi le ministre du culte qui aurait frappé un enfant pendant le catéchisme pourrait être poursuivi directement devant les tribunaux, parce que le délit est, en ce cas, essentiellement distinct de la fonction ecclésiastique'. Au contraire, le fait d'injurier en chaire est un délit inséparable de la prédication; car, si le prêtre peut injurier hors de l'église, comme toute autre personne, l'injure avec la gravité particulière que lui donne la réunion des fidèles et l'autorité du prêtre est inséparable de la fonction ecclésiastique.

3° Contravention aux canons reçus en France. Le cas le plus important où se présente ce fait abusif, est la violation des formes prescrites, dans les canons de l'Église, pour prononcer la peine de la déposition contre un titulaire de bénéfice inamovible ou de l'interdiction à sacris contre un simple prêtre. Il est sans doute impossible de remplir aujourd'hui toutes les formalités qui étaient exigées par les canons; car, nous n'avons plus ni les anciens tribunaux ecclésiastiques ni les officiers qui étaient chargés d'instrumenter de

1 Arrêt de la Cour de Bordeaux, du 27 mars 1862.

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