Page images
PDF
EPUB

territoire étranger, des immeubles, tels que des hôtels d'ambassade ou des chapelles destinées à l'exercice du culte national (1). Et il vaut mieux penser, suivant nous qu'en agissant ainsi ils exercent un droit véritable, que de supposer une simple concession courtoise essentiellement révocable au gré des pouvoirs publics locaux. Dans le doute, en effet, on présume plutôt l'existence d'une situation régulière et légale que des faits exceptionnels, dérogatoires au droit commun.

III

Les groupements humains ont été, suivant les temps, plus ou moins considérables, plus ou moins compliqués. Le type en est la famille, sur laquelle se greffent la horde, le clan, la tribu et autres groupements similaires dont la réunion a formé la nation, généralisation des agglomérations secondaires. C'est la nation qui peut aujourd'hui être considérée, chez les peuples civilisés, comme le type classique du groupement humain réunissant un certain nombre d'individus sous les mêmes lois et le même pouvoir souverain chargé de les représenter au dedans et au dehors. La nation ou peuple représente l'agglomération des habitants d'un même pays soumis à un même régime politique (2).

(1) La France procède en ce moment à l'acquisition du palais Farnese devant servir à Rome à l'ambassade près le Quirinal.

(2) En nous servant du terme de nation, nous employons un vocabulaire déjà usité, qu'il est bien difficile d'omettre. Mais nous n'entendons point parler de la nation organisée suivant le principe des nationalités, c'est-à-dire groupant des individus de même race, de même langue, de même religion ou réunis dans des limites naturelles. Nous nous occuperons de ces points au chapi

Le rôle de la nation dans ses rapports avec l'Etat, du groupement déléguant le droit et le devoir de représentation au dedans et au dehors à la personnalité étatique qui l'accepte, a été envisagé de plusieurs façons par les publicistes (1). En France et dans beaucoup de pays, on paraît s'accorder pour distinguer la nation de l'Etat, pour voir dans chacun d'eux une entité distincte. C'est dans la nation que réside la souveraineté qualifiée pour ce motif de souveraineté nationale (2). La nation conserve en elle l'essence de la souveraineté et en délégue l'exercice à l'Etat, en sorte que, pratiquement, c'est ce dernier qui exerce la souveraineté au nom de la nation. Il est remarquable que cette conception de la souveraineté nationale, qui semblait jusqu'ici cantonnée dans les pays unitaires, s'introduit également dans les Etats composés, même dans ceux où le droit divin du souverain semblait à l'abri de toute contestation, notamment la monarchie austro-hongroise (3).

tre III du présent livre. Il s'agit ici de la nation considérée comme réunion des ressortissants d'un même Etat, synonyme de peuple. (1) Conf. sur la distinction de l'Etat et de la nation, Piédelièvre, loc. cit., 1, p. 66, § 75.

(2) Esmein, loc. cit., p. 1. Rousseau, dans le Contrat social, L. III, ch. V, oppose très nettement la personnalité de la nation à celle du gouvernement. Cette idée est restée prépondérante dans le droit public français. M. Esmein fait observer, avec raison, que le principe de la souveraineté nationale proclamé par la Révolution française a été pris pour base par toutes les constitutions postérieures, sauf par celle de 1814, et a fait à peu près le tour du monde. Loc. cit., p. 171.

(3) En décembre 1903, dans une conférence tenue entre le parti hongrois de l'indépendance, dont le chef est François Kossuth, et le premier ministre, comte Tisza, a été acceptée une déclaration formelle ratifiée par la Diète, aux termes de laquelle il était expressement affirmé que : « Tous les droits souverains de la cou

La nation reprend l'exercice des attributs de la souveraineté dans des circonstances exceptionnelles. Au point de vue interne, il en est ainsi lorsqu'il s'agit, par exemple, de conférer le mandat législatif aux représentants du peuple, à des époques fixées par la constitution, de prendre l'initiative de certaines lois ou de les sanctionner dans les pays qui pratiquent le referendum populaire, de nommer le chef du pouvoir exécutif, le monarque ou d'autres dignitaires supérieurs là où fonctionne ce genre d'élection (1). A l'extérieur, la nation indépendante de l'Etat se manifeste dans les hypothèses où elle doit intervenir directement en vertu de la constitution ou du droit international, notamment pour l'approbation ou le rejet de traités plus importants que les autres, tels ceux de cession de territoire, si l'on admet la théorie du plébiscite international dont il sera question ci-après (Première partie, 1. II, ch. III).

A la nation-personne certains auteurs allemands préfèrent l'idée de la nation-organe; le peuple n'aurait pas de droits distincts de ceux de l'Etat ; la nation constituerait simplement un organe de l'Etat avec lequel elle se confondrait. Séparer, disent ces auteurs, la nation de l'Etat, en faire une personne titulaire de droits antérieurs

ronne émanent de la nation représentée par le Parlement ». Temps du 6 décembre 1903. Et, dans la même séance de la diète du 7 décembre 1903, en conformité des engagements pris, le premier ministre hongrois a fait la déclaration officielle suivante attendue impatiemment par le parti de l'indépendance: « En Hongrie, la source de tout droit, et, par conséquent, dans l'organisation de l'armée, la source du droit de déterminer la langue de commandement et du service, est la volonté de la nation, qui trouve son expression dans la législation ». Débats du 8 décembre 1903.

(1) Cpr. Esmein, Deux formes de gouvernement, dans la Revue du droit public, 1894, t. I, pp. 15 et s.

et supérieurs à ceux de l'Etat, c'est admettre qu'il peut y avoir dans cet Etat un dualisme qui serait en opposition avec la réalité des choses. La nation n'est donc point cette personnalité primordiale d'où l'Etat puise ses droits; bien au contraire, organe dans l'Etat, elle n'a aucun droit par elle-même et possède seulement ceux à elle accordés par la constitution (1).

Cette théorie de la nation organe est féconde en conséquences au point de vue du droit interne : elle substitue, par exemple, à la théorie française du mandat représentatif cette notion que les parlements ne sont que des organes de l'Etat, avec toutes les conséquences qui en découlent. Dans le système de la nation-personne, l'assemblée élue représente la volonté du pays, la souveraineté populaire; c'est la nation qui, suivant l'expression de Stuart Mill, « exerce le pouvoir supérieur par l'intermédiaire des députés qu'elle nomme périodiquement » (2). Avec la nation-organe, il n'y a pas de mandat possible, car le peuple, la nation n'étant pas une personne, ne sont pas titulaires de droits. Le parlement est donc, dans l'Etat, un organe ordinaire, soumis aux mêmes lois que les autres organes étatiques et investi seulement de la compétence que la constitution lui attribue, puisque les attributions des chambres électives n'auraient pas une origine et une nature différente de celles de tous les autres pouvoirs constitutionnels de l'Etat (3).

(4) Conf. Jellinek, Allgemeine Staatslehere, pp. 383 et s. (2. On representative government, ch. V.

(3) Orlando, Fondement de la représentation politique dans la Revue du droit public, t. III, 2e année, 1895, p. 22. Conf. le même auteur dans le sens de la doctrine qui repousse la théorie de la

L'idée de la nation-personne est, de l'avis même de ceux qui la repoussent, beaucoup plus simple et rationnelle que celle de la nation-organe (1). La raison suggère que le groupement social, sans lequel l'Etat ne se concevrait même pas, est le titulaire naturel de la souveraineté ; que, ne pouvant l'exercer lui-même, il confie cet exercice à des délégués qu'il croit dignes de son choix, sauf à les contrôler comme il convient et à reprendre l'exercice de la souveraineté dans les cas prévus par le pacte d'où la délégation tire son origine. Rien de plus simple que ce mécanisme, tandis que l'on conçoit, au contraire, assez difficilement la nation comme organe de l'Etat. L'Etat n'a pas pu se former tout seul, par une sorte de génération spontanée; il faut qu'il s'appuie sur une base, et cette base ne peut être que le groupement social pour le compte duquel il agit, c'est-à-dire la collectivité, le peuple, la nation. Comment, dès lors, supposer que la nation, nécessairement préexistante à l'Etat, puisse être envisagée comme un de ses organes ? C'est le renversement de toute logique que de voir dans la nation, d'où procède l'Etat, une simple institution d'Etat, alors qu'elle est, en réalité, la cause efficiente du

représentation, ibidem, pp. 1 et s. Cpr. Duguit, ouvrage précité, t. II, L'Etat, les gouvernants et les agents, p. 74. Remarquons que la théorie de la délégation des pouvoirs ne se lie pas forcément à l'idée de démocratie. Le peuple peut déléguer sa souveraineté aux représentants élus par le suffrage universel ou à un monarque absolu, responsable seulement devant l'assemblée populaire d'une façon plus théorique que pratique. Il peut encore déléguer ses pouvoirs à un corps privilégié. En un mot, le principe de la délégation se conçoit avec tous les systèmes politiques. Duguit, loc. cit., p. 59.

(1) Orlando, loc. cit., p. 4.

« PreviousContinue »