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une sorte d'Etat-tampon entre les deux Empires ou de co-protectorat (1), système qui, après avoir produit de bons effets, devint ensuite la cause de froissements continuels. C'était désormais du côté de l'Angleterre qu'allait s'orienter le Japon, qui devenait, du reste, de toules les façons, une grande puissance. Le 17 juillet 1899, en effet, entraient chez lui en vigueur les traités passés avec les Etats européens, en vertu desquels disparaissait le régime des capitulations; et désormais, comme dans les organisations politiques vraiment souveraines, les étrangers étaient soumis aux lois et à la justice locales. En même temps, le Japon continuait, sans trève, l'exécution du programme formidable de relèvement et d'augmentation de son armée et de sa flotte, programme qu'il avait élaboré depuis l'insuccès, au point de vue des acquisitions territoriales, de sa guerre avec la Chine. Il se mettait ainsi en état de prendre l'offensive et de se faire attribuer par la force sa part des dépouilles chinoises.

Les deux principaux rivaux en Extrême-Orient, la Russie et la Grande-Bretagne, ayant obtenu tout ce qu'ils pouvaient raisonnablement enlever à la Chine, ont senti le besoin de légitimer par un accord les situations acquises. Dans une note du 28 avril 1899, après avoir rappelé, pour la forme, le principe de l'intégrité de l'Empire du Milieu, ils ont exposé que, par rapport aux concessions de chemins de fer, ils éviteront de se gêner mutuellement, l'un en Mandchourie, l'autre dans la vallée du Yang-Tsé-Kiang. Le nom de sphère d'influence n'était pas prononcé dans l'accord anglo-russe, car, si la

(1) Un accord antérieur était déjà intervenu à Séoul, le 14 mai 1896, Mémorial diplomatique du 11 avril 1897, p. 227.

Russie était déjà assise en Mandchourie, l'Angleterre ne possédait que des droits très vagues dans la vallée du fleuve bleu.

Le Gouvernement chinois n'avait pas vu avec plaisir, on le conçoit, la formidable liste des exigences européennes allant toujours croissant. En conséquence, un fort mouvement nationaliste, secrètement favorisé par la Cour, se produisit contre l'envahissement des étrangers et aboutit, en 1900, au soulèvement des Boxers inauguré par l'assassinat du ministre allemand, baron Ketteler. Il fut réprimé par l'intervention de contingents pris dans les troupes des grandes puissances et commandés par le chef allemand Waldersée. Le 22 décembre 1900, une note collective des puissances, acceptée par la Cour de Pékin, a établi les bases du rétablissement de la paix, en donnant satisfaction complete aux intervenants. Les puissances ont également imposé à la diplomatie chinoise certains édits et résolutions relatifs, notamment, à la transformation du Tsung-li-Yamen et à la réforme du cérémonial de la réception des ministres étrangers (1).

Après le rétablissement des relations entre les puissances et la Chine, une nouvelle orientation dans la politique asiatique s'est produite, à la grande surprise des divers intéressés, par suite de la conclusion, pour une durée de cinq ans, d'un traité entre le Japon et l'Angleterre, à la date du 30 janvier 1902. L'article 2 précise que, si une guerre éclate entre l'un des deux contractants et une seule puissance, l'autre restera neutre; mais que, si un tiers vient à se si un tiers vient à se joindre aux hostili

(1) Memorial diplomatique du 21 juillet 1901, p. 458 et Livre jaune français publié a ce sujet.

tés dirigées contre l'allié déjà en lutte, l'autre allié devra prêter son aide et la paix ne sera conclue que d'un accord mutuel. Ce traité envisageait probablement l'éventualité d'une action commune de la Russie et de la France contre le Japon, à raison de l'alliance franco

russe.

Les deux puissances visées ont répondu par une déclaration du 20 mars 1902 où il est dit qu'elles se reconnaissent pleinement satisfaites de l'accord anglojaponais, tout en se réservant de prendre les mesures jugées nécessaires à la sauvegarde de leurs intérêts spéciaux en Extrême-Orient. La portée principale de la déclaration franco russe consistait en ce qu'il était hautement proclamé, pour la première fois, que l'alliance double ne s'étendait pas seulement à l'Europe, mais aussi, le cas échéant, à d'autres parties du monde, sansque cependant, en ce dernier cas, le casus fœderis se trouvât toujours réalisé, ainsi qu'on a pu s'en rendre compte par l'abstention de la France dans la guerre russo-japonaise.

C'est au commencement de l'année 1904 qu'a éclaté celte guerre absolument imprévue, car on croyait généralement que les deux puissances finiraient par se mettre d'accord sur la base de concessions mutuelles, en Corée pour le Japon et en Mandchourie pour la Russie. Le Japon qui, en réalité, se préparait à la lutte depuis qu'on l'avait écarté du partage de la Chine, a donné pour prétexte que le voisinage de la Russie en Mandchourie constituait une perpétuelle atteinte à sa sécurité (1).

(1) Conf., sur les origines du conflit russo-japonais, un article de M. le consul Halot, paru dans la Revue de droit intern. et de législation comp., 1904, t. VI, 2o série, pp. 109 et s. Cpr., sur la

Quelques jours avant l'ouverture des hostilités, il avait signé avec la Chine un traité de commerce, dont les ratifications avaient été échangées à Pékin le 11 janvier, traité réglant des questions de taxes et surtaxes, de monnaies, d'ouverture de nouveaux ports, de réforme du système judiciaire, etc. Au cours même de la guerre, à Séoul, le 23 février 1904, a été conclu entre le Japon et la Corée un autre traité plaçant ce dernier pays sous le protectorat du premier. Peut-être cet instrument diplomatique n'était-il pas absolument conforme aux stipulations soit du traité de Shimonoseki qui termina la guerre sino-japonaise, soit du traité anglo-japonais, actes garantissant tous les deux l'indépendance de la Corée (1).

La France était en désaccord avec le Siam depuis de longues années; un traité du 3 octobre 1883, loin d'aplanir la situation, l'avait rendue encore plus aiguë, et l'influence anglaise était, grâce à cette situation, devenue prépondérante à la Cour de Bangkok. Un nouveau traité du 13 février 1904 est venu rétablir la bonne harmonie entre les deux Etats et donner satisfaction à la France à peu près sur tous les points. Ce traité pourra, du reste, être exécuté dans de meilleures conditions que celui de 1883, étant donné que, depuis l'entente franco-anglaise, les sphères d'influence des deux

guerre russo-japonaise, l'ouvrage de M. Thiriaux paru en 1904, intitule: La guerre russo-japonaise. Résumé historique et chronologique des évenements.

(1) Conf. l'article que nous avons publié à ce sujet dans le Journal des Debats du 4 mars 1904, sous ce titre : Les Japonais et le droit international. Voir la réponse de la légation japonaise de Paris et notre réplique dans les numéros du même journal des 7 et 11 mars.

Etats se trouvent, comme on l'a vu, très nettement délimitées (1).

ARTICLE III

LES RELATIONS DE L'EUROPE ET DE L'AMÉRIQUE

SI

Les Etats-Unis de l'Amérique du Nord dans leurs' rapports avec l'Europe. La doctrine de Monroë.

Ainsi que nous l'avons exposé au Chapitre II du présent livre, l'intervention en faveur des princes légitimes devint, à partir de 1815, la base de la nouvelle organisation de l'Europe, jusqu'au moment où les puissances furent arrêtées dans leur tyrannie dirigeante par l'énergique prohibition du Président de la République des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, Monroe. Elevé, à deux reprises différentes, à la magistrature suprême de son pays, le cinquième Président de l'Union américaine avait gardé le souvenir des luttes de l'indépendance, auxquelles il avait pris une part active. Il accorda, dès lors, tout naturellement ses sympathies aux colonies de l'Amérique espagnole qui avaient brisé le joug de la métropole, et dont le Gouvernement de Washington avait immédiatement reconnu l'indépendance. Pour donner à ces sympathies une forme tangible et pratique, il fit

(1) Voir ce traité et le protocole du 30 juin 1904 qui l'a suivi, dans la Revue générale de droit internat. public, 1904, XI, pp. 459 et s. Conf. Paisant, Les relations de la France avec le Siam, I, 1894, pp. 234 et s. et notre article sur l'Incident franco-siamois de 1893, dans la Revue du droit public, 1894, I, pp. 197 et s.

MÉRIGNHAC

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