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les juges ayant siégé la première fois que le recours devrait être porté. Le procédé est, sans doute, excellent quand il s'agit de la voie de l'opposition à suite du défaut d'une partie. La partie défaillante n'ayant pas été entendue et le magistrat n'ayant eu en sa présence que la partie adverse, il est naturel que les deux reviennent devant le même juge pour être écoutées contradictoirement par lui. Mais, lorsque le procès s'est déroulé en présence des deux litigants, que, devant eux, tous les moyens ont été produits, les plaidoiries faites et les arguments développés, il est à craindre que, si le fait nouveau n'est pas l'évidence même, les premiers jugesne persistent dans leur idée première, de très bonne foi d'ailleurs, en raison précisément de la connaissance qu'ils ont du litige. Mieux vaut donc laisser la revision à d'autres juges, qui feront une étude nouvelle sans parti pris et examineront en même temps et les faits anciens et les faits nouveaux articulés. Aussi est-ce une règle générale de compétence devant les tribunaux nationaux que l'appel et les autres voies de recours, l'opposition. exceptée, ne sont jamais portés devant les premiers juges. Ici, un moyen tout naturel aurait consisté à faire désigner, dans la Cour arbitrale de La Haye dont il va être question a titre suivant, les arbitres nouveaux devant connaître du recours.

Ayant organisé le mécanisme assez peu pratique, on vient de le voir, de la revision, la Conférence de La Haye, en ce qui concerne la question des nullités prévue par l'article 26 du projet russe, a cru devoir écarter toute disposition sur ce point, à raison, a-t-il été dit, de l'impossibilité de déterminer le pouvoir chargé d'apprécier ces nullités. Assurément l'un des reproches les plus

graves adressés à l'arbitrage consiste, nous l'avons dit, précisément en ce que le sort d'une sentence arguée de nullité est, en somme, absolument aux mains de l'Etat invoquant la nullité, qui devient ainsi juge et partie dans sa propre cause. Et c'est ce motif qui, dans le passé, a engagé les Etats à se prévaloir le moins possible des cas de nullité et a décidé les juristes à en limiter le nombre. Mais la Cour arbitrale, dont nous venons de parler comme juge de la revision, aurait également pu fort bien connaître de la nullité. Dès lors, en étendant l'article 55 a toute demande de réformation de la sentence arbitrale, en décidant que cette demande serait portée devant de nouveaux juges dans un délai suffisant, i! semble que les délégués auraient heureusement complété leur œuvre par la création de cette juridiction d'appel qui existe partout, et qu'on s'étonne, à bon droit, de voir bannie de la sphère des conflits internationaux, en présence de la gravité des intérêts en jeu. Le mécanisme restreint de la revision de l'article 55 pourra, sans doute, faciliter aux parties, préalablement d'accord sur son principe, la question des voies et moyens; mais, au fond, la Convention de La Haye ne fait que consacrer, ce qui n'était pas absolument indispensable, la manifestation d'une volonté nettement exprimée dans le compromis. Evidemment, il ne faut pas tenir trop longtemps en suspens l'autorité de chose jugée définitive des sentences arbitrales; mais peut-on comparer l'inconvénient résultant du fait de laisser la voie de recours ouverte durant un court délai, avec l'effet désastreux pour l'importance morale de l'arbitrage du maintien de sentences évidemment et ostensiblement iniques, comme celle rendue dans l'affaire de la compagnie minière La Abra! Objecterait-on que la

partie contre laquelle serait dirigé l'appel institué par la convention se trouverait ainsi engagée malgré elle dans un nouvel arbitrage, ce qui enlèverait à l'institution le caractère facultatif que les délégués ont voulu faire prévaloir? Il serait alors facile de répondre qu'autre chose est d'être obligé, sans le vouloir, de soumettre à des juges une contestation quelconque, si minime soit-elle, et autre chose de laisser apprécier par une juridiction supérieure la légitimité de griefs articulés contre une première sentence librement acceptée. On peut se refuser à un arbitrage, bien qu'on ait peut-être tort d'agir ainsi ; mais il serait souverainement inique de dénier à son adversaire le droit de faire redresser les vices de la décision rendue.

En résumé, tout en admettant que certaines erreurs de fait essentielles puissent, si les parties se mettent d'accord, rentrer dans le domaine de la revision telle que l'organise l'article 55, on constate que, relativement aux causes de nullité de la sentence arbitrale, la Conférence de la paix a laissé complètement les choses en l'état antérieur les juristes continueront, par suite, comme auparavant, à enseigner que, dans certains cas, quitte à déterminer lesquels, une sentence arbitrale est évidemment nulle; et les Etats, à se refuser à accepter cette sentence, ou à créer une voie de recours exceptionnelle pour statuer sur la nullité, comme les Etats-Unis et le Mexique en 1897. Il est donc profondément regrettable que la Conférence n'ait pas organisé ce que les juristes attendaient d'elle, c'est-à-dire l'institution de l'appel porté devant de nouveaux juges choisis sur la liste arbitrale, à défaut de désignation directe, en nombre supérieur, de sept, par exemple, et introduit dans un

délai déterminé. Le système de l'article 55 laissera subsister toutes les incertitudes et toutes les controverses que soulève, dans le droit public international, la question des causes de nullité de l'arbitrage, alors que les délégués auraient pu assez facilement, semble-t-il, la trancher (1).

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L'organisation et le fonctionnement de la Cour
arbitrale de La Haye

La conception d'un tribunal permanent d'arbitrage ayant une compétence sans limite, réglant par les voies de droit tous les litiges internationaux sans exception et rendant désormais la guerre impossible, n'est pas nouvelle dans les relations internationales. Elle se relie, dans le lointain des âges, à l'idée de la paix perpétuelle ardemment recherchée par les uns, déclarée irréalisable ou raillée par les autres. Nous n'avons point la pensée d'exposer ici les projets divers présentés à cet égard par les philosophes ou les juristes de tous les temps et de tous les pays, car beaucoup plus modestes, on va le voir, ont été les propositions relatives à la juridiction inter

(1) Conf. les développements de notre ouvrage sur La Conference de la paix, § 183 et s.

nationale faites à la Conférence de la paix et acceptées par elle (1).

On peut concevoir et on a conçu de manières diverses l'organisation d'une juridiction internationale. Beaucoup d'auteurs anciens et modernes l'ont rattachée à l'idée d'une vaste fédération internationale, où elle jouerait le rôle que le pouvoir judiciaire des fédérations et confédérations a joué et joue encore aujourd'hui dans les Etats régis par cette forme de gouvernement, comme les EtatsUnis d'Amérique, la Suisse ou l'Allemagne (2). La fédération universelle, dont nous sommes si loin qu'il est presque superflu d'en envisager l'hypothèse, présente des inconvénients tels qu'elle a été traitée de chimère pure par ceux qui ont compris les véritables aspirations des sociétés modernes, parmi lesquelles vient en première ligne le sentiment de la nationalité en opposition absolue avec cette fédération (3). Certains l'ont envisagée comme la suite de la création d'un Etat international comprenant les trois pouvoirs que comporte l'Etat contemporain et, par conséquent, un pouvoir judiciaire international (4). Mais l'idée d'un Etat international paraît d'une réalisation difficile, comme devant réveiller les craintes et les défiances qu'inspire le principe de la fédération universelle l'un et l'autre se trouveraient en opposition avec l'indépendance et la souverai

(1) Voir, sur la paix perpétuelle et les moyens proposés pour la réaliser, les développements fournis dans notre Traité de l'arbitrage international, aux §§ 352 et s.

(2) Même ouvrage, avec les citations des auteurs anciens et modernes, §§ 422 et s.

(3) Ibidem, §§ 436 et s.

(4) Lorimer, Principes de droit international, L. V, pp. 339 et s.

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