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réels et personnels, de contrats, de successions et autres similaires touchant uniquement à des intérêts privés seront du ressort du droit privé international. Est-on, au contraire, en présence de points intéressant les collectivités internationales, la matière fait alors partie du droit public international. Ainsi, ce dernier droit embrassera notamment ce qui touche aux droits et obligations des Etats, aux traités qu'ils passent entre eux, aux personnes qui les représentent au dehors, aux relations multiples qu'ils entretiennent soit dans la paix soit dans la guerre, en un mot à l'ensemble des règles de conduite que les nations doivent observer entre elles dans l'intérêt de leur sécurité et de leur bien-être commun (1).

Y a-t-il entre les deux branches du droit international une différence absolue, en sorte qu'il ne soit possible d'établir aucun rapport entre elles? Ou bien, au contraire, le droit privé international ne serait-il qu'une partie du droit public du même nom? Il existe, à cet égard, une vive controverse qui rentre plutôt dans la sphère du droit privé international, car, de sa solution, dépendent à la fois le fondement, la méthode et les règles d'interprétation à appliquer en ce qui le concerne (2). Il est pourtant nécessaire de prendre parti sur

(1) Pinheiro-Ferrera, Cours de droit public interne et externe, 1830, t. II, 4re partie, sect. 2, art 1, § 1; Bello, Principios de derecho de gentes, 1840-64, Préliminaires, § 1; Kent, Commentaries on international law, 1878, I, § 1; Hallek, International law on rules..., 1893, chap. II, § 1.

(2) Conf. à cet égard: Lainé, Introduction au droit international privé, 1888, I, pp. 1 et s.; Harrisson, dans le Journal de droit intern. privé, 1880, pp. 533 et s.; Asser et Rivier, Eléments de droit intern. privé, 1884, p. 4, note 1; Despagnet, Précis de droit internat. privé, 1904, 4° édition, no 12; Brocher, dans

ce point au regard du droit public international, soit pour bien délimiter l'étendue de ce droit et sa sphère d'action, soit pour déterminer nettement les rapports existant entre les deux parties du droit international général. Dès lors, sans entrer dans un examen approfondi du problème, nous estimons que le droit privé international doit être considéré comme une dépendance du droit public. Nous arrêtant au motif, d'après nous, péremptoire, parmi beaucoup d'autres qui ont été invoqués, nous ferons remarquer que la solution de tout conflit de lois dans la sphère des intérêts privés met en jeu une question de souveraineté. Les deux lois en conflit sont, en effet, chacune l'émanation d'une souveraineté nationale. maîtresse absolue sur son territoire et qui ne s'effacera dans un cas déterminé, pour qu'on agisse de même à son égard dans un autre, qu'en vertu d'un accord international, lequel, comme tous les accords internationauxest du domaine du droit public international (1).

le Journal de droit intern. pr., 1878, p. 225; Pillet, Le droit internat. privé considéré dans ses rapports avec le droit intern. public, $ 15 et s. et Principes de droit international prive, 1903, pp. 64 et s., 23 et s.

(1) Prenons un exemple qui fera bien saisir notre pensée. Un Français veut se marier à l'étranger. Si l'on se demande quelles conditions de fond et de forme seront applicables à cette union, deux lois sont en présence : la loi française, loi nationale, et la loi du lieu de célébration, loi locale. Or, elles peuvent être profondé ment divergentes; au point de vue du fond, l'age de la majorité matrimoniale varie essentiellement avec les climats, et, de même, les formes de la célébration différent suivant les croyances. Il faut donc que, des deux lois souveraines, l'une s'incline devant l'autre : et, à ce sujet, le droit privé international a fait admettre comme règle à peu près incontestée que, par rapport au fond, on appliquerait la loi nationale et, quant à la forme, la loi du lieu de célébration. Ainsi le droit privé international dépasse, malgré le nom

II

Le droit privé international est de formation assez récente (1), car il suppose, entre les peuples, des rapports fréquents, des relations de tout genre, une vie internationale, en un mot, qui n'existait pour ainsi dire point avant la Révolution française. Le droit public international, au contraire, a des origines plus lointaines (2). Aux époques les plus guerrières, en effet, des rapports, bien que rudimentaires, ont nécessairement existé entre les Etats, rapports se traduisant par des manifestations internationales de formes diverses, telles que la conclusion des traités, l'envoi d'ambassadeurs, les formes religieuses et solennelles de la déclaration de guerre, le droit d'hospitalité (3). Et l'antiquité nous a mème transmis le nom d'un peuple qui fut spécialement flétri pour sa mauvaise foi systématique dans les rapports avec les autres. Fides punica ! s'écriaient les Romains en parlant des Carthaginois.

Durant la période antique, les rapports internationaux furent peu fréquents à raison du culte exclusif de la Cité éminemment théocratique et bannissant toute relation avec les cités d'origine différente. C'est le stoïcisme qui, le premier, apprit à l'homme qu'il avait des frères.

qu'il porte, la sphère des intérêts privés ; il tranche un conflit entre deux souverainetés, et, comme tel, il constitue une branche véritable, une partie intégrante du droit public international.

(1) Lainé, loc. cit.,

I, p.
44.

(2) Conf. A. Walker, A history of the law of nations, t. I, 1899.

(3) Salles, L'institution des consulats chez les différents peuples, 1897, p. 2.

en dehors de la patrie, et c'est sous l'influence de la philosophie grecque que Cicéron put affirmer dans le monde romain que la société la plus étendue est celle qui unit les hommes entre eux (1). Mais la puissance romaine s'étendait peu à peu sur tous les peuples civilisés et dispensait d'un droit international quelconque, car le jus gentium applicable aux sujets pérégrins de Rome n'était, on le verra, que l'une des branches du droit national romain.

Le christianisme, en proclamant comme dogme fondamental l'égalité de tous les hommes de toutes races et de tous pays, établit la véritable base du droit international. Mais le principe exactement posé ne donna point les résultats qu'on en pouvait espérer; et, au milieu des luttes de toute sorte qui ensanglantèrent le moyen âge et les temps modernes, le droit public international resta cantonné dans cette idée vague que Montesquieu a ainsi formulée « se faire dans la paix le plus de bien et dans la guerre le moins de mal possible » (2). Au surplus, le christianisme avait circonscrit les rapports internationaux aux peuples chrétiens, qui eux-mêmes sé divisèrent au point que les Etats protestants ne sont entrés dans le concert européen que lors des traités de Westphalie de 1648. Quant aux Etats musulmans, tenus systématiquement à l'écart de la communauté internationale, ils ne sont parvenus à en forcer les portes qu'au milieu du siècle dernier, en 1856 (3).

Les grandes luttes de la Révolution française et de

(1) De officiis, III, VI.

(2) Esprit des lois, L. Ier, chap. III.

(3) Conf. Essai sur la Theorie de l'equilibre, thèse de M. Donnadieu, Aix, 1900.

l'Empire étaient peu de nature à favoriser les progrès du droit international. Ces époques troublées nous offrent, au contraire, des exemples de violations multiples de règles jusqu'alors tenues pour incontestables. On peut citer, entre autres, l'assassinat des plénipotentiaires de Radstadt et le blocus continental. Depuis 1814 jusqu'à nos jours, malgré les guerres de 1866, de 1870-71, de 1877, et les conflits plus récents entre l'Espagne et les Etats-Unis, le Transvaal et l'Angleterre, la Russie et le Japon, le droit public international, principalement celui qui envisage les nations à l'état pacifique, a réalisé des progrès considérables, dont on se rend facilement compte quand on compare ce qu'il était au début du siècle dernier et ce qu'il est devenu au début du xxe siècle.

III

Le droit public international était autrefois appelé Droit des gens, expression qui a été conservée par certains publicistes modernes (1). Ce terme, bien que très acceptable en principe, a cependant, en fait, l'inconvénient de prêter à l'équivoque. Tout d'abord, il rappelle le jus gentium romain et semble se confondre avec lui. Or

(1) Pufendorf intitule son grand traité : Juris naturæ et gentium libri VIII; Leibnitz, Selden, Wolf, Vattel, Heinecceius, Rutherfort, Burlamaqui, Moser, Archenwall, G.-F. de Martens, Lampredi, de Rayneval, Schmalz et d'autres encore ont fait entrer le terme de droit des gens dans le titre de leurs ouvrages. A notre époque, il en est de même de certains auteurs, parmi lesquels nous citerons Bonfils-Fauchille, Chauveau, Funck-Brentano et Sorel, Piédelièvre, Klüber, Neumann, Polson, Seebohm, Twiss, Wheaton, Contuzzi, Saripolos, Arenal, Bello, Gomar, Madiedo, Albuquerque, Païva, Besobrazof, Rivier. Voir les détails donnés sur ces auteurs et leurs ouvrages ci-après au chap. III, du livre I.

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