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TIMBRE

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sacrifice qu'il fallait nécessairement faire. M. l'abbé voulut du moins en avoir tous les honneurs, Jacques, dit-il fort haut à une manière de domestique qui se tenait derrière sa chaise, allez à la cuisine, me faire faire une omelette. » C'est ainsi que Tartufe crie à son valet :

Laurent, serrez ma haire avec má discipline.

Jacques arrive avec l'omelette; M. de Malines la coupe et la découpe, la tourne et la retourne, et au lieu de s'en servir, se jette tout-à-coup sur une aile de volaille qui se trouvait à sa portée. Deux dames fort jolies, qui étaient près de lui, l'aperçurent et se mirent à rire du tour de passe-passe de M. l'archevêque. « Mesdames, leur dit-il, apprenez une chose, c'est qu'il vaut encore mieux faire gras que de montrer sa gorge. » Toujours Tartufe, comme vous voyez, Madame a

Cachez, cáchez ce sein que je ne saurais voir.

Le ci-devant roi d'Espagne Joseph avait, dit-on, de très-grandes prétentions comme roi; on assure même qu'il s'expri mait assez souvent sur son frère de manièré

5c.

SEINE

à faire voir qu'il n'avait pas une très-haute admiration pour ses talens. Il demandait un jour à quelqu'un qui arrivait de Paris : « Eh bien! que dit-on de moi dans la capitale?

Mais, Sire, on dit.... - Ne me dissimulez rien; je suis sûr qu'on s'imagine que je suis faible.... Ah! Sire, pouvez-vous penser.... Non, je suis certain que l'on dit que je suis faible; on doit le dire, et je suis charmé qu'on le dise. - Mais, Sire, cependant.... — Il n'y a pas de cependant; tenez, voyez-vous, mon frère a une volonté furibonde, à laquelle il faut que rien ne résiste; c'est sa manière : il faut que tout lui cède; et cette volonté de fer, il la porte dans les grandes comme dans les petites choses. Je souhaite que ce système lui réussisse; quant à moi, Monsieur, je crois voir les choses de plus haut: ma volonté, je ne l'applique qu'aux choses qui en valent réellement la peine; mais alors ce que je veux, je le veux positivement, je le veux en Roi. Qu'en résulte-t-il? Que je ne consume pas en vains efforts cette force qui est en moi, cette force qui m'a été donnée par Dieu pour gouverner les peuples. Mon

frère renversera des chênes, mais il ira se briser contre une paille; ainsi donc ceux qui n'ont pas la vue assez perçante pour voir ce que je suis, ce que je veux, disent que je suis faible: ils doivent le dire; et je suis charmé qu'ils le disent.

» Mon frère a une grande réputation militaire: c'est très-bien; mais qui est-ce qui ne pourrait pas l'acquérir? qui est-ce qui ne peut pas être grand capitaine? Il est tout aussi facile de remuer des grandes masses, que de diriger des pièces de mécanique. J'avance tel corps, je fais mouvoir tel autre ; je m'empare de telle position : voilà, Monsieur, voilà toute la guerre. Croyezmoi, il est bien plus facile d'être un César qu'un Titus. » Il aurait pu ajouter qu'il y avait quelque chose de bien plus facile encore, c'était de n'être ni l'un ni l'autre.'

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Voici, Madame, un passage de Burke qui me paraît tout-à-fait à l'ordre du jour : Beaucoup de nos spéculateurs, au lieu de bannir les préjugés généraux, emploient toute leur sagacité à découvrir la sagesse cachée qui y domine. Le préjugé fait de la vertu une habitude pour les hommes; par

les préjugés dont la vertu fait la base, le det voir devient une partie de notre nature."

» Vos hommes de lettres et vos politiques diffèrent essentiellement d'opinion à cet égard ils n'ont aucun respect pour la sagesse des autres; mais en revanche, ils ont dans la leur une confiance sans bornes. Avec eux, pour détruire un ordre de choses, il suffit que cette chose soit ancienne. Quant à ce qui est nouveau, ils n'ont aucune sorte d'inquiétude sur la durée d'un bâtiment construit à la hâte; parce que la durée n'est d'aucune conséquence pour ceux qui mettent si peu de prix, ou qui n'en mettent pas du tout, à ce qui a été fait avant eux, et qui placent toutes leurs espérances dans les découvertes. Ils pensent très-systé¬ matiquement que toutes les choses qui portent le caractère de la durée sont nuisibles; en conséquence, ils déclarent une guerre d'extermination à tous les établissemens. >>

A M. DE LA MARTINE.

ECOUTONS! quelle voix, inconnue à la terre,
D'accens mélodieux vient de frapper les airs?
A son heure suprême, un cygne solitaire
Aurait-il soupiré de célestes concerts:?

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Seraient-ce les accords des harpes prophétiques?
Transfuge du tombeau, le sombre Ezechiel
Reviendrait-il, errant sous les cèdres antiques,
Effrayer le Jourdain des menaces du ciel ?

Non; jusqu'au grand réveil le prophète sommeille.
Nul ne peut s'affranchir des chaînes du cercueil.,
Qui donc de ces beaux vers enfanta la merveille?
La Muse me répond avec un noble orgueil :

« De mon fils bien-aimé ces bymnes sont l'ouvrage :
» C'est moi qui l'ai nourri d'un lait mystérieux;
» A sa tendre raison, de mon plus doux langage
» Je pris soin d'enseigner le mode harmonieux.

» J'ai caché sa jeunesse à l'ombre de mes ailes :

» Aujourd'hui, plein de force, et d'ardeurs, et de jours, » Il franchit dans son vol les sphères éternelles, » Et s'abreuve au torrent des célestes amours. »

Honneur, honneur à toi! ta gloire est sans rivale,
Jeune cygne inspiré, poète aimé des cieux!
La beauté, l'infortune, aux Muses si fatale,
Accordent à tes chants des pleurs délicieux.

Moi-même j'ai pleuré : j'ai compris que ton ame
Avait connu ce mal qui n'est pas sans douceur;
Mais ne crains plus l'amour : mystérieux dictame,
Les vers savent guérir les blessures du cœur.

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Courage! ignores-tu que les douleurs rêveuses
Donnent plus de tendresse et de charme aux beaux vers?
L'amant qu'ont enivré tes plaintes amoureuses,

Se souvient, en pleurant, de ses premiers revers.

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