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Bref, ce soldat se proclame empereur,
Crée une cour, et baron, duc et comte;
Un majorat j'accroche pour mon compte
Pour mon serment à ce nouveau seigneur.

Cet

empereur, après mainte prouesse,
Par le Destin réduit à la détresse,
Tombe soudain, abandonnant ses droits
Au successeur de nos gothiques rois.
Ce souverain gouverne avec clémence,
Pardonne à tous, trop heureux d'être en France!
C'était le cas, je saisis le moment

Pour lui prêter un très-petit serment:
Je dis petit, la raison en est claire,
Car ce serment me restait à refaire.

L'ex-empereur en effet reparaît,
Prend mon serment, ensuite disparaît.
Pendant qu'il fuit, je vais en bon apôtre
Vîte aux Bourbons en reprêter un autre.
Reste à savoir combien il durera ;
Et l'avenir seul en décidera.

Monsieur l'Ultra, cependant voilà comme
Selon le tems se conduit l'habile homme :
De la roideur on ne retire rien;
A vos dépens vous l'apprêtes trop bien.
Tout encroûté de vos vieilles maximes,
De mes hauts faits me ferez-vous des crimes?
Et croyez-vous avoir le sens commun,
Quand j'ai dîné, de vous trouver à jeun?
La loyauté, quelle triste devise!
L'argent, l'argent, tout le reste est sottise.
Qu'en dites-vous, n'êtes-vous pas rendu?
- Oui, dit l'Ultra, vous m'avez confondu.

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Par M. DELBOSC D'AUZON

LETTRES

CHAMPENOISES.

QUATORZIÈME LETTRE.

J'AI craint un moment, Madame į quë cette Lettre ne fût datée de Sainte-Pélagie. << Comment! allez-vous vous écrier, auriezvous donc des dettes, et vos créanciers se seraient-ils sérieusement fâchés?

Non,

Madame ; je n'ai ni déttes, ni créanciers : je sais très-bien qu'il est de l'extrême bon ton de faire les unes, et d'envoyer promener les autres: malheureusement je ne suis pas encore à la hauteur de mon siècle ; j'y parviendrai peut-être, Dieu aidant.

Mais, Madame, ce n'est point là ce qui conduit maintenant à Sainte-Pélagie la plupart des personnes qui vont y faire un petit noviciat. Autrefois, pourvu qu'on respec

tât le bien d'autrui, on était à peu près sûr de passer tranquillement la nuit chez soi, même malgré les fameuses lettres de cachet dont les ministres faisaient si peu d'usage, et dont les philosophes faisaient tant de bruit. Il n'en est plus ainsi aujourd'hui : on se couche dans son lit, et l'on se réveille en prison; cela n'est pas gai sans doute, mais autrefois nous vivions sous des lois despotiques, sous des rois absolus; et il faut bien acheter par quelques sacrifices les douceurs ineffables du gouvernement représentatif...

En ma qualité d'homme libre, j'avais donc pris, Madame, la liberté grande de glisser dans la Quotidienne mon avis sur le rapport qu'avait fait M. Bastard de l'Estang dans l'affaire de Louvel. Un noble pair, M. le marquis de Lally-Tollendal, crut que la dignité de la chambre haute était compromise par mon article; il s'exprima à ce sujet avec cette chaleur et cette éloquence que vous lui connaissez. J'avais affaire à forte partie, et peu s'en est fallu que je ne fusse amené devant la chambre des pairs, pieds et poings liés, comme si j'étais coupable du crime de haute trahison. Après une discussion de trois

heures, l'impétuosité et l'abondance de M. de Lally se calmèrent, et il fut décidé que l'affaire suivrait son cours naturel; elle fut donc renvoyée devant les tribunaux. Les juges de première instance décidèrent qu'il n'y avait pas lieu à suivre; mais M. le procureur-général interjeta appel, et je fus renvoyé devant la cour d'assises.

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Admirez, Madame, ce que c'est que les choses de la vie; M. Bellart, par qui je me voyais sur le point d'aller passer quelques mois en prison, avait été autrefois sous ma juridiction, et certes il n'avait point eu lieu de se plaindre de la rigueur de mon ministère. Voici le fait : M. Bellart est auteur d'un Eloge de Ferrey, qu'il publia il y a environ úne douzaine d'années. J'étais juge alors, et je tenais mes assises dans le Journal des Débats; je fus constitué rapporteur de l'ouvrage. L'auteur attendait son sort avec anxiété; je pouvais déclarer, non pas qu'il avait diffamé M. Ferrey, mais qu'il l'avait mal loué; je pouvais critiquer le style, je n'en fis rien la justice avant tout ; je pris mes conclusions, et je déclarai que l'avocat Ferrey ne pouvait trouver un panégyriste

plus éloquent. M. Bellart trouva l'arrêt dans les formes, et je vous certifie qu'il se garda bien alors d'interjeter appel. Eh bien! Madame, depuis ce tems l'Eloge de Ferrey passe pour un excellent ouvrage, tant est grande la force de la chose jugée.

M. de Lally est auteur d'une Vie de Strafford: je veux aussi le faire à son tour comparoir à mon tribunal; et très-prochainement, Madame, je vous ferai mon rapport sur cet ouvrage. J'espère que le noble pair ne me fera pas un crime d'en dire librement mon avis. Ainsi va le monde : nous sommes tour-à-tour accusés et juges; aujourd'hui, nous demandons grâce; et demain, nous la faisons.

Je reviens à mon affaire : je fus traduit à la cour d'assises; ma cause était simple: on m'accusait d'avoir diffamé la cour des pairs; et dans l'article incriminé, il n'était nullement question de la cour des pairs : je ne la nommais qu'une seule fois, et je la désignais sous le titre d'auguste assemblée ; singulière manière de diffamer, comme vous voyez, Madame. Cependant il ne tint pas à M. l'avocat général, qui remplissait les fonc

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