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met pas seulement dans un ver
dans tout un poëme. Ce genre nest pas ce
lui de l'héroï-comique, il n'est pas eludu
burlesque, depuis long-tems abandonné;

st un genre plus fin qui demandait un esprit gracieux et fécond. Les objets les plus graves y sont considérés sous un côté plaisant; les sophismes sérieux y sont réfutés par le propre langage de ceux qui les défendent; mais on conçoit que ce langage doit prendre une couleur nouvelle sous la plume du poète qui ne l'emploie que pour s'en moquer.

Ces remarques, vous les avez faites souvent en lisant les poëmes de M. Berchoux; vous les ferez encore en lisant celui-ci, où tout son esprit étincelle malgré de légers défauts, où la plaisanterie est toujours délicate, quoique la plaisanterie n'y soit pas toujours également bien soutenue. Notre poète a eu l'intention de tourner en ridicule la manie de notre tems, qui a érigé chaque homme en publiciste, et qui a fait descendre les discussions de la politique jusque dans les boutiques et les ateliers. Le sujet était fécond pour un esprit aussi gai que

celui de M. Berchoux ; cependant j'avouerai qu'il aurait pu profiter encore mieux de toutes les ressources qu'il paraissait devoir lui fournir, sur-tout sous le rapport de l'invention. Son poëme appartient au genre didactique, c'est peut-être un malheur : sa vérve comique eût trouvé des détails bien autrement piquans, s'il avait mis en scène tant de personnages nouveaux qui s'imaginent aujourd'hui être fort importans, parce qu'ils ont le droit d'ennuyer du haut d'une tribune, ou de déraisonner dans leurs pamphlets. Que de caractères originaux il aurait eu à tracer! L'orgueil qui se cache sous le masque de l'indépendance; l'esprit de domination qui affecte le libéralisme; l'ignorance qui débite une éloquence payée à tant le feuillet; la vanité d'un banquier-législateur; l'arrogance d'un avocat qui fait le tribun; la sottise insolente; l'inexpérience orgueilleuse; la jeunesse téméraire; les femmes même qui gouvernent du fond d'un boudoir; des ministres petits-maîtres; des commis qui font les ministres ; c'étaient là autant de portraits nouveaux à mettre en action; et un poëme comique où auraient fi

guré des personnages si variés, aurait pu fournir l'intérêt le plus piquant et la satire la plus mordante.

Mais M. Berchoux, au lieu de faire un poëme en récit, a mieux aimé se jeter dans un genre tout-à-fait différent, et dans lequel il a déjà obtenu plus d'un succès.

Ami des nations, poète didactique,

Je veux régler en vers la science publique.

Tel est son début. Ce sont donc des règles qu'il a voulu nous donner; et il faut convenir qu'il les donne d'une manière amusante et originale.

Avant d'expliquer la naissance des divers gouvernemens, il a fait comme tous les publicistes du jour, il a remonté jusqu'à ces tems reculés où l'homme vivait dans les bois, sans abri, sans lois, sans tribuns. Ce lieu commun est obligé en prose, et voici comment M. Berchoux l'a traité en vers:

Avant les trois pouvoirs établis sur la terre,
J'examine un moment l'homme, mon pauvre frère ;
Je le vois sans abri, sans lois et sans décrets,
Au régime du gland, au banquet des forêts:
Ayant pour édredon une fraîche verdure,
Et pour tout vêtement celui de la nature;

Ne s'inquiétant point d'un ciel trop négligé,
Que Copernic encor n'avait point arrangé,
Et végétant, hélas! pour comble d'infamie,
Sans Opéra-Comique et sans Académie.

Mais bientôt les premiers citoyens se rassemblent : c'est du moins ce que disent tous les grands publicistes, et M. Berchoux le dit avec eux :

Un pacte social, un contrat populaire,'

Se passa (je ne sais par devant quel notaire);
Par la métaphysique avec soin conservé,
Ce contrat, de nos jours, s'est enfin retrouvé.

Alors naissent les différentes formes de gouvernement dont M. Berchoux explique les avantages ou les inconvéniens, en laissant toutefois apercevoir une petite prédilection pour l'heureux état de république : heureux état en effet, où chacun défend ses droits lui-même, et est toujours sûr d'être l'égal de tout le monde, sans être jamais l'inférieur de personne. C'est cette forme qui est la plus naturelle, comme on le sait bien; aussi, lorsque les divers animaux étaient renfermés dans l'arche de Noé, vit-on l'âne haranguer ses frères, et leur prêcher l'indépendance et l'égalité.

« Mes frères, il est tems de nous montrer rebelles;
Les bêtes, disait-il, sont égales entre elles :
Je m'estime, en dépit d'un préjugé brutal,
Malgré ma longue oreille, au niveau du cheval.
Son air chevaleresque et sa haute encolure
D'un orgueil féodal me donnent la mesure.»

L'âne parlait à merveille; et si M. Berchoux a consulté des monumens bien authentiques, il paraîtrait que le langage des bêtes d'alors fut précisément le même que celui des philosophes d'aujourd'hui : ce qui annonce que l'esprit humain a fait de merveilleux progrès.

Mais où l'érudition du poète brille particulièrement, c'est lorsqu'il peint la manière dont les enfans de Noé bâtirent la tour de Babel. Pas un échafaudage ne fut dressé, pas une pierre ne fut taillée, que les ouvriers n'eussent auparavant délibéré entre eux, et n'eussent connu par le résultat d'un scrutin le vote de la majorité.

De leurs discussions il naquit des lumières
Sur l'art de remuer et de tailler les pierres ;
On ne maçonnait rien qui ne fût discuté :
Les pierres s'élevaient à la majorité.

Des maçons, quelquefois trop ardens à l'ouvrage,
Votaient à coups de poing sur un échafaudage;

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