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jeunes acteurs pensent qu'en attendant il faut prendre du bon tems, sans songer que ce bon tems si court dévore leur bon tems à venir, et qu'il est des occasions où il faut savoir faire héroïquement à son amour-propre le sacrifice de son amour-propre même.

LES VAMPIRES.

Je me trouvais dernièrement en société; depuis une heure on parlait politique, et comme on trouve un côté droit et un côté gauche jusque dans les plus petites coteries, il s'ensuit naturellement que la conversation devient bientôt aussi orageuse que certaines discussions de la chambre des députés. Comme en politique il est des gens qui repoussent les raisonnemens, nient l'évidence des faits et ne veulent céder qu'à la force, les discussions de ce genre deviennent des disputes, et les disputes dégénèrent bientôt en personnalités. Déjà l'on ne s'entendait plus, et je ne sais comment cela aurait fini si je ne me fusse avisé de parler spectacles pour donner une autre direction aux idées. Vous savez, Madame, qu'après la politique

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les Français aiment par dessus tout les spectacles, et que sur ce point les habitans de Paris sont les Français par excellence. Aussi dès que j'eus prononcé ce mot magique, l'orage de la loi des élections s'apaisa subitement, comme la mer, quand Neptune prononce le fameux quos ego.... Il pleuvait, on était las de crier, et il ne fut bientôt question que de savoir vers quel théâtre on se dirigerait pour achever la soirée. «< Avezvous lu les affiches? savez-vous ce qu'on donne au Vaudeville? me demanda une jeune dame. Le Vampire. - A la Porte-Saint-Martin? Le Vampire. Et aux Variétés? - Les Trois Vampires.

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La jeune dame partit d'un éclat de rire. « Voilà qui est plaisant! dit-elle; cela doit être bien beau. Monsieur, qu'est-ce que c'est qu'un Vampire? J'avoue qu'une question si simple m'embarrassa; je n'avais encore vu aucune des trois pièces, et je ne savais s'il fallait prendre ce titre dans le sens propre ou au figuré: heureusement on m'évita la peine de répondre. Chacun donna sa définition: un étudiant en médecine, qui sortait de Sainte-Pélagie, dit qu'il ne connais

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sait de Vampires que les usuriers et les prêteurs sur gages. Un rentier, propriétaire de vingt maisons à Paris, prétendit que ce titre appartenait de droit au percepteur des contributions. La jeune dame qui m'avait déjà interrogé revint à la charge, et me demanda, pour la seconde fois, ce que c'était qu'un Vampire.

Figurez-vous, lui dis-je, un homme que Vous avez vu mourir et enterrer. Vous le croyez mort, et bien mort; pas du tout: le lendemain il se présente à vous, plein de vie et de santé. Il saute à votre cou, il vous serre dans ses bras; vous croyez que c'est pure amitié de sa part: non, le traître ne Vous caresse que pour sucér votre sang. Tant que le jour durera il ne lâchera pas sa proie; mais dès que la nuit sera venue il retournera tranquillement se coucher dans sa tombe, et il en sortira le lendemain pour recommencer. Quel horrible conte vous nous faites là! Ce n'est pas un conte, Madame; il y a à peu près deux siècles que les Vámpires épouvantèrent la Bohême et une partie de la Pologne. Rien n'a été mieux constaté que l'existence de ces morts vivans :

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cent procès-verbaux, revêtus de milliers de signatures, en font foi; je suis loin d'en conclure qu'il y ait jamais eu des Vampires; cela prouve seulement qu'il n'y a pas de conte absurde qui ne prenne l'apparence de la vérité aux yeux de l'ignorance, de la peur et de la superstition. ».

Je vous fais grâce, Madame, du reste de la conversation; je vous dirai seulement que je voulus voir quel parti nos auteurs modernes avaient tiré, dans un siècle de lumières, de ces êtres chimériques qui n'avaient pu naître que dans les ténèbres de l'ignorance. Je commençai par le Vaudeville; je n'y vis qu'une petite pièce sentimentale. Les Trois Vampires des Variétés sont une farce ignoble, digne tout au plus des tréteaux de Bobèche ou de Bobinot. Les Trois Vampires ont trébuché, mais un beau clair de lune les a empêchés de tomber tout-à-fait, Persuadé, d'après ces deux pièces, que les Vampires qu'on avait mis en scène n'avaient rien d'épouvantable que le mot, j'allai voir enfin celui de la Porte-Saint-Martin. Ah! Madame, si vous venez à Paris, n'allez pas voir le Vampire; vous auriez des attaques

de nerfs pour quinze jours. Quel horrible spectacle! c'est bien un mort, un véritable mort qui est le héros de cette pièce épouvantable. Le Vampire ne peut vivre que trente-six heures, si dans cet espace il ne trouve du sang humain à sucer; mais plus friand que les Vampires de la Bohême, qui se contentaient pour nourriture du sang plus commun, celui-ci veut des jeunes filles pour se régaler : c'est le sang d'une fiancée qu'il lui faut pour son souper. J'ai cru un moment que ce Lovelace des tombeaux, comme on l'a appelé, allait faire sous nos yeux son horrible festin; mais un coup de tonnerre le rend à la tombe.

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Quelqu'un a dit que si tous les matériaux pour l'histoire venaient à manquer, il serait encore possible de se faire une idée des événemens et des mœurs de chaque époque en consultant le théâtre. En effet, ceux qui ont passé par notre révolution trouveront que cette idée ne manque pas de justesse : en voyant, sous Roberspierre, les prêtres et les rois livrés sur le théâtre à l'exécration publique, ils n'auraient pas de peine à deviner que ces pièces n'ont pu être compo

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