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d'étaler tant d'érudition sur ce sujet léger ; jamais les Grâces ne furent accablées sous un tel poids de citations. Les étoffes brillantes et les tissus légers dont se parait une Romaine, les formes heureuses et les plis variés que les plus coquettes d'entre elles savaient donner à ces riches et élégans vêtemens; l'art avec lequel elles arrangeaient leurs cheveux, la diversité de leurs coiffures, la magnificence des pierreries dont elles ornaient leur tête, leur cou, leurs bras, leurs oreilles; les parfums qu'elles préféraient, les eaux et les cosmétiques dont elles usaient pour donner à leur peau plus de blancheur et de souplesse, à leur teint plus d'éclat et de fraîcheur, les vases qui contenaient ces essences, tout ce qui était d'un usage quelconque dans l'œuvre si compliquée d'une toilette; les esclaves ou femmes de chambre, ministres de cette laborieuse matinée; tout est l'objet de savantes recherches, et toute assertion est appuyée sur une grave citation: de sorte qu'il n'y a pas moyen de douter que tel était le peigne d'une dame romaine, telles étaient ses épingles. Poètes, et sur-tout poètes comiques et satiriques, orateurs, historiens, commenta

teurs, scoliastes, philologues, grammairiens, moralistes, pères de l'Eglise, tout est mis à contribution pour résoudre ces grands et intéressans problêmes. Je ne dirai pas que le sujet soit frivole; mais certainement l'auteur allemand ne l'est pas non plus.

Un écrivain français, émule de cet Allemand, vient de publier un ouvrage non moins érudit et non moins étayé de graves et imposantes autorités, sur un sujet où l'on s'étonne moins, il est vrai, de voir prodiguer les trésors de l'érudition, mais qui cependant touche par quelque point, comme j'aurai occasion de le faire remarquer, à celui de l'auteur qui nous a si prolixement décrit en quatre cents pages la matinée d'une dame romaine. Ce n'est pas le tout de savoir comment une petite-maîtresse de l'antique Rome teignait ses sourcils, avec quel art elle nouait sa ceinture ou formait de ses cheveux des mêches, des crochets et des boucles; il est encore essentiel de connaître le lieu où s'accomplissaient tous ces mystères de la coquetterie, de pénétrer dans le cabinet de toilette de Julia, de Flora ou de toute autre beauté romaine, et de passer de là dans son bou

doir, dans sa chambre, dans l'appartement de son mari, dans les salons magnifiques où elle reçoit ses amis, dans le triclinium ou salle à manger où elle leur donne de magnifiques repas, dans les bains où elle se rafraîchit, dans les jardins où elle se promène, enfin, dans tous les détails et les accessoires d'une vaste et superbe maison romaine, propriété d'un de ces opulens Romains dont le luxe et les vices qui en sont la suite vengèrent l'univers vaincu, suivant l'expression énergique d'un célèbre satirique.

Tel est, Madame, le but que s'est proposé l'auteur du Palais de Scaurus. Je l'avoue, j'ai été saisi d'étonnement à la vue de la grandeur et de l'étendue de ces bâtimens et de ces parcs, et en lisant l'énumération de toutes les richesses de la nature, de tous les objets d'art, de toutes les recherches de luxe qui y sont accumulées; et peut-être ai-je cru trop facilement que ce qui avait droit de m'étonner avait aussi le droit de vous intéresser. Ah! Madame, que nous sommes mal logés! combien nous devons rougir de nos mesquins hôtels et de nos pauvres châteaux! Nous nous croyons bien servis, quand nous

avons trente laquais à nos ordres : quelle pitié! Il n'y a pas là, peut-être, la moitié des gens qu'il aurait fallu à Scaurus, seulement pour prendre un bain. Il n'avait pas moins de quatre mille cent seize personnes attachées au service de sa maison, sans compter les esclaves destinés à la culture de ses terres, qui n'étaient pas en moindre nombre, puisque ces terres étaient labourées par trois mille paires de boeufs : telle était en effet la fortune d'un Romain au tems de Pline, ainsi que l'atteste ce célèbre écrivain,

Je me rappelle, Madame, que, lorsqu'au mois de novembre dernier j'eus l'honneur d'aller vous voir à votre jolie campagne de B......, je vous fis compliment sur l'élégance et l'ameublement de votre salon. Je ne retire point mon compliment; mais, je dois l'avouer, Lollia, la femme de Scaurus, en avait de plus beaux : il est vrai que probablement elle n'en faisait les honneurs ni avec autant de grâce, ni avec autant d'esprit. L'aimable accueil qu'on reçoit à B...... est bien préférable à toutes les magnificences du palais de Scaurus.

Je ne pourrai jamais, Madame, dans une

simple lettre, vous faire connaître tous les prodiges de cette magnificence; j'avoue que je ne m'en étais point formé une idée avant la lecture de ce livre. J'avais cependant lu dans Pline qu'un des plus mauvais sujets de Rome, le fameux Clodius, qui fit raser la maison de Cicéron, en avait acheté une qui lui coûtait près de quinze millions de sesterces, c'est-à-dire environ trois millions de notre monnaie. On peut sans doute avoir une assez belle maison à ce prix-là; mais je crois que les cuisines de Scaurus valaient presque autant. Je n'entreprendrai point, Madame, de vous faire parcourir toutes les pièces de ce vaste palais, et de vous promener du vestibule au prothyrum, du prothyrum à l'atrium, et puis à l'exèdre, au sacrarium, au sphæristerium, etc. Ces descriptions remplissent un volume entier, prenons donc le parti

De sauter vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et nous nous sauverons au travers du jardin.

Entrons brusquement, et sans nous arrêter ni aux magnifiques cours extérieures, ni à l'area, ni au prothyrum, ni à l'atrium, ni

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