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CHAMPENOISES.

DOUZIÈME LETTRE.

Il n'y a pas de siècle qui soit plus digne, je ne dirai point de l'admiration, mais du respect universel, que celuiauquel Louis XIV a légué la majesté de son nom. On peut sans doute lui opposer dans l'antiquité quelques hommes illustres qui contrebalancent un instant sa gloire; mais où trouver des caractères aussi nobles, aussi purs, que ceux qui composent l'élite de la littérature du grand siècle? Il semble, Madame, que la vertu et le génie, qui depuis si long-tems étaient séparés, ont mis en commun toute leur puissance pour accomplir les destinées de cette époque, qui restera toujours unique dans les fastes de l'histoire. Aussi avec

quel ravissement ne pénètre-t-on pas dans la vie intérieure de ces écrivains, éternel honneur de la France! On ne craint pas qu'aucune action démente l'élévation de leurs écrits; car, puisant à leur cœur, c'était là qu'ils rencontraient les plus sublimes inspirations. Les détails que l'on a pu se procurer sur Pascal, Racine, Bossuet, Fenelon, ont répandu un charme si particulier sur leur mémoire, qu'elle en est devenue européenne; mais ces hommes, dont un 'seul eût suffi à l'illustration d'un peuple, ne composent pas tout entier le patrimoine du grand siècle : à côté d'eux, et comme titres de plus à la gloire, viennent se placer les douceurs, Tés intimités de la vie sociale; le charme arme de la plus haute et de la plus instructive des conversations; enfin, les épanchemens d'une mère éloignée de sa fille ajoutent un immortel éclat à la magnificence du XVIIe siècle. En effet, il suffit qu'un nóm ait été plusieurs fois reproduit sous la plame de madame de Sévigné, pour qu'il appartienne à la postérité. M. de Coulanges, si souvent mis en scène dans la correspondance de la plus aimable des femmes, était

donc digne des recherches de M. de Montmerqué. Aussi vous ai-je vue plusieurs fois regretter de ne trouver, dans les Mémoires du tems, aucun détail sur le petit cousin: ce n'est pas que vous n'ayez souvent entendu parler de la facilité de ses chansons et de la rapide continuité de ses voyages; mais ce n'était pas assez pour satisfaire la curiosité d'une sévignienne comme vous: : il fallait bien dayantage. Lisez donc, Madame, les Mémoires de Coulanges, que vient de publier M. de Montmerqué, et vous n'aurez plus rien à désirer. Vous y verrez que Coulanges, après avoir acheté une charge de conseiller au parlement de Metz, profite de sa première vacance pour aller courir en Allemagne, où le duc de Wurtemberg lui donne un vrai diner d'éligible, c'est-à-dire que chaque convive fut rapporté chez lui: ce qui prouve sans réplique qu'on avait déjà l'instinct des gouvernemens représentatifs, et que les idées libérales commençaient à poindre. Coulanges acheta plus tard une charge de conseiller au parlement de Paris; mais, trop occupé à chanter et à dîner, il

ne trouvait guère le tems de faire ses rapports. La civilisation était d'ailleurs si peu avancée au parlement de Paris, que l'on n'avait point encore inventé la mode des suppléans ; il fallait donc payer de sa personne. Sujet à s'embrouiller dans ses rapports, Coulanges renonça un beau matin à son métier de juge, pour consacrer le reste de sa vie au plaisir. En troubadour de bonne compagnie, il cou-' rait chanter de château en château. Trèsproche parent, par sa femme, du ministre Louvois; cousin-germain de madame de Sévigné, Coulanges vivait d'habitude avec les princes et les ducs; il était lié, enfin, avec tout ce qu'il y avait de plus illustre à la cour. Il poussait quelquefois un peu loin ses voyages d'amateur, puisque à deux reprises il alla à Rome pour être témoin de l'élection d'un pape. Ses Mémoires roulent en partie sur les événemens secrets qui se passèrent aux deux conclaves auxquels il assista; mais je passerai sous silence ces détails pour vous entretenir des usages et des mœurs des Italiens de Rome. Je vous avertis d'avance que je ne m'inquiéterai guère des transitions;

mais peu vous importe, si vous trouvez quelque agrément dans les faits dont j'ai fait choix. De toutes les processions qui ont lieu dans la capitale du monde chrétien, la plus étonnante est celle des pénitens, qui, partant le Jeudi-Saint, vers les onze heures et demie du soir, de l'oratoire Saint-Marcel, vient à petits pas, dans le Vatican, faire une station dans la chapelle Pauline, devant le Saint-Sacrement, où on lui fait voir toutes les reliques qui s'y conservent,

La croix et la bannière, dit Coulanges, étaient en tête; ensuite marchaient les cardinaux Azzolini, Landgrave, Carlo Barberini', revêtus chacun d'un sac, ayant le bourdon à la main, précédés de tous leurs domestiques vêtus de livrée, et de quantité d'artisans tenant chacun un gros flambeau de cire blanche; derrière les cardinaux venaient les pénitens revêtus de sacs gris, le visage couvert, et le dos nu, exposé à une rude discipline avec laquelle ils se fustigeaient jusqu'au sang; quelques-uns avaient des sacs blancs sur lesquels ils secouaient la discipline pour faire paraître le sang et ren

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