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suivi. Accueillis par l'hospitalité généreuse des Cubains, ils avaient fondé une petite colonie qui habitait le littoral de cette île, la plus proche d'Haïti. Ils y avaient apporté avec eux leur or et leurs dieux, et peut-être y avaient-ils déjà oublié une patrie où il n'y avait plus pour eux que mort et servitude, lorsqu'ils apprirent que les Espagnols allaient venir s'emparer de Cuba. L'alarme fut grande parmi eux. Où aller désormais pour fuir ces implacables conquérants? Dans leur perplexité, ils se réunirent pour délibérer sur leur malheureux sort. Ils formèrent un tas de leurs métaux précieux et de leurs reliques sacrées autour duquel ils étaient tous silencieux attendant les conseils et l'avis de leur chef.« Voici la cause des malheurs d'Haïti, dit Hatuey, c'est cet or pour lequel les Espagnols commettent tant de cruautés et nous poursuivent jusque dans notre paisible retraite. Où le cacher, pour qu'ils ne le prennent pas avec notre vie et notre liberté? » Comme un de ceux qui l'écoutaient proposa que chacun avalerait son or pour le dérober aux envahisseurs. - << Ils vous ouvriraient le ventre pour le trouver, repartit Hatuey; jetons-le plutôt dans le fleuve. »- Et, à l'instant, ils lancèrent dans les flots leurs idoles et leurs métaux.

»—

Bientôt, en effet, l'expédition espagnole descendit à Cuba sous la conduite d'un Diego Velasquez, un des compagnons de C. Colomb, à son second voyage. Les aborigènes de l'île gagnèrent leurs montagnes dans l'intérieur des terres, et la petite tribu haïtienne de Hatuey tenta seule de s'opposer à ce débarquement. Elle fut écrasée et dispersée. Hatuey fut fait prisonnier, et condamné à périr dans les flammes. Lié à un poteau dressé au-dessus de son bûcher, il était fièrement résigné à

mourir. Un moine franciscain, désirant le convertir au Dieu des chrétiens, dans cet instant suprême, s'approcha de lui, et lui parla du bonheur dans l'autre monde des âmes qui se rachètent dans celui-ci. Il lui dépeignait les félicités célestes du paradis, lorsque Hatuey l'arrêta pour lui demander s'il y avait des Espagnols dans ce paradis si délicieux. — «< « Oui, répondit le moine; mais ceux qui sont dignes et bons. » Les meilleurs d'entre eux, répliqua le cacique, ne sont ni dignes ni bons. Je ne voudrais aller en aucun lieu où se trouvât un seul être de cette race maudite. » Sa mort acheva d'épouvanter les Cubains, et, sans plus d'autres combats, l'île fut conquise.

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Cet événement est postérieur de huit années environ ⚫à celui du Xaragua. Durant six mois après le sac de Yaguana, narré plus haut, les soldats d'Ovando battaient encore le pays, eten exterminaient les habitants, le gouverneur ne voulait pas y laisser existant un seul Indien de quelque rang ou de quelque influence, qui pût, par la suite, y relever l'autorité aborigène. C'est ainsi qu'un neveu de la reine, le cacique Guaora, qui s'était quelque temps dérobé à la poursuite des Espagnols, fut traqué dans les montagnes, pris et tué. Il entrait dans les vues d'Ovando de détruire à jamais le royaume de Xaragua pour l'incorporer aux autres territoires exclusivement rangés sous la domination coloniale. Quand il fut bien sûr d'avoir entièrement atteint son but, il repartit pour Santo-Domingo, y amenant liée et garrottée Anacaona, la gracieuse reine, l'illustre poète. Elle y fut ignominieusement pendue.

Voilà comme on fait souvent une conquête pour la plus grande gloire de l'humanité!

CHAPITRE XI

(1504)

Ovando se prépare à envahir le Higuey.

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Son

Habitants de cette province. Leur caractère, plus belliqueux que les autres aborigènes, excepté les Ciguayens. Cotubanama leur cacique. Son portrait. caractère. Même tactique des Espagnols envers lui, qu'envers Guacanagaric. Confiante sécurité de Cotubanama. Incident fortuit qui motive la guerre contre le Higuey: Indien dévoré par un chien. Représailles de Cotubanama. Une armée espagnole sous le commandement d'un officier du nom de J. Esquibel envahit' le territoire de Higuey. Résistance énergique de la population, surprise par la soudaineté de l'invasion. Difficultés éprouvées par les Espagnols. Ils les surmontent néanmoins, et arrivent à une petite distance de la capitale de Cotubanama. Traité de paix conclu avec ce cacique. Le tribut lui est imposé. Sa visite dans le camp espagnol. Trait de mœurs. — J. Esquibel bâtit une forteresse dans le village où il avait établi son quartier général. Il y laisse une garnison. Peu de temps après la retraite de l'armée expéditionnaire, les Indiens de Higuey assiègent la forteresse, la brûlent et en massacrent la garnison. Un seul Espagnol parvient à se sauver. - Il porte la nouvelle de ce désastre à Santo-Domingo. Exaspération qu'elle y cause. Le Higuey est de nouveau envahi. Difficultés plus grandes de la nouvelle campagne. Espagnols sont vainqueurs. Ils pénètrent jusqu'à la capitale de Higuey où étaient concentrées les forces des Indiens. Prise de ce village. Défaite et dispersion des Indiens. Cotubanama se réfugie dans la petite île de la Saôna. Les Espagnols l'y poursuivent. - Il est pris et conduit à Santo-Domingo, où il est exécuté. Complète soumission de la province de Higuey. - Progrès et aspect de la colonie, après cette conquête.

Les

Ovando n'avait pas encore achevé la conquête du Xaragua, qu'il pensait déjà à celle de la province de

Higuey, la seule, comme on l'a vu, qui restait à soumettre pour que la subjugation de l'île entière fût consommée. Il avait le projet de passer d'une campagne à l'autre sans repos et sans trêve: c'est un but qu'il avait hâte d'atteindre, pour qu'un autre n'en recueillît point la gloire; et, si un prétexte allait lui manquer pour entrer en guerre avec les naturels de Higuey, il en inventerait un. Mais on verra tout à l'heure que le hasard ou la fatalité l'en dispensa.

Ces Indiens, quoique les plus proches voisins de la colonie, avaient vécu en paix avec elle jusqu'ici. Ils étaient des Caraïbes presque purs et peu modifiés par la transmigration. Sans être anthropophages, ils avaient conservé l'énergie native et la rudesse de mœurs de ⚫ leurs originaires; ils étaient, comme eux, grands de taille; plus sauvages, plus belliqueux que les autres habitants d'Haïti, excepté, peut-être les Ciguayens auxquels ils ressemblaient le plus par les traits physiques et moraux. Assurément, ils n'étaient pas disposés à se laisser égorger comme les Indiens efféminés du Xaragua; mais ils étaient de trempe, au contraire, à lutter avec leurs oppresseurs jusqu'à l'extrémité pour la défense de leur indépendance et de leur territoire, et à ne succomber que quand la lutte serait trop inégale, et quand tout espoir serait perdu de vaincre un ennemi supérieur. Leur chef était Cotubanama, le cacique le plus redoutable après Caonabo. On est habitué à trouver ces deux noms dans les historiens de la découverte, avec des épithètes constantes qui les caractérisent; c'est toujours le fier Caonabo et le farouche Cotubanama. Cotubanama était d'une stature colossale; sa tête était très grosse, quoique proportionnée à sa taille; elle était chargée d'une

épaisse et longue chevelure. On dit que d'une épaule à l'autre, il avait la largeur d'un mètre. Ses bras étaient musculeux et puissants; lui seul, comme Ulysse, pouvait bander son arc. La beauté de son visage et de ce corps dépassant les proportions ordinaires de l'homme, faisait l'admiration, non seulement des siens, mais des Espagnols eux-mêmes. C'était presque un géant. On l'avait surnommé le farouche, non pas parce que sa physionomie était dure et menaçante, máis parce qu'elle exprimait, toute douce qu'elle fût au contraire, les agitations intérieures et continuelles d'une âme ombrageuse et prompte à s'exalter. Il eut beau être un hercule, il n'empêcha pas le sort de s'accomplir; il ne préserva pas, hélas! ses sujets de la servitude et son royaume de la conquête. N'est-il pas remarquable que ce territoire indien le plus voisin des Espagnols fut le dernier à tomber sous leur joug? Ainsi procédaient, au reste, nos conquérants. Lorsqu'ils étaient sur le rivage opposé, et qu'ils y avaient leur quartier général dans l'ancienne Isabelle, ils avaient usé de la même tactique à l'égard de Guacanagaric, et surtout de Guarionex, les ménageant et se faisant fort de vivre en paix avec eux, tant qu'ils avaient eu à combattre au loin. Ils avaient toujours soin de laisser derrière eux une retraite libre et sûre. Mais quand ils en avaient fini avec leurs entreprises lointaines, ils revenaient quereller leurs voisins et leur porter, en temps opportun, les coups que leur réservait leur perfide amitié. Des peuples rompus à la politique ne sont pas toujours à l'abri de ces sortes de surprises; jugez des sauvages sans esprit de précaution et de prudence. Guarionex était, pourtant, plein de défiance contre eux; mais il se perdit en ne sachant pas se pré

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