Page images
PDF
EPUB

territoires riches en mines d'or et renfermant d'innombrables sujets.

Il entrait dans ses calculs apparents d'amorcer l'ambition et la cupidité des souverains, mais en réalité il était mû par la grande et religieuse pensée de reculer les bornes du monde chrétien et de conquérir au catholicisme des populations nouvelles. Cette pensée le sauva, peut-être, de l'incrimination d'hérésie car il avait assez proclamé de vérités inouïes pour s'attirer le martyre. Il était condamnable au bûcher on le jugea seulement en proie à la vision ou à la démence. C'est à peu près ainsi qu'il fut traité par la Junte de Portugal devant laquelle il fut appelé à développer son projet. Il avait su captiver l'attention du roi Jean II, épris, comme son grand oncle le Prince Henri, de la passion des découvertes, et avait réussi à flatter ses espérances. Quelles que fussent celles que lui firent concevoir les brillantes offres de Colomb d'accroître la prospérité de son royaume, il paraît cependant qu'il se laissa persuader par ses principaux conseillers.que l'entreprise était trop hasardeuse. L'un d'eux, l'Evêque de Ceuta, ne se proposa pas seulement, dans un discours prononcé devant la Junte, de renverser les projets du pilote génois, mais aussi d'enrayer toutes les découvertes dans lesquelles s'était engagée depuis quelque temps la cour de Portugal. « Elles tendent, disait-il, à distraire

l'attention, à épuiser les ressources et à diviser les «forces de la nation, déjà trop affaiblie par des guerres <«< récentes et par la peste. Quand nos forces seront « ainsi disséminées à l'extérieur et dans des entreprises <«<lointaines et sans profit, nous nous exposerons aux

[ocr errors]
[ocr errors]

agressions de notre actif ennemi, le roi de Castille. «La grandeur des monarques consiste moins dans << l'extension de leurs États que dans la sagesse et << l'habileté qu'ils mettent à les administrer. La nation portugaise est possédée de la manie de se lancer dans << des entreprises, sans considérer préalablement si « elles sont compatibles avec ses moyens. Celles qui << occupent en ce moment le roi sont suffisantes et << offrent assez d'avantages, pour qu'il n'aille pas se << commettre dans d'autres projets chimériques et extravagants. S'il désire de l'emploi pour la valeur active « de la nation, la guerre commencée contre les Maures « de Barbarie suffit. Ici l'avantage du triomphe est réel, (( puisque son effet est d'affaiblir et de désarmer des << ennemis limitrophes qui ont prouvé combien ils étaient dangereux quand ils possédaient le pouvoir.

[ocr errors]
[ocr errors]

Tel fut le langage d'un homme d'Eglise, plus intéressé qu'un autre peut-être au succès de Colomb. Cependant il se trouva une voix pour protester au nom de la foi chrétienne et de la gloire de sa nation, ce fut celle d'un soldat. Singulière interversion de rôles !

« Le Portugal, répliqua le Comte de Villa Real, n'en << est pas à son enfance, et ses princes ne sont pas si << pauvres qu'ils soient tout à fait privés des moyens

[ocr errors]

d'entreprendre des découvertes. En supposant même << que les projets de Colomb soient chimériques, pourquoi abandonnerait-on ceux dont l'exécution a commencé <«<sous le feu Prince Henri, sur de si solides bases, et

s'est poursuivie à travers tant d'heureux résultats ? « Les trônes s'enrichissent par le commerce, s'affer

[ocr errors]
[ocr errors]

((

[ocr errors]

<< missent par les alliances, et accroissent leur puissance « par la conquête. Le Portugal est en paix avec tous << les princes de l'Europe. Il n'a rien à craindre de s'en«gager dans de grandes entreprises. La plus grande gloire de la valeur portugaise serait de pénétrer dans << les secrètes horreurs de cet océan si redoutable aux << autres nations du monde. C'est outrager le nom portugais que de le menacer de périls imaginaires après qu'il a donné tant de preuves de son intrépidité. Les « grandes âmes sont faites pour les grandes entreprises. << Il est étonnant qu'un prélat, distingué comme l'évêque «< de Ceuta, soit opposé à une entreprise dont l'objet, en définitive, est d'étendre la foi catholique, en la propa« geant d'un pôle à l'autre. Quoique soldat, j'ose prophétiser au prince qui achèvera cette entreprise plus <«< de bonheur et de durable renommée que n'en << obtinrent jamais les souverains les plus favorisés de «la fortune et du courage. »

[ocr errors]
[ocr errors]

L'évêque de Ceuta ne se contenta pas de discourir. Homme d'intrigue et de manœuvre, il imagina d'agir sur l'esprit de son souverain et de fixer ses irrésolutions par le stratagème suivant. Il demanda à Colomb d'exposer son plan en détail et d'exhiber les cartes et tous les documents qui devaient servir à son entreprise, sous prétexte de les soumettre à l'examen du conseil du Roi. Colomb s'empressa d'y obtempérer. Durant le temps supposé nécessaire pour cet examen, un navire fut expédié avec la mission ostensible d'apporter des provisions au Cap Vert, mais avec l'ordre secret de suivre la route • tracée sur la carte du pilote génois. Le résultat combla l'attente de l'artificieux évêque : les marins de l'expé

dition se découragèrent de courir toujours à l'Ouest sur une immensité de mers inconnues et à travers les plus violentes tempêtes. Saisis de toutes les terreurs dont l'imagination populaire avait rempli ces régions, ils changèrent brusquement de route et regagnèrent bientôt Lisbonne, sans plus s'aventurer.

Sur la foi de cette ridicule épreuve, le projet fut déclaré extravagant et impraticable. Colomb vit bien qu'il ne devait plus compter sur le roi qu'on avait pris tant de soin de lui rendre contraire; indigné surtout de la perfidie du dernier procédé dont on venait d'user envers lui, il quitta le Portugal et retourna dans sa patrie.

Peu de temps après, il partit pour l'Espagne. Il éprouvera de nouveaux déboires, mais enfin il finira par vaincre l'obstination de l'ignorance et des préjugés de son siècle sur ce dernier théâtre de sa gloire et de ses malheurs. Il se présenta à la cour d'Espagne dans un moment très peu favorable au succès de sa démarche. Elle était tout occupée de préparatifs de guerre contre la ligue des deux rois maures rivaux qui se partageaient alors le royaume de Grenade.

Bientôt survinrent les sièges et les combats. Complication fâcheuse! Mais fût-on en paix, qu'il y aurait encore peu de chance de faire écouter des projets de découvertes dont la hardiesse et l'étrangeté soulevaient partout l'incrédulité et la raillerie; et, pour comble de tort ou de malheur, celui qui les venait dérouler en présence de la cour d'Espagne, environnée de tant de luxe et de splendeur, avait tout l'air, au dénuement de sa

mise, d'un importun ou d'un aventurier chercheur de dupes. Il était toléré à peine par les uns et dédaigné par les autres. A force de sollicitations, il obtint une audience du roi. Il développa devant lui avec une grande chaleur de conviction et d'éloquence ses idées sur l'existence, dans l'Atlantique, d'un monde nouveau, habité et abondant en or et en épices. Ferdinand, qui était un esprit éclairé et perspicace, ne se laissa pas seulement charmer au récit de ces brillantes chimères (comme on le disait alors de ces inspirations du génie, justifiées plus tard), il fut frappé de la solidité des raisons et des preuves alléguées par Colomb dans tout le cours de son entretien. Il ne voulut pas cependant, en une matière si grave, s'en rapporter à ses seules lumières; il résolut de consulter les savants les plus compétents de son royaume dans le but d'éclairer plus sciemment sa décision.

En conséquence, un conseil fut convoqué dans le couvent dominicain de Saint-Stephen, à Salamanque, devant lequel Colomb comparut pour exposer ses doctrines et son projet. L'obscur navigateur s'y trouva en présence de ce que l'Espagne comptait d'astronomes, de géographes, de mathématiciens les plus célèbres, de moines et de dignitaires ecclésiastiques les plus savants et les plus respectables. La seule composition de ce conseil était faite pour inspirer de l'espoir et de la confiance. On dit que Colomb en conçut beaucoup et qu'il se flatta même de triompher; qu'en cette occasion, il déploya toutes les ressources de sa science, et fit un suprême effort d'éloquence et de génie, et que jamais il ne plaida avec plus de bonheur la cause du nouveau monde promis. Il conquit les suffrages de plusieurs

« PreviousContinue »