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« elle est surtout bien éloignée de vouloir qu'on rende << les peuples esclaves, sous prétexte qu'ils sont nés << pour cela, comme le prétend le seigneur évêque. Que « Votre Majesté daigne donc, au commencement de son règne, témoigner hautement son mépris pour «< cette mauvaise doctrine, et désavouer ses consé«quences. >>

Quand Las Casas eut fini de parler, un religieux franciscain, récemment venu d'Haïti, appuya avec véhémence l'opinion et le dire du protecteur des Indiens. L'amiral Diégo fut, à son tour, invité à exposer tout ce qu'il savait de la situation des Indes. Il confirma avec l'autorité de son expérience tout ce qui avait été avancé sur la malheureuse condition des Indiens ⚫et la mauvaise administration de la colonie, dont il ajouta que la perte était infaillible, si on ne venait promptement à son secours.

L'évêque du Darien ayant demandé une seconde fois la permission de porter la parole, le grand chancelier consulta le roi, et répondit à l'évêque que, s'il avait quelque autre chose à dire, il pourrait en présenter un mémoire qui serait examiné. Le roi se leva alors, et sortit du conseil.

que

Les partisans de la servitude des Indiens n'eurent pas le dessus dans ces débats; mais ils étaient confiants le train des choses dans les colonies n'en serait pas changé, et que tous les beaux plans de réforme qu'on avait exposés au pied du trône n'auraient pas plus de succès désormais qu'auparavant. Ils furent assez indifférents aux décisions qui émanèrent, à cette occasion, du conseil du roi.

Les Hiéronymites furent rappelés, et l'amiral réintégré

dans son gouvernement des Indes. Les propositions de Las Casas furent admises. Il avait exposé tout un projet de colonisation des Indiens, fondé sur leur liberté et sur leur conversion religieuse.

Le roi, qui prenait un intérêt sérieux aux affaires du Nouveau-Monde, donna des ordres, et fit préparer des instructions détaillées pour l'exécution de ce projet. Il consistait à coloniser une étendue de pays où les Espagnols n'avaient pas séjourné, et n'avaient pas encore porté le ravage de leurs armes et de leur cupidité. On choisit le pays de Cumana sur la Terre-Ferme. Cinquante laboureurs libres devaient entreprendre, sous la direction de Las Casas, les premiers travaux agricoles ou de minés. Les prêtres qui l'accompagnaient, et qui étaient attachés à sa mission, devaient se croiser de rouge sur la poitrine et aux bras. Leurs vêtements étaient d'étoffe blanche, afin qu'ils parussent des hommes tout nouveaux aux Indiens sous ce costume qu'ils n'avaient encore jamais vu.

Il était devenu si difficile de tenter quoi que ce soit en faveur des aborigènes d'Haïti, dont la race était déjà presque éteinte dans la servitude, qu'on songeait à diriger ses efforts ailleurs, où les peuples du NouveauMonde avaient à peine ou pas encore subi le contact des conquérants. On se promettait bien qu'en prouvant que des sauvages, pris au hasard dans leurs forêts, pouvaient se changer en fervents chrétiens et se civiliser, la cause des aborigènes d'Haïti serait gagnée. Mais, d'ici là, qu'adviendrait-il? Et dans le fait, avant que leur cause fût gagnée, si elle le fut jamais, ils avaient tous péri jusqu'au dernier.

CHAPITRE XIII

(1516-1520)

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Guerre d'affranchissement des derniers Indiens. Cacique Henri. Son origine, ses mœurs, son caractère. Élevé par les dominicains. Il est fait esclave. Son premier maître, père d'un nommé Valençuela. Celui-ci devient son maître, en héritant de son père. Sa haine et sa persécution contre Henri. Henri s'y dérobe par la fuite. Il se réfugie dans les montagnes de Baoruco. Valençuela l'y poursuit. Rencontre où Valençuela est blessé, et n'est sauvé que par la générosité de son esclave. Le parti de Henri grossit dans la retraite, et devient bientôt une petite tribu qui dispute son indépendance. Il la discipline et l'exerce aux combats. Révolte des Africains sur l'habitation de Don Diego, à l'imitation des Indiens. Ils sont défaits sur les bords du Nisao. La milice envoyée contre Henri est défaite en bataille rangée. Générosité du chef indien. Trait de clémence. Il prend ouvertement le titre de cacique de l'île. Mission du Père Rémy dans le Baoruco. Réception affectueuse que lui fait le cacique Henri. Insuccès de cette mission. Seconde mission du Père Rémy, infructueuse comme la première.

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Pendant qu'en Europe, la philanthropie s'épuisait en vains efforts pour arracher les derniers vestiges des aborigènes d'Haïti au plus dur esclavage, et que l'avidité coloniale refusait obstinément de lâcher sa proie, et de laisser rançonner ses victimes, ces victimes, ces serfs eux-mêmes reprenaient en main la cause de leur émancipation. Ils recommençaient la lutte interrompue à la chute de Cotubanama. Ils n'étaient plus qu'une poignée;

ils étaient à bout de souffrances et de désespoir. Leur destruction était inévitable. Ils le savaient bien; mais ils se dévouaient à une fin glorieuse. Que les derniers aborigènes périssent au moins libres, et que, par un effort suprême, par une résolution héroïque, ils vengent, en tombant ou avant de disparaître, tout le sang versé de leur race, ceux de leurs frères, surtout, qui furent asservis et égorgés sans résistance et sans combat. Que le sol reste aux conquérants impitoyables; mais que pas un seul de ses légitimes possesseurs n'y soit enchaîné, et n'y vive dans la dégradation et le déshonneur! Tel est le serment qu'ils semblaient avoir fait. Ils ne se parjurèrent point. Ils se jetèrent dans leurs montagnes, ces remparts naturels de la liberté et de l'indépendance; ils y soutinrent, pendant quatorze années, le choc des maîtres et des conquérants, y devinrent formidables, mirent la colonie à deux doigts de sa perte, et obtinrent enfin une paix honorable qu'ils stipulèrent sous les conditions d'une entière liberté pour les derniers rejetons de leur race.

Le récit de cette lutte finale achève l'histoire des caciques et des aborigènes d'Haïti. Henri, le dernier de ces caciques, était un sauvage converti, et portait un nom chrétien. Il l'était réellement devenu comme la plupart de ses compagnons d'armes. Il fut le plus grand homme de sa race. On aime à penser qu'il eût été digne de commander à un grand peuple, et d'être, par exemple, le souverain des indigènes haïtiens, lorsqu'ils se comptaient par centaines de mille, et qu'ils formaient une nation; mais, cependant, Dieu sait s'il eût été plus illustre sous les auspices d'une autre fortune, et s'il eût été plus glorieux pour lui d'être autre chose que le chef

magnanime d'une petite tribu de braves, se délivrant de la servitude, et contraignant leurs maîtres à les laisser finir, paisiblement, dans la liberté et l'honneur, le reste des jours comptés à leur race?

Lorsque la reine Isabelle s'occupait des moyens de convertir les Indiens au christianisme, elle avait surtout prescrit que les fils et les descendants des caciques fussent placés dans les couvents, pour y être instruits dans les lettres, et élevés dans les lumières et la pratique de la loi. Le jeune Henri descendant d'un cacique du Baoruco qui avait péri dans le massacre du Xaragua, sauvé lui-même miraculeusement de ce désastre, fut recueilli dans le couvent des dominicains à Santo-Domingo. Il y fut baptisé, et y apprit bien tout ce qu'on lui enseignait. Il y étudia le latin, et s'y distingua surtout par sa ferveur de dévotion.

Une pareille éducation le préparait au commandement suprême d'un peuple, le rendait apte à réformer ses mœurs et sa civilisation; elle ne le façonnait pas, assurément, pour l'esclavage. Cependant, dans un moment de disette d'esclaves, et dans la manie et le désordre d'asservir, on alla jusque dans les couvents arracher de jeunes Indiens qui, comme Henri, avaient été, jusque-là, dérobés au joug des maîtres. Henri fut compris dans un lot d'esclaves donné à un colon qui, peu après, mourut en laissant tous ses biens à un fils du nom de Valençuela. Henri avait réussi à se faire chérir de son premier maitre, en sorte que, dans les premiers moments de son esclavage, il ne sentit pas toute l'horreur du changement de sa condition. Mais il en fut bien différemment avec son nouveau maître. Celui-ci le prit en haine, et le traita plus durement

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