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CHAPITRE III

(1492-1493)

Désir de Guacanagaric de voir les Etrangers.

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Invitation qu'il fait à Colomb de venir mouiller en vue de sa bourgade. Colomb s'arrête à une autre bourgade à quelques milles de la sienne. Il continue sa route. — Naufrage d'un des bâtiments de la flottille, à la baie de l'Acul. Sa Secours envoyés par Guacanagaric. visite à bord du bâtiment de l'Amiral. Ses condoléances. Il dîne à bord. - II descend accompagné de Colomb. - Collation préparée dans la maison du Cacique. Conversation avec l'Amiral. - Récréations après le repas. Colomb obtient la concession d'un terrain et y construit une forteresse à laquelle il donne le nom de « La Nativité » pour commémorer le jour de son arrivée dans ce lieu. - Il y place une garnison. - Instructions de Colomb à la garnison de la Nativité. Visite d'adieux à Guacanagaric. Réception. Jeux et danses des Indiens. Exercices militaires des Espagnols. - Départ de Colomb. tions.

Indiscipline des Espagnols.

Oubli de ses recommanda- Mauvais traitements infli

gés par eux aux Naturels. Mauvais effet de cette conduite dans les autres parties de l'île. Ligue formée contre Guacanagaric et les Espagnols de la Nativité, et dirigée par Caonabo, cacique de la Maguana. Escovedo et deux de ses compagnons surpris dans une excursion sur le territoire de Caonabo, saisis et mis à mort. Expédition de Caonabo contre la Nativité. Massacre des Espagnols. Incendie de la forteresse. Incendie de la bourgade de Guacanagaric. Combat livré par celui-ci où il est défait et blessé de la main même de Caonabo Retour immédiat de Cao

nabo dans son royaume.

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Guacanagaric était désireux de voir les étrangers dont on lui avait fait tant de rapports merveilleux. Les

Indiens qui les avaient dévancés dans le village du Cacique, assuraient qu'ils reconnaîtraient de loin leurs vastes canots qui couraient sur la mer sans rames, mais avec de grandes ailes blanches enflées par les vents; et ils allaient sur les pics les plus élevés qui bordent le rivage pour les découvrir et les signaler à leur manière, dès leur apparition.

La flottille vint mouiller; au grand regret de Guacanagaric, à la distance de plusieurs lieues de son village, mais à proximité d'un autre village où elle fut accueillie avec joie. Les bâtiments avaient à peine jeté l'ancre qu'une multitude d'Indiens vinrent à bord en canots ou à la nage. L'Amiral leur fit distribuer des présents en retour des provisions qu'ils avaient apportées et données de si bon cœur. Il expédia ensuite à terre deux hommes de son équipage chargés de complimenter le gouverneur du village. Celui-ci, par le retour des députés, envoya à l'Amiral du coton en tissu et en pelotons filés, des fragments d'or et trois oies très grasses.

Des messagers de Guacanagaric vinrent aussi en cet endroit, dans un grand canot, à la rencontre des étrangers. Ils demandèrent à voir l'Amiral à qui ils remirent, de la part du Cacique, une ceinture qui avait, au lieu de bourse, un mufle avec deux grandes oreilles, la langue et le nez en or battu. Ils lui dirent que leur souverain l'invitait et le priait d'approcher avec ses vaisseaux de sa bourgade, et lui offrait d'avance tout ce qu'il possédait.

Cette invitation fut si gracieuse que Colomb, pour y répondre avec empressement, appareilla contre sa coutume, un dimanche. Faute de vent, il ne put pas atteindre le port où il devait se rendre. Il se fit précéder par une

de ses embarcations qu'accompagnait le canot qui portait les messagers du Cacique. Le canot indien, marchant plus vite que la chaloupe étrangère, la devança et alla annoncer au Cacique les envoyés de l'Amiral. Le Cacique, suivi de toute la population de sa bourgade, les reçut sur le rivage, et les conduisit de là sur une place préparée d'avance et parfaitement appropriée. Il leur fit rendre de grands honneurs. Les Indiens leur apportèrent, à l'envi, à boire et à manger, et leur donnèrent pour l'Amiral des morceaux d'étoffes de coton, des perroquets et de la poudre d'or. Le soir, quand les Espagnols voulurent se retirer, les Indiens les accompagnèrent en grand cortège.

A mesure que l'Amiral avançait vers le nord, il trouvait plus d'or; les Indiens de ce quartier en donnaient davantage en effet dans leurs échanges avec les Espagnols. On lui avait fait espérer que Guacanagaric mieux que personne lui ferait connaître les lieux d'où l'on tirait ce métal précieux. On lui avait parlé d'une région de l'est, qui confinait au Marien, comme le siège principal de ces mines; on avait prononcé le nom de Cibao, que Colomb croyait être le Cipango de MarcoPolo, et dont le souverain, assurait-on, avait des bannières toutes en or battu.

La flottille était à l'entrée de la baie d'Acul lorsqu'un calme plat la surprit dans la nuit du 25 décembre. L'Amiral venait de quitter le pont pour aller prendre un peu de repos. Tous les autres marins s'étant aussi endormis, le timon fut abandonné à un novice. Ce parage était semé de récifs et de bancs de sable; et, à la distance de deux milles environ où l'on était du rivage on entendait rugir les brisants. Tout à coup, le novice,

sentant la barre du gouvernail engagée, se mit à crier. Les courants avaient entraîné le navire sur un banc. L'équipage fut en un instant sur pied; mais, pensant plutôt à fuir le danger qu'à le conjurer, il n'exécuta rien de ce qu'avait commandé l'Amiral. Bientôt le bâtiment pencha d'un côté et s'ouvrit par les coutures. Les eaux s'y précipitèrent. Il fallut l'abandonner. Il submergea.

L'Amiral et son équipage se réfugièrent à bord de l'autre caravelle qui mit en panne le reste de la nuit, en attendant le jour. Des messagers étaient déjà partis pour aller apporter la nouvelle de ce sinistre au Cacique, qui avait fait à Colomb l'invitation de venir mouiller dans son port. Guacanagaric en fut si affligé qu'il pleura. Il envoya de suite du secours, et le lendemain, au jour, la mer était couverte de canots remplis d'indiens se dirigeant vers le lieu du naufrage. Ils secondèrent avec beaucoup de zèle et de célérité le sauvetage des effets du navire, et les transportèrent à terre dans des maisons que le Cacique avait destinées à cet effet. Ils firent eux-mêmes constamment la garde autour de ces dépôts; et jamais rien n'y manqua.

Guacanagaric avait envoyé à plusieurs reprises quelqu'un de ces parents ou de son escorte faire des condoléances à l'Amiral et lui renouveler l'offre de tout ce qu'il possédait. Il vint bientôt lui-même à bord. Il versait des larmes en abordant Colomb qu'il s'imaginait inconsolable. Le calme et la sérénité presque joyeuse de son hôte le frappèrent d'étonnement et d'admiration. Le sauvage concevait si peu qu'un homme fût capable de tant de force d'âme.

Le Cacique dîna avec l'Amiral; après quoi, ils se

rendirent ensemble à terre. Une collation y était aussi préparée dans les appartements du souverain indien. Celui-ci se revêtit d'une chemise et des gants que l'Amiral lui avait donnés. Il paraissait surtout faire grand cas de ces gants, et ne cessait de regarder ses mains. Cette préoccupation ne l'empêcha pas, durant le repas, de se livrer à une conversation très suivie avec son convive qui, de son côté, s'étonnait de trouver dans un sauvage, à l'étrangeté près de son costume de ce jour, tant d'affabilité, de dignité et de distinction dans les manières. On n'acquérait alors en Europe ces qualités, à un degré si remarquable, qu'au prix d'une éducation très libérale et en fréquentant les cours et la noblesse.

Guacanagaric exprima à Colomb combien il trouvait admirable son courage dans le malheur, et lui avoua qu'à sa place il eût été inconsolable de la perte de son navire, et qu'il n'eût pas cessé de trembler devant cet acte si manifeste de la colère de Zémès. Il lui dit que s'il voulait rester avec lui et ne plus s'exposer aux périls de la mer, il lui procurerait beaucoup d'or et lui enseignerait les lieux où il y en a en grande abondance. Il lui parla de sa première impression de terreur, de la terreur de toute sa population, lorsqu'on annonça l'arrivée de l'Amiral dans l'Ile. Qu'on avait cru d'abord que lui et ses compagnons étaient des Caraïbes, mais que dès qu'il sut au contraire qu'ils étaient des envoyés du ciel, il ne désira rien tant que de les voir et de les pour hôtes; qu'il était maintenant au comble de la satisfaction. Il parla en tremblant des Caraïbes, et s'étonnait que son hôte ne parût ressentir aucune crainte, au récit qu'il faisait des horreurs qu'ils avaient commises.

avoir

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