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morale de la France, 1790, in-8°; - l'Heureuse nation, ou Relation du gouvernement des Féliciens, peuple souverainement libre et heureux sous l'empire absolu des lois, 1792, 2 vol. in-8°. Le premier ouvrage n'est qu'une brochure politique dans le genre des précédentes; et le second n'est qu'une mauvaise variante de la Théorie du despotisme légal et de la philosophie de l'Ordre naturel des sociétés.

En résumé, la véritable gloire de Mercier de La Rivière consiste dans l'exposition et l'analyse qu'il a faites du système de Quesnay. C'est par

que la science économique le comptera toujours au nombre des esprits éminents, et que le livre de l'Ordre, que la politique n'aurait pas sauvé de l'oubli, en triomphera dans la postérité.

La Rivière mourut en 1793 ou 1794, sans que ses idées ultrà-monarchiques se fussent modifiées ni lui eussent attiré de persécution.

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OBSERVATIONS DE L'ÉDITEUR.

Le livre de l'Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, de Mercier de La Rivière, comprend en tout quarante-quatre chapitres, dont les neuf premiers sont consacrés par l'auteur à l'exposition de la Théorie de l'Ordre, et les trentecinq autres, en y comprenant le dernier, qui résume l'ouvrage, ont pour objet le développement de la mise en pratique ou des moyens d'application de cette Théorie. Ce titre et ce plan supposent un traité fort méthodique d'économie sociale; mais, dans la réalité, l'œuvre de La Rivière n'a pas ce mérite et n'offre, au contraire, jusqu'au chapitre XXVIe inclusivement, qu'un assemblage très confus de dissertations tenant tout à la fois à l'ordre moral, à la politique et aux intérêts matériels de la société. Ce n'est que dans les chapitres subséquents que l'écrivain aborde d'une manière exclusive le dernier sujet; et que dès lors, aussi, son livre acquiert, sous le rapport de la logique et de la clarté, une valeur que les pages précédentes n'offrent qu'à de trop longs intervalles. Cette dernière partie du travail de l'auteur, dans laquelle se trouvent approfondies, conséquemment au système de Quesnay, toutes ses idées sur la nature et l'objet du revenu public, sur la meilleure forme de l'impôt, sur les rapports naturels des diverses nations qui forment le grand corps de l'humanité, sur les effets propres ou distincts de l'agriculture, de l'industrie et du commerce; enfin, sur toutes les questions capitales de l'économie matérielle des sociétés, est, comme il a été dit plus haut (note de la page 335), la seule que nous reproduirons dans ce volume, dont l'objet est étranger à la morale et à la politique proprement dites. Mais, à propos de ces dernières sciences, vient ici se placer une observation.

En admettant nous-mêmes la pensée émise par plus d'un esprit éminent, qu'il ne faut pas confondre ces deux sciences avec celle de la production et de la distribution de la richesse, nous croyons, toutefois, que celle-ci ne peut être isolée de certains principes de philosophie générale qui dominent toutes les questions où il s'agit de l'homme. S'il en était autrement, l'économie politique, au lieu de constater les lois qui déterminent la production et la distribution régulières des choses utiles dans le monde, ne ferait qu'ériger en règles les contraventions à ces lois. Qu'on omette, par exemple, comme dans les pays où règnent le despotisme et l'esclavage, de lui donuer pour base les deux grands principes de la liberté personnelle et de la propriété absolue des fruits du travail, et à l'instant même il devient dérisoire de vouloir raisonner sur la rente, sur les salaires, sur les profits, comme sur tout autre point de la science. Sans doute, là comme ailleurs, la richesse naît toujours de l'action combinée du travail, de la terre et du capital; mais qui, si l'on en excepte le despote, a le moindre intérêt à le savoir? Il existe donc, préalablement à toutes recherches d'économie proprement dite, un ordre

d'idées morales et politiques qu'il est besoin d'éclaircir, et sans lequel la science n'aurait véritablement pas de point de départ. On peut dire que ces notions préliminaires et fondamentales sont, pour l'économiste, ce qu'est pour le géomètre la notion de l'étendue; mais avec cette différence que la perception en est beaucoup plus difficile à acquérir, parce que, dans le travail de notre esprit à cet égard, nos passions se trouvent mises en jeu. Néanmoins, une loi irrésistible de notre nature morale nous force à scruter ces notions, dont les philosophes ont désigné l'ensemble par les mots de Justice ou de Droit naturel, interprétés ensuite de tant de façons diverses, qu'il n'y a pas aujourd'hui même deux écoles qui conviennent de ce que sont cette justice et ce droit. Et cependant, qui pourrait le révoquer en doute ? la paix ne règnera jamais dans le monde tant qu'on n'y sera pas d'accord sur le Droit et qu'un méridien, comme dit Pascal, décidera de la vérité, en ce qui touche le juste et l'injuste; à plus forte raison, apparemment, si, comme de nos jours, il n'est plus besoin de tenir compte des distances pour calculer les dissentiments, et si l'anarchie des opinions est devenue telle, que, dans le même pays, dans la même province, dans la même ville, dans la même maison, l'on peut trouver des hommes dont les idées sociales n'offrent pas un contraste moins tranché que celui du feu et de l'eau, du jour et de la nuit, ou de tout ce que l'imagination peut rêver dans la nature de plus disparate.

Pour répondre à ces considérations, Quesnay avait écrit son Traité du Droit naturel. A son exemple, Mercier de La Rivière traça sa Théorie de l'Ordre comprise, avec une consciencieuse apologie du pouvoir absolu, dans les vingt-six premiers chapitres de son ouvrage. Il n'y a rien à dire de cette thèse politique, sinon que l'auteur est resté tout-à-fait au dessous de lui-même dans les développements. Si l'on doit convenir qu'il réussit assez bien parfois à mettre en évidence le côté faible des gouvernements représentatifs et à prophétiser en quelque sorte le triste spectacle que nous avons sous les yeux aujourd'hui même, il faut reconnaître que rien n'est plus vague que son argumentation, lorsqu'il s'agit de prouver que le pouvoir monarchique n'a pas besoin de contre-poids et qu'il est dans sa nature d'offrir plus de garantie, que tout autre système, au triomphe de l'intérêt général. Mais, après avoir condamné en ces termes l'illusion d'un homme de bien, nous ajouterons qu'on ne saurait rendre trop d'hommages à la sagesse et à l'élévation des doctrines qu'il professe quand, se renfermant, en dehors de toute préoccupation des formes gouvernementales, dans l'examen des principes du Droit naturel, il analyse les droits et les devoirs essentiels de l'homme par rapport à la société, et de la société relativement à l'homme. Là se rencontre une théorie dont, comme on le verra bientôt, le mouvement même de notre époque contribue puissamment à éclairer l'importance.

Jusqu'à Quesnay, dont Mercier de La Rivière est le commentateur, on se rend dificilement compte des services directs rendus par les philosophes au genre humain. Il est hors de doute que dans l'antiquité, Platon, Aristote, Cicéron, réputant vile toute occupation manuelle, et dissertant sur la justice au milieu d'un état social appuyé sur l'esclavage, ne donnaient d'autre but à leurs travaux que de récréer l'intelligence des hommes de loisir. Plus tard, quand apparut une philosophie nouvelle, le christianisme, tirant du dogme de l'égalité de tous les

hommes devant Dieu, des préceptes de bienveillance et de paix universelles, un principe éminemment civilisateur fut conquis; mais il restait à en déterminer les moyens d'application, faute de quoi l'on ne possédait qu'une formule vague, aussi dépourvue de puissance réelle que tous les lieux-communs philosophiques du passé. Or, qu'on fouille les écrits de tous les penseurs de l'ère chrétienne, théologiens et publicistes, et l'on se convaincra bientôt que ce n'est pas par eux que cette œuvre fut élaborée. Le christianisme prêchait la charité, vertu purement individuelle; mais il n'enseignait pas la justice, vertu tout à la fois individuelle et sociale, dont la pratique rendrait l'exercice de l'autre beaucoup moins nécessaire, sinon superflu. S'il eût été possible que les doctrines des théologiens fussent prises au pied de la lettre, le monde, par la subordination de l'intelligence à la foi, par le respect de l'idée que tout pouvoir, juste ou injuste, vient de Dieu, par le renoncement à tous les intérêts d'ici-bas, aurait rétrogradé au pas de course vers la barbarie. Les pères et les docteurs de l'Église qui furent de bonne foi, oublièrent véritablement que l'homme n'est pas un pur esprit, et que, pour le gouverner, il y a lieu de tenir compte et de l'ordre physique et de l'ordre moral. Quant aux publicistes, interprétant tous le droit par le fait, ils restèrent païens au milieu du christianisme, et ne reconnurent, en réalité, d'autre justice que celle de la force 1. Pour eux la loi seule fait le juste ou l'injuste. Quod principi placuit legis habet vigorem, comme dit Ulpien: voilà où en est toute leur science. Seulement, ils se disputent pour savoir s'il faut que la loi émane du peuple ou du prince; ceux qui tiennent pour la première de ces opinions, estimant qu'il suffit à une sottise d'obtenir la pluralité des suffrages pour devenir respectable. En somme, publicistes et théologiens, au lieu d'étudier, dans la nature de l'homme et dans ses rapports avec le monde extérieur, les lois immuables qui établissent et maintiennent l'Ordre au sein des sociétés, imaginèrent qu'il leur appartenait d'inventer ces lois ; et les institutions actuelles de l'Europe témoignent encore du succès avec lequel ils ont, sous ce rapport, substitué leurs propres vues à celles du Créateur.

Une gloire qui reste incontestablement acquise à l'École de Quesnay, c'est d'avoir la première réagi contre cette monstreuse inconséquence, d'où sont dérivées tant de lois positives qui semblent constituer l'esprit humain en révolte ouverte contre l'Auteur de la nature et l'instinct du sens commun. Un écrivain a dit, à propos du Contrat social: « Montesquieu n'a parlé que des lois positives; il a laissé son bel édifice imparfait ; mais il fallait aller à la source même des lois, remonter à cette première convention expresse ou tacite qui lie toutes les sociétés. Le Contrat social a paru; c'est le portique du temple et le premier chapitre de l'Esprit des Lois. C'est de l'auteur que l'on peut dire véritablement : Le genre humain avait perdu ses titres, Jean-Jacques les a retrouvés. » Ces paroles s'appliqueraient beaucoup mieux selon nous, à Quesnay qu'à Rousseau, qui dé

1

Voyez Grotius et Hobbes. V. aussi tous les légistes, jusques et y compris Pothier. C'est seulement à l'école des économistes que les derniers sont devenus un peu moins déraisonnables.

2 Brizard, t. VIII des OEuvres de J.-J. Rousseau, édit. Poinçol.

bute, dans le premier chapitre de son ouvrage, par prétendre que « l'ordre social, droit sacré qui sert de base à tous les autres, nè vient point de la nature, mais est fondé sur des conventions. » Tenez ce principe pour vrai, et vous en conclurez, comme Jean-Jacques, que la mission du législateur est de « changer pour ainsi dire la nature humaine, d'altérer la constitution de l'homme pour la renforcer..., d'ôter à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères,... toutes phrases qui ne signifient rien, si elles ne veulent dire que le Droit ou l'Ordre se décrètent à volonté ', dangereuse proposition dont n'abusent que trop encore l'Esprit de parti et l'Esprit de monopole.

Traducteur fidèle de la pensée sociale du chef de l'École physiocratique, c'est précisément le contrepied de cette doctrine que Mercier de la Rivière cherche à faire prévaloir. Au lieu de vouloir que le législateur crée l'Ordre, il l'invite seulement à s'y conformer, et à n'en pas chercher la base ailleurs que dans le sentiment et la raison, départis à l'homme pour reconnaître les lois immuables dont dépendent ici-bas son existence et son bonheur. Hors de l'action combinée du sentiment et de la raison, en effet, il n'existe plus que celle de l'imagination, qui n'est pas destinée par la nature à nous mener à la conquête de la vérité. Aussi n'est-ce pas en se lançant dans les voies de l'idéal, que la Rivière se met en quête de la notion du Droit.

Pour ce philosophe, l'ordre moral dérive de l'ordre physique même, ou s'y lie d'une manière si intime, qu'à ses yeux l'économie régulière des sociétés n'est que l'économie normale de la production et de la distribution des richesses. Or, les principes fondamentaux de cette économie, il les tire du sentiment et de la raison. qui nous les indiquent d'une manière certaine, en nous rendant évidentes ces vérités, que l'instinct général de la conservation et du bien-être chez les hommes correspond au devoir du travail; qu'au devoir du travail correspond le droit de propriété ; et que ce droit, institué par la nature même dans l'intérêt de l'individu et de l'espèce, est, de la manière la plus légitime, conçu sous trois aspects différents, savoir propriété personnelle, ou libre disposition, pour chaque membre du corps social, des forces physiques et intellectuelles constituant sa personnalité; propriété mobilière, ou libre disposition des choses mobilières acquises par le travail; enfin, propriété foncière, ou libre disposition du sol fécondé par la culture, parce que celle-ci est le premier intérêt de l'humanité, auquel personne ne voudrait pourvoir, s'il n'était certain de ne jamais perdre la dépense de capital et de travail consacrée à une pareille entreprise. Ainsi, Mercier de la Rivière fait, de la liberté et de la propriété, lé fondement de ce qu'il appelle l'Ordre, et y voit le criterium de la valeur de toutes les lois positives qu'on ne peut dé

C'est dans le livre I, chapitre 7, du Contrat social que se trouvent écrites ces belles choses. Il est vrai que Rousseau y dit également qu'il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes. En attendant que les dieux viennent, il ne manque pas d'hommes qui joueraient volontiers leur rôle.

Voyez Dupont de Nemours, Origine et progrès d'une science nouvelle. Cet opuscule est une excellente analyse de toute la partie politique et morale du livre de La Rivière. Les principes sociaux de cet écrivain se retrouvent, d'ailleurs, dans les chapitres IX et dernier de l'édition nouvelle.

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