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cheter ses services; qu'ainsi l'impôt, qui ne serait établi que sur les salaires ou les prix payés pour ces services, se trouverait toujours acquitté par les productions, mais ne pourrait jamais avoir rien de certain.

C'est donc une vérité de la plus grande évidence, que l'impôt doit être pris sur les produits nets des terres, et demandé par conséquent à ceux qui sont possesseurs de ces produits : ceux-là ne sont, pour ainsi dire, que dépositaires des fonds destinés à l'impôt; c'est à eux qu'il faut directement s'adresser pour faire passer ce dépôt de leurs mains dans celles du souverain immédiatement.

Je m'attends bien qu'on m'accordera sans peine que le souverain doit partager dans le produit net des terres avec les propriétaires fonciers, et qu'il faut éviter tout circuit pour le faire jouir de la portion qu'il doit prendre dans ce produit. Mais ce qu'on me contestera sans doute, c'est que le souverain ne puisse augmenter constamment son revenu par d'autres voies, par d'autres impôts établis sur d'autres richesses que sur les produits nets des terres.

Si, pour décider cette question, nous remontons aux premières notions de l'impôt et de l'ordre immuable, suivant lequel les richesses se consomment et se reproduisent, nous ne concevrons plus qu'elle puisse être proposée sérieusement; nous chercherons en vain ces autres richesses, sur lesquelles on pourrait établir un impôt à perpétuité et sans les anéantir; nous n'en trouverons point qui puissent se prêter à nos vues, parce que nous n'en trouverons point qui, lorsqu'elles ont été dépensées, puissent se renouveler par un autre moyen que par un partage dans le produit des terres; en un mot, nous reconnaîtrons ce produit pour être la seule et unique richesse annuellement renaissante, dans la société, pour fournir à toutes les dépenses de la société une fois convaincus qu'il ne peut circuler dans la société d'autre richesse qu'un produit sur lequel on a dù commencer par prélever l'impôt, nous nous bornerons à demander si la même richesse peut, sans inconvénient, payer plusieurs fois la même dette; car c'est là que cette question alors se réduira.

L'impôt, considéré par rapport à celui qui le paye, est une dépense annuelle, qui certainement ne peut être supportée que par une reproduction annuelle. Pour que je puisse tous les ans payer cent pistoles à l'impôt, et cela sans interruption, il est d'une nécessité absolue qu'il y ait une cause productive qui tous les ans aussi renouvelle dans mes mains ces mêmes cent pistoles: il est sensible qu'une fois que je les ai données, je ne les ai plus, et qu'il faut qu'elles me soient rendues, pour que je puisse les donner une seconde fois. Quel que soit celui qui me les rende, il en est de lui comme de moi; il ne peut me les rendre

toujours, qu'autant qu'on les lui rend à lui-même : il faut donc que cette chaîne aboutisse à un homme pour qui cette somme se renouvelle toujours par la voie de la reproduction, et qui, de main en main, me la fasse passer pour la donner à l'impôt. Mais, dans ce cas, je demande qui est-ce qui paye l'impôt? Est-ce moi qui ne fais que recevoir ces cent pistoles pour les porter à l'impôt? Ou bien est-ce celui par qui ces cent pistoles me sont fournies? Je crois qu'on ne doit point être embarrassé pour me répondre; et qu'il est évident que le premier qui fournit les cent pistoles est celui qui paye véritablement l'impôt : à cet égard, je ne suis, en quelque sorte, qu'un agent intermédiaire entre lui et l'impôt. L'argent, qui est le gage et le signe de toutes les valeurs, et dont, par cette raison, on se sert pour payer l'impôt, ne pleut point dans nos mains personne n'a d'argent qu'autant qu'il l'achèle, qu'autant qu'il échange une valeur quelconque pour de l'argent. Si donc je paye l'impôt avec de l'argent que je n'ai point acheté, avec de l'argent en échange duquel je n'ai fourni aucune valeur, il est certain que ce n'est pas sur moi que frappe l'impôt, mais bien sur celui qui m'a donné l'argent nécessaire pour satisfaire à ce payement : c'est le cas de ces hommes publics qui tous les jours font des payements considérables sans s'appauvrir, parce qu'ils les font pour le compte d'autrui, et avec l'argent d'autrui.

Ces premières notions, toutes simples qu'elles sont, nous conduisent cependant à voir très clairement par qui se trouve acquitté un impôt qui semble n'être pas établi sur les premiers propriétaires du produit des terres. Dans la main de ces premiers propriétaires, on ne voit que des valeurs en productions; que des productions en nature, ou des sommes d'argent qui les représentent : dans la main des autres hommes, on ne voit que de l'argent reçu en échange de travaux, et l'on se persuade que ce sont ces travaux qui ont produit cet argent; on ne prend pas garde que dans cette dernière main, il n'est point une valeur nouvellement reproduite; qu'il n'est au contraire qu'une portion de ces mêmes valeurs, qui déjà appartenaient aux premiers propriétaires des productions, et avaient été partagées entre eux et le souverain. L'argent qui sert à payer l'impôt peut bien successivement passer dans plusieurs mains; mais il faut examiner si le dernier qui le porte à l'impôt a fourni la valeur de cet argent: s'il ne l'a pas fournie, il nous faut remonter à celui qui lui a remis l'argent, et poursuivre ainsi notre recherche jusqu'à ce que nous ayons trouvé le véritable propriétaire de cet argent, celui qui réellement l'a acheté, mais qui ensuite, au lieu de le revendre, l'a donné pour le faire passer de main en main à l'impôt.

J'ai à mes gages un homme à qui je donne cent francs, parce que cent francs sont le prix nécessaire de sa main-d'œuvre, le prx fiixé par

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une concurrence établie sur une grande liberté : ces cent francs sont à lui; il les reçoit de moi en échange d'une valeur de cent francs en travaux établissez sur lui un impôt de la même somme, il ne pourra plus vivre, à moins que je ne lui donne deux cents francs. Cependant, pour ces deux cents francs, je ne recevrai de lui que les mêmes travaux, que la même valeur qu'il me donnait auparavant ; il y aura donc la moitié de cette somme que je lui donnerai sans qu'il l'achète, et dont il se servira pour payer l'impôt: d'après cela n'est-il pas sensible que c'est sur moi que l'impôt retombe, et non sur lui?

Tout impôt acquitté par un salarié, dont les salaires augmentent en proportion, n'est certainement point supporté par le salarié; cet impôt est à la charge de ceux qui, par l'augmentation de ses salaires, lui fournissent gratuitement les moyens de payer. On me dira peut-être qu'un tel impôt n'occasionne pas toujours une pareille augmentation de salaires; c'est un article que j'examinerai dans un autre moment: quant à présent, n'abandonnons point notre objet, et démontrons rigoureusement que toute richesse sur laquelle on voudrait établir un impôt n'est qu'une portion du produit des terres, produit qui déjà se trouve avoir payé l'impôt.

Il est certain que cette proposition ne peut souffrir aucune difficulté par rapport aux propriétaires fonciers : un impôt établi sur eux personnellement, et en considération des revenus que leur donnent leurs propriétés foncières, forme bien évidemment un double emploi ils ne peuvent payer cet impôt qu'avec un produit qui ne passe dans leurs mains qu'après qu'on en a séparé la portion destinée pour l'impôt, et qui est totalement distincte de celle qui doit leur rester en propriété. Si le double emploi peut paraître douteux, ce n'est donc que relativement aux impôts sur les autres hommes: ainsi c'est là l'objet particulier qui doit fixer notre attention.

Les richesses ne nous parviennent que de deux manières : par la voie de la reproduction qui les multiplie, ou par quelque opération en vertu de laquelle nous sommes admis à partager dans le bénéfice de cette multiplication. En deux mots, il faut tenir ces richesses ou de la terre immédiatement, ou de ceux au profit de qui la terre les a reproduites'. Un

Les adversaires de Quesnay n'ont pas d'argument sérieux contre cette proposition, que La Rivière va soumettre à une analyse bien digne de toute l'attention du lecteur. S'obstinant à voir dans le travail un but au lieu d'un moyen, ils n'aperçoivent pas que tout travail, soit agricole, soit industriel, ne tend à autre chose, en dernière analyse, qu'à procurer à l'homme les subsistances et les matières premières indispensables à ses besoins. La nature produit, et l'homme, par la faculté, la puissance du travail, s'empare de la richesse: tel est le sens de l'aphorisme : Dieu seul

homme salarié peut bien en salarier d'autres à son tour; mais cet homme ne fait que partager ce qu'il a reçu, et ne peut continuer de donner qu'autant qu'il continue de recevoir: il faut donc que nous remontions à une source primitive de tous les salaires qui se distribuent à une source qui d'elle-même les renouvelle perpétuellement; car ils sont tous destinés à être absorbés par la consommation'.

Tous les cas où il se fait des payements en argent, reviennent à celui que j'ai ci-dessus supposé : il faut que je tienne de quelqu'un les 100 francs que je donne à mon salarié; mais, pour avoir ces 100 francs, il a fallu que je les achetasse, que je donnasse en échange une autre valeur égale ainsi au fond mon opération est pour moi la même que si j'avais donné tout simplement à mon salarié cette autre valeur en nature, au lieu de la convertir en argent : impossible donc que je puisse toujours salarier en argent ce même homme, si tous les ans cette autre valeur ne se renouvelle pour moi. Je sais que je peux la gagner par mon industrie, au lieu de me la procurer par la voie de la reproduction annuelle; mais pour que je la gagne, il faut qu'elle existe; par conséquent qu'il y ait une classe d'hommes pour qui elle renaisse annuellement. Cette classe d'hommes est évidemment la classe propriétaire des productions, cela n'a pas besoin de commentaire; ainsi c'est de cette classe, c'est des

est producteur, emprunté par Dupont de Nemours à Quesnay. La thèse que soutient ici Mercier de La Rivière se trouve fort habilement débattue dans la correspondance du premier avec J.-B. Say. - V., plus haut, p. 399 et suivantes de ce volume. (E. D.)

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Le passage suivant, de l'Essai sur le principe de population, prouvera combien les idées de Malthus se rapprochent de celles des Physiocrates, s'il n'y a même pas identité de système entre eux et lui, quant à la nature et au principe de la richesse :

<«< Il sera toujours d'une vérité incontestable que le surplus du produit obtenu par les cultivateurs, pris dans un sens étendu, mesure et limite l'accroissement de la partie de la société qui ne travaille pas à la terre. Partout le nombre des fabricants, des commerçants, des propriétaires et de ceux qui exercent des emplois civils ou militaires, doit se proportionner exactement à ce surplus de produit; et par la nature même des choses ne peut s'accroître au-delà. Si la terre avait été avare de ses produits, au point d'obliger tous ses habitants à travailler pour les obtenir, il n'aurait existé ni oisifs, ni fabricants. Mais, dans ses premiers rapports avec l'homme, elle lui fit des dons gratuits, bornés, il est vrai, mais suffisants comme fonds de subsistance pour s'en procurer de plus grands. Et la faculté de s'en procurer de tels résulta pour l'homme, de cette propriété qu'a la terre d'être susceptible de produire, à l'aide de la culture, beaucoup plus d'aliments et de matières propres au vêtement et au logement, qu'il n'en faut pour nourrir, vêtir et loger ceux qui la cultivent.

"

« Cette qualité est la base du surplus de produit qui distingue, d'une manière particulière, le travail de la terre. En proportion du travail et de l'intelligence qui

richesses qu'elle fait renaître, que proviennent toutes les richesses qui se distribuent parmi les autres hommes.

Cette vérité est une vérité fondamentale qu'il est nécessaire de mettre dans le plus grand jour. Pour la rendre plus sensible, proscrivons pour un moment l'usage de l'argent, bannissons-le du commerce, et n'y faisons plus entrer que des productions et des marchandises en nature. Dans cette hypothèse vous ne voyez plus que les premiers propriétaires des productions qui puissent communiquer des richesses aux autres hommes: c'est cette classe propriétaire qui fournit les matières premières des marchandises; c'est cette classe propriétaire qui donne des productions en échange des travaux de main d'œuvre, une partie de ces productions peuvent passer de main en main jusqu'à ce qu'elles soient entièrement consommées; mais, dans quelque main que vous les trouviez, vous ne voyez toujours en elles qu'une richesse qui provient de cette classe propriétaire.

En vain direz-vous que les agents de l'industrie, en façonnant les matières premières, en ont augmenté les valeurs : je le veux bien; mais qui est-ce qui leur a payé cette augmentation? la classe propriétaire, qui, pour salaires de leurs travaux, leur a donné des productions'; ainsi la valeur de leurs travaux ne se réalise pour eux, qu'autant qu'elle est con

s'y sont appliqués, le surplus du produit a augmenté, et un plus grand nombre de personnes ont eu le loisir de s'occuper de toutes les inventions variées qui embellissent la vie civilisée; et en même temps le désir de profiter de ces inventions n'a point cessé de stimuler les cultivateurs et de les engager à faire croitre le surplus de leurs produits. Ce désir paraît nécessaire pour donner au surplus du produit toute sa valeur, et pour encourager à l'accroître, parce qu'avant que le fabricant achève son ouvrage, il faut qu'on lui avance les fonds nécessaires à sa subsistance; en sorte qu'on ne peut faire un pas dans aucune espèce d'industrie, sans que les cultivateurs obtiennent du sol plus que ce qui suffit à leur consommation » (p. 593, édition Guillaumin). V. encore les p. 337 et 358, 597, 555 et 536 du même ouvrage et les Principes d'économ. polit., notamment p. 397 et 598 du t. I, édit. de 1820.

Le rapport que nous venons de signaler entre les idées de Malthus et de l'école physiocratique, est si réel, qu'il avait frappé, dès 1809, le premier traducteur de l'Essai sur le principe de population, M. Pierre Prévost, qui le constate dans des réflexions, moitié élogieuses et moitié critiques, sur le système de Quesnay, reprodaites p. 644 et suiv. de la dernière édition de l'ouvrage. M. Prévost reproche aux Physiocrates de n'avoir pas dit aux peuples: Abstenez-vous de multiplier au-delà de vos moyens de subsistance; mais il convient en même temps qu'ils enseignaient surtout que l'accroissement des subsistances doit précéder celui de la population : il faut être bien prévenu pour ne pas apercevoir que l'un de ces conseils ne differe guère de l'autre. - Voy. la fin du ch. 8, et la note y relative. (E. D.) 'Subsistances et matières premières. Voy., plus haut, la note de la p. 475.

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